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Passage en gratuit de LCI : entre Alain Weill et Nonce Paolini, c’est pif et PAF

En autorisant TF1 à diffuser gratuitement sa chaîne d’information sur la TNT, le CSA a relancé la foire d’empoigne entre le patron de BFM TV et celui de la Une.
publié le 18 décembre 2015 à 19h36

C’est un duel en passe de devenir un classique du PAF qui s’envenime. Le PDG de TF1, Nonce Paolini, et le patron et fondateur de BFM TV, Alain Weill, ont pris l’habitude de s’écharper en public et par médias interposés sur le serpent de mer du passage en gratuit de LCI. C’est finalement devenu une réalité depuis jeudi soir, le CSA ayant dit oui, après avoir d’abord dit non en juillet 2014.

Une décision motivée, selon le président du gendarme de l'audiovisuel, Olivier Schrameck, par le changement des conditions du marché pour la chaîne d'information à péage du groupe TF1. «Il y a dix-huit mois, il était encore possible de penser qu'une chaîne de la TNT payante pouvait trouver sa voie, a justifié le président du CSA. Faire passer LCI en gratuit à la mi-2014 aurait fragilisé BFM TV, qui n'avait pas encore trouvé la place qui est la sienne aujourd'hui.» Celle d'une chaîne dominatrice sur le créneau de l'info en continu, faisant un bénéfice de 17 millions en 2014 - et sans doute plus en 2015 -, et désormais arrimée à l'écurie Altice de Patrick Drahi (actionnaire de Libération, du groupe l'Express, etc.). Celle-ci a acquis l'été dernier 49 % de NextRadioTV, auquel appartient BFM TV, valorisant le groupe d'Alain Weill à 670 millions d'euros. Pour le patron de TF1, BFM TV comme i-Télé appartiennent à «des groupes puissants, qui investissent», ce qui écarte la crainte de voir LCI mettre en danger «des acteurs fragiles».

«Politique». Malgré cette situation favorable pour BFM TV, vendredi matin, Alain Weill a attaqué bille en tête le CSA, qu'il soupçonne d'avoir cédé à des pressions extérieures. «Le CSA, par deux fois, a dit dans le passé qu'il n'y avait pas la place pour trois chaînes, c'est à n'y rien comprendre», a-t-il déploré sur France Info avant d'annoncer qu'il ira «personnellement» déposer un recours devant le Conseil d'Etat.

Pour Alain Weill, il s'agit d'une «décision politique». «A l'approche de l'élection présidentielle, on sent qu'il y a une vraie tension autour des chaînes d'information», a-t-il expliqué au site Puremédias. A BFM, certains y voient la main de l'Elysée, une «envie de contrer l'influence et la puissance» acquise par la chaîne. Une volonté «d'affaiblir les chaînes d'info» en ruinant leur modèle économique. «A deux, ça passe difficilement, puisque BFM TV s'en sort, mais i-Télé perd de l'argent depuis quinze ans. Donc, à trois, on ne s'en sortira pas bien. Et à quatre, c'est sans doute assez impossible.» Une allusion à la chaîne d'info en continu que prépare France Télévisions et que le CSA a validée, selon lui, en nommant à la tête du groupe audiovisuel public Delphine Ernotte. Laquelle avait fait de ce projet un des points forts de sa candidature.

«Ce que pensent mes concurrents m'est totalement égal», a répliqué le PDG de TF1, Nonce Paolini, sur RTL, selon lequel il n'y a pas eu de «pression politique. On n'a fait aucune pression et le CSA est indépendant», a-t-il affirmé en dépit de l'intense lobbying déployé par la chaîne et de la menace que TF1 laissait planer sur la fermeture de la chaîne en cas de nouveau refus du CSA. Afin de rassurer le gendarme de l'audiovisuel, TF1 s'est engagé à mettre l'accent sur l'analyse (pas plus de 30 % de temps d'antenne pour les journaux télévisés de LCI) et à ne proposer aucun couplage publicitaire ni promotion croisée avec TF1 et les autres chaînes du groupe sur la TNT. «Tout ça, c'est bidon. Ils feront une chaîne d'information qui marche, et il n'y a pas cinquante systèmes : quand l'actualité est chaude, on fait pas une chronique sur la consommation ou la santé», estime de son côté Alain Weill, pour qui l'arrivée de deux nouvelles chaînes d'info gratuites sur la TNT va «renforcer les acteurs historiques dominants, TF1 et France Télévisions».

Ces derniers mois, les deux camps ont mobilisé leurs salariés dans une bataille d’influence tous azimuts. Chacun avançant ses chiffres pour tenter de l’emporter. Mais alors que les études publiées par Alain Weill montraient une forte déstabilisation du marché en cas d’arrivée d’une nouvelle chaîne d’info gratuite, celles dévoilées par Nonce Paolini devant le CSA attestaient l’exact contraire sur le mode «plus l’offre augmente, plus la consommation croît».

Chantage. TF1, qui prévoit d'investir une vingtaine de millions d'euros dans LCI, vise un retour à l'équilibre de la chaîne, actuellement déficitaire, en 2019. Dès octobre, BFM TV avait, elle aussi, joué la carte du chantage à l'emploi en prévenant qu'elle pourrait supprimer une centaine de postes, soit un quart de ses effectifs, en cas de passage de LCI en gratuit. Depuis le dernier refus du CSA, il y a dix-huit mois, «on a recruté trente journalistes» et, maintenant, il va falloir «passer en mode défensif», explique Alain Weill, pour qui le CSA devra assumer les conséquences de ses décisions.

Un argument qui laisse Nonce Paolini de marbre, «au bord des larmes», dit-il, lorsque le président du CSA l'a appelé pour lui annoncer la nouvelle, qui met fin à «cinq ans de précarité absolue pour les salariés de LCI» : «Alain Weill avait dit que BFM allait embaucher 35 ou 40 personnes de LCI si LCI devait fermer. Il raconte n'importe quoi.» Une dernière ? «Alain Weill a souvent prôné la concurrence lorsque cela l'arrangeait, eh bien il va avoir une concurrence de plus.» «Ce sera la loi du marché, et je ne suis pas sûr que dans le secteur de l'information, ce soit le meilleur système», lui a répondu ce dernier à distance. Suite et fin du match au Conseil d'Etat, qui devrait en toute logique valider cette décision du CSA.