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Libération
Analyse

Niel et Bolloré à la manœuvre dans les télécoms italiennes

Après le patron de Vivendi, celui d'Iliad a fait une irruption surprise dans le capital de Telecom Italia. Ce double raid sur la quatrième entreprise du pays intrigue et inquiète en Italie.
Xavier Niel, fondateur de Free, le 10 mars 2015 à Paris (Photo ERIC PIERMONT. AFP)
par Eric Jozsef, Rome, de notre correspondant
publié le 30 octobre 2015 à 18h14

«Pronto ?» Après Vincent Bolloré, c'est au tour de Xavier Niel de s'apprêter à passer ses coups de fil en Italie. Le patron d'Iliad (maison mère de Free) et copropriétaire du Monde vient de prendre une part consistante du capital de Telecom Italia, la principale compagnie téléphonique de la péninsule. L'autorité boursière transalpine a en effet indiqué qu'il détenait désormais une «participation potentielle» de 15,14% de l'entreprise, ce qui de facto fait de lui le deuxième actionnaire du groupe, derrière le patron de Vivendi. Au cours des derniers mois, Vincent Bolloré est monté dans Telecom Italia pour s'emparer d'un peu plus de 20% du capital.

L’irruption du milliardaire breton avait déjà suscité beaucoup d’interrogations et un brin d’inquiétude à Rome. Après avoir récupéré 8% de l'opérateur à travers l’Espagnol Telefonica, Vincent Bolloré avait, à partir du mois de mai, multiplié les acquisitions de titres pour s’emparer de plus d’un cinquième du capital, au dessous toutefois de la barre des 25% pour éviter de devoir déclencher un OPA. En plein mois d’août, il avait été reçu par le chef du gouvernement Matteo Renzi, au palais Chigi, pour rassurer sur ses intentions notamment en termes d’investissements sur le long terme. L’arrivée soudaine de Xaviel Niel suscite encore plus de circonspection.

Niel ? Un parfait inconnu en Italie

«Mais que veut ce Xavier Niel ?», questionne le quotidien turinois La Stampa «et surtout qui est-il ?». Alors que Vincent Bolloré est une vieille connaissance du capitalisme italien après avoir fait son entrée il y a déjà plusieurs années au conseil d'administration de Mediobanca, l'historique banque d'affaires milanaise, et de l'assureur Generali, Xavier Niel est un parfait inconnu de l'autre côté des Alpes. La presse s'interroge, sans trop y croire, pour savoir s'il n'y aurait pas une entente entre les deux hommes d'affaires français. Mais chez Vivendi, personne ne semblait au courant de l'opération du patron d'Iliad. L'engagement de Xavier Niel (qui a investi à titre personnel dans Telecom Italia mais dont le groupe disposerait de 8 milliards d'euros en caisse) pourrait alors laisser présager une bataille féroce avec Vincent Bolloré dont le groupe Vivendi - actuellement en plein raid sur l'éditeur de jeux UbiSoft - a lui aussi les poches profondes (9 milliards de trésorerie). La presse italienne parle d'ailleurs déjà de «guerre des Français».

Des Francesi qui inquiètent

Pour l'heure, chez Telecom Italia on observe avec prudence le raid des Francesi. «Je ne suis pas en mesure de dire si les deux acquéreurs agissent de concert ou sont adversaires mais je ne pense pas qu'il y ait une liaison entre les deux», a simplement indiqué le PDG Marco Pattuano. Et d'ajouter, philosophe : «En tout cas le fait que des investisseurs, spécialistes des média et des télécommunications regardent avec grand intérêt notre titre signifie que la stratégie que nous mettons en œuvre crée de la valeur.» Le gouvernement italien n'a dans l'immédiat pas réagi. On n'exclut pas que Xavier Niel ait voulu avant tout réaliser une belle plus-value dans le futur d'autant que sa prise de participation potentielle s'est effectuée en grande partie sous forme d'options d'achat valables entre juin 2016 et novembre 2017. A la Bourse de Milan, où le cours de Telecom Italia a grimpé de plus de 3% vendredi matin, l'opération purement spéculative semblait être privilégiée.

Un marché du mobile qui attire les prédateurs

Mais certains observateurs pensent que Niel et Bolloré voient plus loin. Le marché italien des télécoms fait en effet saliver tous les grands du secteur depuis peu, car il risque de passer de quatre à trois opérateurs: le Russe Vimpelcom est en train de fusionner ses activités mobiles avec celles du hong-kongais Hutchinson. Or, de toute évidence, ce retour à un oligopole sera automatiquement synonyme de hausse du prix des forfaits et donc de profits supplémentaires pour le propriétaire de Telecom Italia, qui est toujours le premier opérateur mobile du pays. Sans compter que le marché italien, moins mature que le marché français en matière d'offres télécoms et internet, a encore un fort potentiel de croissance.

Les petits actionnaires de Telecom Italia, qui emploie 66 000 personnes ont en tout cas fait part de leur inquiétude : «Il est inacceptable que la quatrième entreprise du pays passe, sous le coup d'une OPA masquée, sous le contrôle d'actionnaires purement financiers dans le silence assourdissant du gouvernement et de la classe politique.» Dans un éditorial le quotidien économique Il Sole 24 Ore a dénoncé lui aussi le «silence» du gouvernement.