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«Les Guignols» changent de ficelles

JT de PPD supprimé, plus de people, moins de politique… L’émission réformée de fond en comble sur ordre de l’interventionniste Bolloré fait une rentrée tardive, et en crypté, ce lundi à 20h50.
La marionnette de Kim Kardashian. (Photo Xavier Lahache. Canal+)
publié le 13 décembre 2015 à 18h46

Les Guignols auront été les grands absents de cette rentrée pour commenter une actualité d'une richesse incroyable. Pire, ils auront raté les régionales qui ont placé le FN aux portes du pouvoir. Cela n'était pas arrivé depuis 1988. Avec eux, on avait vécu cinq municipales, six européennes, quatre régionales, cinq législatives, quatre présidentielles et trois référendums. Rien que ça. Une vraie frustration pour les équipes chargées de mettre en place cette nouvelle formule voulue - voire exigée - par Vincent Bolloré, le très interventionniste patron des lieux. Les Guignols sont donc de retour ce lundi. En crypté à l'antenne et en clair sur le Web, comme annoncé, avec de nouvelles marionnettes et une nouvelle équipe d'auteurs. Ce n'est pas forcément un mal, tant la formule précédente était arrivée à bout de souffle, mais il s'est déroulé dans la douleur. Jusqu'à présent, tout changement d'équipe était accompagné par des périodes de transition. Pas de passage de témoin cette fois et, résultat, pas de marionnettes à la rentrée ; il a fallu un trimestre pour mettre sur pied cette quotidienne. Avec beaucoup de questions, et pas toutes les réponses, avant d'être certain que les Guignols nouvelle version gagnent leur pari : redevenir incontournables… et, on l'espère, drôles.

Qu’est-ce qui va changer ?

Quelques informations avaient déjà filtré mais, désormais, on en sait beaucoup plus sur le déroulé et le contenu de l'émission. Il ne s'agit plus d'un journal télévisé avec un présentateur unique, les Guignols version 2015 (qui ont perdu leur «de l'info» au passage) veulent ajouter une dimension coulisses. L'émission est découpée en plusieurs parties. Une première se déroule dans la salle de rédaction, où journalistes et présentateurs discutent de l'actualité. Là, on retrouvera des figures connues, type PPD ou Pujadas, mais aussi toutes les stars de l'info du moment, comme Elise Lucet et bientôt Laurent Delahousse.

Pour la seconde partie, direction un plateau ressemblant à s'y méprendre à celui d'une chaîne d'info en continu avec un couple de présentateurs ressemblant à s'y méprendre à un vrai couple de présentateurs de chaîne d'info en continu. Le tout sera entrecoupé d'une saynète à la machine à café, d'une autre en loge maquillage et évidemment de sketchs. Parmi l'équipe, après une période de rodage un peu difficile, on redevient optimiste : «Les dernières répétitions se sont bien passées, les choses ont l'air de se mettre en place, ça fonctionne de mieux en mieux, explique un membre de la production. Ce que j'ai vu justifie complètement la mise à l'écart de PPD, le résultat est plus moderne, plus en phase avec l'air du temps.»

Sur le fond, même si la politique n'est pas abandonnée - sur les publicités, depuis quelques jours, on voit une marionnette de Chirac enlacer tendrement celle de Sarkozy : «Il y aura moins de politique intérieure, c'est sûr, confirme-t-on en interne. Et davantage d'international et d'entertainment

Du coup, l'imitateur ultra-doué Marc-Antoine Le Bret, moins porté sur la politique, va monter en puissance dans le programme. Tout un symbole, puisque les Guignols ont quasiment le même âge que lui. «J'ai l'impression de les avoir toujours regardés, j'ai vraiment grandi avec eux, nous confie-t-il. Alors ce n'est pas une mauvaise chose que le programme évolue. Mais on va toujours parler de l'actualité. Mis à part le format qui est nouveau, on a déjà tous l'impression d'être à nos places. Prêts.»

Qui sont les nouveaux auteurs ?

Matthieu Burnel, Nans Delgado, Cédric Clemenceau ou Frédéric Hazan. Leurs noms ne vous diront pas grand-chose, mais les auteurs des Guignols ont rarement été recrutés sur leur niveau de célébrité. D'ailleurs, selon la rumeur qui a couru durant l'été, Gad Elmaleh et Florence Foresti n'ont-ils pas refusé un gros chèque proposé directement par Vincent Bolloré ? Ce qu'on demande à un auteur des Guignols, c'est une capacité à enchaîner les gags et les vannes au quotidien. Les membres de cette nouvelle bande viennent de la comédie, de la sitcom, de l'écriture et de la télévision (ils ont bossé pour Canteloup, Fogiel ou encore Ardisson).

Ils ont été castés comme des comédiens avec en plus épreuves écrites du style «vous avez trois heures pour écrire un JT, je ramasse les feuilles dans deux heures». «Pour nous, le plus important est qu'ils parviennent à se créer un univers entre eux, explique-t-on en interne. Des relations qui se noueront entre eux dépend le succès de l'émission. Cela a souvent été comme ça.» Ce dont ils auront besoin, c'est un peu de temps pour se plonger dans l'actualité et trouver leur ton. Car on les attend au tournant sur ce terrain.

Les marionnettes seront-elles moins impertinentes ?

C'est le vrai défi. «Jusqu'à présent, on pouvait parfois les trouver moins drôles, mais ils étaient toujours autant corrosifs et vachards», rappelle Pierre-Emmanuel Barré, auteur de chroniques grinçantes à France Inter ou Canal +. Fan depuis toujours - «ils ont osé tellement de trucs» -, il reste, lui, dans l'expectative : «Ils vont changer radicalement de cible, aller vers la culture pop, s'adresser aux jeunes. Je serais déçu s'ils n'étaient plus aussi subversifs.» Il attend d'ailleurs beaucoup de la première quotidienne : «Ils sont obligés de revenir sur ce qu'il s'est passé, pourquoi ils ont été absents aussi longtemps.» Une manière de jauger leur liberté de ton d'entrée de jeu.

Pour Marc-Antoine Le Bret, imitateur de plusieurs voix pour l'émission, il n'y a aucun doute à avoir : «L'impertinence a toujours été la marque de fabrique des Guignols», assure-t-il. Même son de cloche du côté de la production : «Les sketchs sont toujours aussi percutants et incisifs, il n'y a pas de vraie rupture dans l'humour. Ils en ont fait un sur les migrants qui était fabuleux. De ce que j'ai vu, je trouve leur humour plus élégant.»

Tout dépendra en réalité de l'interventionnisme de Vincent Bolloré. On le sait assez frileux sur l'humour Canal +, et peut-être plus encore sur la question du religieux que du politique. «Pour ma part, quand je suis allé sur Canal +, je n'ai jamais été emmerdé sur mes textes, j'ai toujours dit ce que je voulais, explique Pierre-Emmanuel Barré. Le vrai problème, c'est plus celui de l'autocensure.»

En interne, on veut croire que Bolloré a retenu la leçon des récentes polémiques qui ont suivi sa volonté d’avoir son mot à dire, jusqu’à la qualité des programmes, et qui se sont retournées contre lui. La production artistique n’a pas changé et Bolloré, qui n’est pas intervenu durant les dernières semaines, semble lui accorder sa confiance.

Bolloré veut-il vraiment poursuivre l’aventure ?

On pouvait en douter. Et on a même cru que les Guignols ne reviendraient pas. Et pourtant, le boss de Vivendi semble décidé à mettre le paquet. La production n'a pas bougé de la Plaine Saint-Denis et les moyens sont toujours au rendez-vous. Evidemment, avec un passage en crypté, l'audience de la quotidienne sera automatiquement sacrifiée.

Il faudra aller chercher du côté des audiences de la Semaine des Guignols, en clair à l'antenne, elle, mais surtout de celles du Web pour avoir des éléments de réponse sur le succès de cette nouvelle formule. Là, c'est Dailymotion, désormais possession de Vivendi, qui a la pression pour aller chercher un autre public. Profitant de sujets plus internationaux (#barackobama #kimkardashian…), la plateforme de vidéos va traduire certains sketchs en anglais et en espagnol. Preuve qu'il y a là un véritable enjeu, la pression est énorme sur les épaules de l'équipe. Qui nous le confirme : «On sait qu'on nous attend avec des flingues, mais nous, on a vraiment envie d'être aussi bons qu'avant.»