Une méga-fusion chasse l'autre à Wall Street. Après la bibine (rachat du brasseur SABMiller par son concurrent InBev), les médocs (mariage de Pfizer et Allergan) et le Big Data (OPA de Dell sur EMC), la tornade de dollars centrifuge qui souffle sur les multinationales rattrape les gros chimistes de la place : l'américain Dow Chemical, premier producteur mondial de chlore, éthylène, glycol et soude caustique, s'apprête à convoler avec son compatriote DuPont, l'inventeur du nylon et du kevlar pour la modique somme de 120 milliards de dollars (près de 110 milliards d'euros). Une montagne de billets verts tout ce qu'il y a de plus virtuelle, puisque les deux entreprises centenaires, qui pèsent chacune 60 milliards de dollars à la Bourse de New York, procéderaient par échange d'actions.
Selon le Wall Street Journal qui a révélé l'info, le mariage des plastiques, phosphates agricoles et autres chimies de spécialités de Dow Chemical (dont le logo ressemble étrangement à celui de Libération) et de Dupont (qui a été fondé en 1802 par l'aristo français Eleuthère Irénée du Pont de Nemours parti sauver sa tête aux Amériques) donnerait naissance à un mastodonte alignant 90 milliards de dollars de chiffre d'affaires ce qui en ferait le numéro 2 mondial de la chimie derrière l'allemand BASF. Sous la pression des actionnaires militants qui exigent toujours plus de «shareholder value», le nouvel ensemble pourrait se scinder en trois divisions : engrais et semences, chimie spécialisée et science des matériaux. Un démembrement qui permettrait d'isoler leurs activités déclinantes dans l'agrochimie et de rapprocher les activités les plus rentables. Cette fusion alchimique doit aussi permettre de dégager 3 milliards de dollars de «synergies» : traduisez économies et milliers de licenciements à terme. La routine.
Pendant la COP21, le «Big Business» continue
Si les négociations aboutissent, l'opération devra encore recevoir le feu vert des autorités antitrust américaines et européennes. Mais ce mariage n'aura évidemment rien de «vert», vu la réputation de Dow Chemical et DuPont auprès des ONG environnementales. Au même titre que Monsanto, Dow a notamment livré à l'armée américaine le terrible agent Orange pulvérisé par les bombardiers B-52 pour «défolier» toute vie dans le delta du Mékong pendant la guerre du Vietnam. La firme a aussi racheté en 2001 Union Carbide, tristement célèbre pour sa responsabilité dans la catastrophe de Bhopal en Inde. Et Greenpeace pointe les deux compagnies au même titre que Monsanto dans son Dirty Portfolio of the Pesticides Industry. Mais pendant la COP21 et son greenwashing (Dow Chemical a son stand au Bourget), le Big Business des pollueurs continue.
En attendant, cette opération à 120 milliards de dollars qui suit celle à 100 milliards de SAB Miller et AB InBev et celle à 150 milliards de Pfizer et Allergan, couronne une année record en termes de fusions-acquisitions ou «fusacs» pour les intimes en costumes sur mesure. Selon le cabinet spécialisé Dealogic, les cadors du capitalisme mondialisé auront fusionné leurs activités pour un montant astronomique de 4,35 trillions de dollars en 2015. Pour mémoire, chez nos amis américains, un trillion équivaut à mille milliards de dollars… Et de mémoire de loup de Wall Street, on n'avait pas vu pareille orgie de M&A (mergers and acquisitions) depuis 2007. Ca sent la nouvelle Ferrari dans la hotte du père Noël pour les banquiers d'affaires de la place. Et le mega-bonus pour les deux big boss de Dow Chemical et DuPont, Andrew Liveris et Edward Breen, qui deviendraient respectivement chairman (président) et CEO (directeur général) du nouveau monstre chimique Dow DuPont.