Première réaction, à chaud : mais pourquoi s'obstiner dans cette galère ? Que peut gagner Renault en persistant en Formule 1, après une dernière année catastrophique comme fournisseur de moteurs pour l'écurie Red Bull ? C'est pourtant le choix officialisé jeudi soir par Carlos Ghosn. «Renault sera présent en Formule 1 dès 2016», annonce le patron du groupe français dans un communiqué, après le rachat de l'écurie Lotus au fonds d'investissement luxembourgeois Genii Capital. «Les principaux contrats ont été signés le 3 décembre 2015», écrit Ghosn. Il y aura donc deux voitures siglées Renault pour le premier Grand Prix de la saison, en Australie. La direction ayant déjà tiré un trait sur une simple présence comme motoriste, rôle ingrat où les victoires sont surtout mises au crédit de l'écurie (Red Bull, championne du monde de 2010 à 2013) et les défaites imputées à la mécanique, soit Renault revenait à part entière, soit le constructeur disparaissait des pistes. Ce dernier choix aurait été compréhensible, tant la présence des constructeurs généralistes a été questionnée ces dernières années. Toyota et BMW ont jeté l'éponge en 2009, Honda tâtonne comme simple motoriste. L'exception : Mercedes, qui a plombé la saison 2015 avec 16 victoires sur 19 Grands Prix. C'est à cette montagne que va s'attaquer Renault. Ghosn ne s'en cache pas : «Notre ambition est de gagner, même si raisonnablement, cela prendra du temps.»
Alors pourquoi ce défi quand d’autres ont lâché la rampe ?
Première raison : le règlement en Formule 1 impose des moteurs hybrides depuis 2014. Or Renault n'est pas perçu comme un grand spécialiste de cette motorisation qui est pourtant appelée à équiper de plus en plus de modèles dans les années à venir. «S'ils remportent des courses, ils lèveront la suspicion qui plane sur leur capacité à faire des hybrides performants, analyse Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, groupe de recherche sur l'industrie automobile. Et la F1 est un véritable outil de mobilisation en interne.» Renault se donne trois ans pour se hisser sur les podiums. Trois ans ? Au moment où, justement, le groupe aura commercialisé ses premiers modèles hybrides sur le marché.
Deuxième raison : la géographie des Grands Prix s'est modifiée ces dernières années. De nouveaux entrants sont apparus, notamment la Chine en 2004, la Russie en 2014. L'Inde a organisé trois GP entre 2011 et 2013 et pourrait revenir en 2017. Autant de marchés que le constructeur, très offensif à l'international, tente de pénétrer. Avec un certain succès jusqu'à présent. «Renault a réussi son intercontinentalisation avec son entrée de gamme, les Sandero et les Logan, poursuit Bernard Jullien. S'il rivalise avec Mercedes, ça donnera des ailes aux réseaux pour vendre des Talisman et des Kadjar.» Remporter des succès dans ces pays où l'image de la voiture est encore très associée à la puissance et à la vitesse - en France, Renault la joue «écolofriendly» en s'associant à la COP 21 -, pourrait permettre à la marque de combler ce décalage entre une image peu valorisante et un savoir-faire technique qu'elle revendique.