Magasins : la concurrence du e-commerce
Avis de calme plat, voire de climat désertique à Haussmann. Cinq jours après les attentats qui ont ensanglanté la capitale et sa banlieue, on ne croise plus grand monde dans les enseignes situées derrière l'opéra qui bénéficient généralement d'une certaine affluence à l'heure du déjeuner. A l'Apple Store, ce mercredi midi, un vigile contrôle les visiteurs devant l'unique porte du magasin restée ouverte. Quelques dizaines de clients sont présents, dont ceux qui «viennent surfer et checker leurs mails»,explique un habitué. Les vendeurs sont loin d'être tous occupés et les touristes, notamment asiatiques, généralement nombreux, sont très rares. «On n'est pas habilités à vous répondre», explique un manager.
Chez l'enseigne de prêt-à-porter japonaise Uniqlo, on se montre un peu plus loquace. «C'est vraiment très calme depuis lundi», dit une vendeuse. Le magasin est presque vide, comme les Galeries Lafayette de l'autre côté du boulevard, évacuées après une fausse alerte mercredi matin. «Cela me rappelle le fiasco des soldes de janvier après Charlie et l'Hyper Cacher»,raconte une des vendeuses qui, l'air dépité, avoue «craindre un remake». «Novembre est un mois creux et le mercredi un des moins bons jours de la semaine», témoigne sans se faire d'illusions le responsable du «corner» vide d'une enseigne pour hommes vide. Décembre risque d'être très difficile en l'absence des touristes étrangers, qui assurent environ 50 % du chiffre d'affaires du grand magasin, dont 15 % pour la seule clientèle chinoise. Une période clé qui représente un bon tiers de l'activité de l'année. Déjà éprouvés par la désaffection des clients de pays émergents en récession (Russie, Brésil…), les vendeurs d'Haussmann s'inquiètent également de la concurrence du e-commerce qui devrait logiquement profiter de la nouvelle donne sécuritaire parisienne.
Mardi, le patron du Medef, Pierre Gattaz, a évoqué les conséquences des attentats sur le tourisme et le commerce, y voyant un facteur de risque supplémentaire pour la fragile reprise de l'économie. Emmanuel Macron a, lui, indiqué qu'«à ce stade», il avait la conviction qu'«il ne fallait pas de mesures exceptionnelles vis-à-vis du soutien aux commerçants». Prévu le 27 novembre, le mal nommé «Black Friday», journée de promotion importée d'outre-Atlantique, est en passe d'être rebaptisé par le groupe Klépierre qui gère des centres commerciaux «Jours XXL». Une journée test qui permettra de mesurer l'ampleur de la désaffection des consommateurs.
Hôtels : des chambres désertées
Semaine difficile pour les hôtels parisiens. Depuis samedi, les réservations sont annulées massivement chaque jour. Les clients ont peur ou ils se heurtent à des annulations d'événements - comme le Salon des maires, qui devait accueillir 60 000 personnes cette semaine Porte de Versailles, reporté fin mai. Le cabinet spécialisé MKG évaluait mardi la chute du chiffre d'affaires des hôteliers parisiens à - 29 % par rapport à la même date l'an dernier, à partir de données disponibles sur 40 % des chambres de la capitale. Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants de l'hôtellerie-restauration, parle, lui, d'une «baisse de 50 % dans Paris intra-muros». Chez AccorHotels, «on s'attend à un impact plus important qu'après les attentats de janvier». Egalement sollicité, Airbnb n'a pas souhaité communiquer sur le sujet. Une chose est sûre, les quatre et cinq-étoiles, avec leur clientèle étrangère et fortunée, sont les plus touchés.
«C'est catastrophique. Certains clients sont partis à la hâte. Dans les gros établissements, la perte grimpe parfois à 700 000 euros depuis vendredi, observe Pauline, manager dans un hôtel de luxe du VIe arrondissement. Depuis quelques jours, les CDD ne sont pas renouvelés et les embauches sont terminées. Heureusement qu'il y a la COP 21 pour maintenir un certain nombre de réservations en décembre.» Didier Chenet positive malgré tout : «De nombreux messages de soutien ont été adressés par les clients aux hôteliers.»
Transports : des bouchons exceptionnels
Les Franciliens sont encore réticents à prendre les transports en commun. Les bouchons mercredi matin sur les routes d'Ile-de-France, s'ils n'ont pas atteint le record de la veille avec près de 540 km cumulés, affichaient encore un caractère «exceptionnel», avec un pic dépassant les 300 km à 8 heures, selon Sytadin, le site de la Direction des routes d'Ile-de-France. La SNCF ne confirme pas cette désaffection. «C'est encore trop tôt pour le dire, nous dit-on en interne. Entre les attentats et l'accident de TGV, nous n'avons pas encore eu le temps de nous pencher sur cette question.»
A Paris, les taxis, comme les autres métiers de service, subissent la baisse d'activité générale. Alors que certains ont arrêté leur compteur vendredi et samedi soir et transporté des gens gratuitement, ils ont «remarqué depuis lundi qu'il y a beaucoup moins de monde dans les rues, indique une source syndicale. Les gens ne sont pas d'humeur à se déplacer le soir». Chez Air France, tous les vols ont été maintenus. La compagnie, dont l'action a chuté de près de 6 % lundi, ne devrait pas échapper à une baisse d'activité. «Ce n'est jamais immédiat, mais c'est inévitable, commente un spécialiste du secteur. Nombre de touristes, notamment américains et japonais, vont annuler leur voyage de fin d'année à Paris.» Chez EasyJet, on indique que le nombre de personnes qui ne se sont pas présentées aux embarquements depuis et vers la France ce week-end était en hausse.
Cafés-restaurants : la crainte d’une désaffection
Quel impact aura le 13 novembre sur l'activité économique des cafetiers et des restaurateurs, établissements attaqués par les terroristes ? Réponse sans surprise de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), principal organisme syndical patronal qui représente le secteur français de l'hôtellerie, de la restauration, des cafés et des discothèques : «Il est trop tôt pour le dire, mais, sans s'avancer, on peut dire que, dans la mesure où les gens sont moins enclins à sortir de chez eux pour se faire plaisir et se divertir, le secteur sera forcément touché.» De fait, les rues de Paris sont nettement moins fréquentées qu'à leur habitude, malgré une météo clémente pour la saison.
Sur un plan financier, le syndicat des CHR (cafés, hôtels, restaurants) travaille à un fonds de soutien pour ses adhérents. «Il n'y a pas d'enveloppe fixée, car il est difficile de définir le périmètre des personnes touchées par les attentats.» Néanmoins, dans le cadre de la mutuelle santé des adhérents de l'Umih, une aide psychologique et financière a été mise en place en urgence auprès des chefs d'entreprise et des salariés touchés par les événements.
De son côté, la Banque publique d’investissement, organisme de financement et de développement des petites et moyennes entreprises françaises, a annoncé sa décision de suspendre pendant six mois les échéances des crédits des établissements auxquels elle a accordé des prêts professionnels d’activité.
Une chose inquiète les professionnels de la restauration : l'extension de l'état d'urgence pour trois mois. «Cela donne le signal aux gens qu'ils prennent un risque en sortant dans la rue, donc en allant boire un verre ou manger un morceau», dit un bistrotier du quartier Oberkampf, voisin de la salle du Bataclan où 89 personnes ont perdu la vie, vendredi. Et d'ajouter : «Les déclarations du gouvernement sur le risque d'être à nouveau frappés par les terroristes islamistes ne vont pas aider la vie à reprendre. OK, il fait son travail. Mais moi, je veux aussi pouvoir faire le mien.»
A vingt mètres, un restaurateur du boulevard Voltaire, qui requiert l'anonymat parce qu'il ne veut «pas donner l'image du pleurnichage commercial», s'autorise un parallèle avec la situation en Tunisie et en Egypte : «Il n'y a plus de touristes là-bas, car les gens ont peur. Il ne faut pas que cela soit la même chose à Paris.» Il se persuade : «La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit.»