Il fut un temps où l’on était le roi du gadget quand on possédait une chatière ou un distributeur de croquettes en plastique. Aujourd’hui, ma donne dame, c’est la moindre des choses. Certes, Fripouille pourra sortir à sa guise et répartir ses repas tout au long de la journée. Mais s’il mangeait trop parce qu’il s’ennuie ? S’il se mettait à déprimer par solitude ? S’il devenait obèse ou anorexique ? S’il ne revenait pas de sa virée dans le jardin ?
Tout cela ne risquerait pas d’arriver avec un collier GPS, une gamelle intelligente et une souris télécommandée pour occuper ses journées. Telles sont les tendances en matière d’objets connectés, dont le développement tous azimuts pour les humains a fini par toucher le marché des animaux de compagnie. On l’a constaté en arpentant les couloirs du salon Animal Expo à Vincennes. Sur un stand, on nous vend une appli pour enregistrer le trajet de nos promenades de chiens et le partager sur les réseaux sociaux. A un autre, un genre de petit robot fait courir un rayon laser sur le sol pour amuser les chats : c’est un jouet autonome, conçu pour se déclencher à intervalles réguliers et occuper l’animal sans intervention humaine.
Toutes les marques s’y mettent. Des précurseurs comme la marque française Eyenimal aux géants de la high-tech qui découvrent un nouveau public, comme Motorola, en passant par une kyrielle d’amateurs fourmillant d’idées sur Internet. Zoom sur quatre incontournables du genre.
Silence chat tourne
«Mon chat Prince allait se promener sur les toits et je me demandais ce qu’il y faisait. La seule façon de le savoir, c’était de lui mettre une caméra»,
nous raconte Pablo Teixeira.
Comme elle n’existait pas, il l’a inventée et
[ commercialisée en 2010 sous le nom de Petcam ]
. Ce fut le premier gadget de sa marque Eyenimal, aujourd’hui leader en France dans la high-tech animalière. Le modèle a depuis été amélioré, avec vision nocturne et détecteur de mouvements. Mais il faut avoir confiance en son chat pour le laisser sortir avec 85 euros autour du cou… En moins risqué, il y a la surveillance à domicile. Que font les caniches et les siamois à la maison pendant qu’on travaille ? Eyenimal et Motorola proposent de le découvrir (indice : ils pioncent) en installant une caméra au mur ou sur une table. L’objectif est orientable à distance et on peut prendre des photos - mieux ! enregistrer une vidéo - si l’on tombe sur Caramel pourchassant sa queue (mais ne vous faites pas d’illusion : en vrai, il pionce). S’il a l’air de s’ennuyer, on lui parle via le micro de son smartphone. Et encore, c’est la base.
Sur le Web anglophone, les start-up ont déjà cinq fonctionnalités d'avance et font la course au design. Petbot, un objet canadien aux jolies oreilles en plastique, vient de récolter 80 000 dollars (72 800 euros) en financement participatif et peut jouer à l'animal une musique déstressante.
Les Américains de
[ PetChatz ]
ajoutent un écran vidéo pour que Médor puisse voir notre bouille à domicile.
, c’est le R2D2 des caméras : il bipe pour attirer le chat, puis, alors qu’on le voit rappliquer en direct via l’appli dédiée, on glisse son doigt sur l’écran du smartphone pour lui balancer un rayon laser et jouer avec lui. Quand on l’a bien épuisé, un clic sur le bouton «friandises» ouvre une trappe secrète et lâche une croquette sur la moquette. Quant au
[ PetCube ]
, il permet non seulement de partager le flux vidéo de son animal avec d’autres utilisateurs, mais aussi de les laisser contrôler le laser pour jouer avec Princesse. Lancé sur Kickstarter lui aussi, PetCube se vend bien dans les refuges pour animaux, qui présentent ainsi leurs protégés aux futurs adoptants.
Tous épiés, toutous fliqués
Une puce électronique au cou pour être géolocalisé 24 heures sur 24, c’est la dernière mode chez les toutous. Avec ce mouchard, plus de fugue possible : la fonction «enclos virtuel» du collier envoie une notification au maître de l’animal dès qu’il sort d’une zone prédéfinie - par exemple le jardin - et sa position s’affiche sur une carte en temps réel grâce à l’appli pour smartphone reliée au collier.
Ne reste plus qu’à enfiler des baskets pour lui courir après. Même quand toutou joue simplement à l’aventurier solitaire lors d’une balade en forêt, une boussole peut s’afficher sur le smartphone, ou carrément une icône de chien incrustée en réalité augmentée sur le paysage, et il suffit de suivre la direction indiquée pour se rapprocher du chien. Tractive, Geodog, Wékiki, Geonimo ou le plus esthétique
[ Kippy ]
…
On ne compte plus les colliers sur le marché. Déjà pas donné (on compte en centaines d’euros), l’objet s’accompagne toujours d’un abonnement annuel de 30 à 50 euros pour bénéficier des services GPS. Il est encore peu adapté aux chats, par sa taille et son poids trop importants, mais les efforts de miniaturisation sont en cours. La marque
[ Weenect ]
- spécialiste des GPS pour… enfants - sera la première à proposer une version féline ultralégère (25 grammes) à partir de mars. Eyenimal dégainera aussi en début d’année.
Côté chiens, on attend pour le printemps un projet très ambitieux de la société bordelaise Octopepper, qui mise tout sur les fonctions communautaires. Après avoir engrangé moult données sur l'activité physique - marche, course, repos… -, le collier comparera ses résultats aux moyennes attendues pour la race du chien et surtout à celles enregistrées par les autres utilisateurs. Comble du chic, il saura détecter en cours de balade les autres propriétaires d'un collier similaire passant à proximité, explique à Libération le PDG d'Octopper, Matthieu Glayrouse. La boîte s'y connaît en la matière : elle a créé en 2012 le réseau social pour animaux Yummypets, qui compte aujourd'hui 500 000 membres (humains). Avec un peu de chance, le réseau deviendra site de rencontre quand ses fidèles se rencontreront in real life à la pause caniveau…
Halte à l’abus de croquettes
Quand Praline s’approche de la machine, quelques secondes s’écoulent tandis que la caméra analyse son visage fin de siamois… et 25 grammes de croquettes tombent dans l’assiette. Quand c’est Choupette qui s’amène, un peu plus tard, rien ne se passe et la gamelle reste vide. C’est que Choupette a déjà mangé toute sa ration, aujourd’hui. D’ailleurs, elle vient de déclencher une notification sur le smartphone de son maître, l’informant qu’elle a grossi de 200 grammes en un mois. Il faudra faire attention. Ce scénario de science-fiction féline n’est plus qu’à un doigt de devenir réalité grâce aux efforts du Taïwanais Mu Chi Sung. C’est son expérience personnelle qui l’a poussé à inventer la plus perfectionnée des gamelles connectées : il n’avait pas su détecter la pancréatite de son chat Momo, normalement signalée par une baisse d’appétit, parce que ses deux autres félins passaient derrière lui finir sa gamelle. On ne l’y reprendra plus.
Avec 240 000 dollars (218 873 euros) récoltés sur Indiegogo, Mu Chi a conçu la «CatFi Pro», une vraie station d'alimentation composée d'une balance, d'un réservoir à nourriture programmable et d'un logiciel de reconnaissance faciale. Le premier au monde fonctionnant sur des visages félins, excusez du peu. On définit à l'avance le programme alimentaire de compagnons à pattes - quantité en grammes, nombre de repas… - et la CatFi Pro se charge d'appliquer les ordres, distribuant les précieuses croquettes à qui de droit après avoir contrôlé l'identité du chat se présentant devant elle.
Plus modeste, un autre projet
[ crowdfundé ]
se résume à une balance installée sous le bac à litière :
[ Tailio ]
pèse le chat et le poids de ses déjections, mesure sa fréquence de visite au coin pipi et alerte l’humain au moindre changement dans ses habitudes.
Les objets connectés relatifs à la santé deviennent aussi sophistiqués que ceux destinés aux humains, avec leurs mégaoctets de données enregistrées chaque jour et leurs dossiers médicaux complets sous forme de statistiques, graphiques et bilans. Des histogrammes et des camemberts, on en trouve en veux-tu en voilà dans l’application liée au collier pour chien
[ Voyce ]
: ils analysent son rythme cardiaque, son rythme respiratoire, les calories brûlées et la distance parcourue pendant la promenade, voire la quantité et la qualité de son sommeil. D’ici à ce que les données soient revendues aux mutuelles pour animaux…
Se faire obéir au poil et à l’œil
C’est pour les chiens de chasse qu’ont été inventés les premiers colliers électroniques, à des fins d’éducation. Un boîtier hideux autour du cou, les pauvres bêtes n’ont pas droit à l’erreur : au premier aboiement, l’engin vibre et émet un son d’avertissement. Au deuxième aboiement, ses deux picots métalliques balancent une décharge électrique. Enfin, une «stimulation électrostatique», comme on dit de façon politiquement correcte. C’est radical : à défaut de rattraper le gibier qu’il a fait fuir, Viking comprend très vite qu’il doit fermer sa grande gueule. Petit à petit, les accessoires éducatifs se sont tournés vers les animaux de compagnie avec des modèles moins agressifs et plus coquets.
Outre les décharges et les ultrasons, Cynnotek a ainsi équipé
d’un spray à déclenchement automatique : rien de tel qu’une bonne dose de citronnelle dans la truffe pour se souvenir de garder le silence. Num’axes, sympa, dote plutôt son
[ Iki Voice ]
d’un petit haut-parleur : en réponse à l’aboiement, il crie
«Chut !»
ou
«Stop»
ou
«Ta gueule»,
ou tout autre message préenregistré par le maître. Et quand c’est le chien du voisin qui pourrit nos nuits ?
On pose sur le perron un
de chez Eyenimal qui, bien camouflé en lanterne de jardin, ultrasonnera le malotru jusqu’à ce qu’il comprenne.
Les chats étant quant à eux d'un naturel discret, personne n'avait encore songé à les faire taire. C'était sans compter sur Eyenimal (déjà à l'origine d'une diabolique petite borne à placer devant une pièce interdite de la maison ou un objet fragile, chargée de pschit-pschiter tout rôdeur à quatre pattes). «Il y a quelques années, raconte Pablo Teixeira, de Eyenimal, une dame est venue nous voir sur le stand d'un salon pour demander : "Vous n'avez pas quelque chose pour faire taire mon chat ? Je n'arrive pas à dormir la nuit." Au début je me dis "quelle idée de faire taire son chat" et je ne l'ai pas prise en considération. Puis un autre client nous demande si on a une idée pour faire taire les chats pénibles. Je me suis dit qu'il y avait peut-être quelque chose.» Teixeira met alors en branle sa stratégie habituelle d'étude de marché, traînant sur les forums et les blogs pour recueillir des témoignages et rencontrant des dizaines d'internautes «qui disaient «aidez-moi, je n'en peux plus»». Certains commençaient sérieusement à envisager l'abandon de leur animal. «Il y en a un qui paniquait : "Il est 3 heures du matin, je n'arrive pas à dormir. Ma femme est enceinte, elle est au bord de la dépression. Mon chat miaule, trouvez une solution."»
Après des mois de développement, la solution, dernière-née de la gamme Eyenimal, s’appelle «
[ Miaow Control ]
» et ressemble à une lampe torche à poser sur la table de nuit. Une pression sur le petit bouton envoie une vague de flashs lumineux dans les mirettes du chat et un ultrason spécialement choisi pour lui être désagréable. On a beaucoup hésité à accepter de tester la torche, convaincue qu’elle devait être interdite dans la Convention internationale contre la torture. Mais quand, à 4 heures du matin, Samouraï s’est dressé sur ses pattes arrières pour faire crisser ses griffes sur les murs de la chambre, on s’est rappelé qui était le vrai tortionnaire et on a cliqué. Il n’a plus recommencé.