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Libération
Décryptage

La chaleur fait des vagues

La hausse inédite des températures en décembre est à la fois conjoncturelle et tendancielle. Explications.
Les écarts de températures en France et dans le monde. (BIG)
publié le 29 décembre 2015 à 20h01

Noël au balcon à Paris, et sortie plage à New York… Le climat perd-il la boule ? Non, mais les variations météorologiques prennent un relief de plus en plus accentué vers le chaud au fur et à mesure que la température moyenneaugmente, en raison de nos émissions de gaz à effet de serre.

Fait-il froid quelque part sur Terre ?

Oui. Il fait toujours froid quelque part. Et lorsqu’il fait vraiment plus chaud que d’habitude dans une région, cela se paye nécessairement par un froid de canard ailleurs (comme dans un système de vases communicants). Ainsi, pour le mois de novembre, dans une région de l’océan Arctique, au large de la Sibérie, on relevait un écart vers le chaud de plus de 10° C, relativement à sa climatologie pour 1951-1980. Le même mois, une zone de plus de 1 000 km de diamètre autour du lac Baïkal affichait une température de 1 à 2° C sous sa moyenne climatologique. Au sud du Groënland, l’océan Atlantique était lui aussi plus froid que la moyenne. Au Québec, Montréal vient d’enregistrer un Noël sans neige et 14° C au Mont Tremblant, mais l’hiver «normal» vient d’arriver avec une chute de 20° C des températures et une tempête de neige pour blanchir le Mont Royal.

D’où provient ce Noël au balcon à Paris ?

D'abord de la circulation atmosphérique, et de son blocage durant le mois de décembre sur la région. La cause ? Un anticyclone persistant installé sur les régions méditerranéennes et l'Europe de l'Est. Du coup, les perturbations en provenance de l'Atlantique glissent vers le nord-ouest de l'Europe, tandis qu'un flux d'air en provenance du sud-ouest alimente l'Europe en air chaud. Le résultat ? Des records de chaleur sur l'Hexagone. Le 19 décembre, 17,8° C à Rennes, 15,9° C à Cherbourg, 20,2° C à Tulle, 18,7° C à Limoges, 17,9° C à Lannion, 17° C à Calais. Et 2° C à l'aiguille du Midi, à 3 845 m d'altitude, le lendemain. En France, décembre (calcul arrêté au 28) affiche 4° C de plus que la moyenne 1981-2010, annonce Météo France. Et devient le dernier mois de l'année le plus chaud depuis le début des relevés thermométriques, à la fin du XIXe siècle. Il est impossible de déterminer avec précision l'impact du réchauffement climatique sur ces températures locales et de courtes durées, même s'il y contribue. Des «réanalyses» par simulations numériques permettraient de déterminer la probabilité qu'une telle série ait pu survenir en l'absence de l'intensification de l'effet de serre par nos émissions.

Et la «pause des températures depuis quinze ans» des climatosceptiques, elle passe aux oubliettes ?

On peut entendre ce mantra encore aujourd’hui dans la bouche du géophysicien Vincent Courtillot filmé par la Cité des sciences dans le cadre d’une exposition très réussie sur le climat (1). Comme tous les raconteurs de salades climatiques, Courtillot a juste oublié de regarder le thermomètre. Après une année record pour la température moyenne de la planète - l’air à un mètre au-dessus des sols et la surface des océans - en 2014, 2015 va hisser cet indicateur au-delà de tous les enregistrements connus de l’ère thermométrique. Et, soulignent les paléoclimatologues, sans équivalent depuis au moins mille cinq cents ans.

Au-delà des variations météorologiques régionales et sur quelques jours, cet indicateur s’est hissé à 0,84° C au-dessus d’une moyenne calculée sur la période 1951-1980 pour les onze premiers mois de l’année. Avec une fin d’année en fanfare : pour la première fois dans l’histoire des thermomètres, la température de la planète a dépassé cette valeur climatologique durant deux mois consécutifs, en octobre et novembre, de plus de 1° C. Et décembre sera du même acabit.

A quoi est dû ce record de température ?

A deux phénomènes climatiques, l’un conjoncturel, l’autre tendanciel. La tendance, c’est le réchauffement provoqué par l’intensification de l’effet de serre naturel par nos émissions massives de gaz à effet de serre depuis un demi-siècle. Les principaux sont le dioxyde de carbone et le méthane. Le premier est issu pour l’essentiel de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz ainsi que de la fabrication du ciment.

Nos émissions ont atteint 36 milliards de tonnes de CO2 en 2014, en hausse de 0,6 % sur 2013. Les pays les plus émetteurs ont été la Chine, avec 27 % du total pour 9,7 milliards de tonnes, les Etats-Unis, avec 15 %, l'Union européenne, avec 10 %, et l'Inde, avec 7 %. Rapporté par habitant, soit la juste mesure du calcul dans le cadre d'une géopolitique du climat, les Etats-Unis sont à près de 17 tonnes, l'Union européenne à 6,8 tonnes, la Chine à 7,1 tonnes et l'Inde à 2 tonnes. Quant à l'Ethiopie ou au Niger, leurs émissions par habitant ne dépassent pas 0,1 tonne par an.

Du fait de ces émissions, la teneur en dioxyde de carbone de l’atmosphère atteint désormais les 400 parties par million, contre 280 ppm avant l’ère industrielle. Une valeur sans précédent depuis au moins huit cent mille ans, selon les archives climatiques des glaces de l’Antarctique. Le méthane, lui, provient des fuites des exploitations de gaz naturel mais aussi de l’agriculture (rizières, cheptels de ruminants…).

Quel rôle joue le phénomène El Niño en cours dans le Pacifique ?

Un phénomène conjoncturel explique pourquoi 2015 va constituer le nouveau record annuel depuis 1880, après, selon l’équipe du Goddard Institute for Space Studies (Nasa), ceux de 2014, 2010, 2005, 2013, 2007… Il s’agit d’une oscillation du Pacifique tropical, baptisée El Niño pour sa phase chaude et La Niña pour sa phase froide qui se succèdent tous les cinq à sept ans environ. Plus elle est intense et plus les températures de surface de l’océan Pacifique tropical Est s’écartent de leur moyenne climatologique.

En cours depuis plusieurs mois, et d’une intensité inégalée depuis l’épisode de 1997-1998, El Niño pousse vers le haut l’indicateur de température moyenne de la planète. Il provoque également des phénomènes météorologiques violents en Amérique du Sud, en Asie du Sud-Est, en Australie, et va toucher jusqu’aux récoltes de café de l’Afrique de l’Est.

Les phases froides succédant aux phases chaudes, il est probable qu’après le printemps, la température moyenne diminuera sensiblement. Toutefois, la tendance climatique au réchauffement due à nos émissions de gaz à effet de serre a comme conséquence que les années à Niña depuis 2000 sont plus chaudes que les années à Niño des années 80.

Que devient l’objectif climatique du 1,5° C de la COP 21 ?

L'«accord» de Paris évoque «la perspective de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l'action menée pour limiter l'élévation des températures à 1,5° C».

Il est utile de comparer ces objectifs aux températures récentes. Avec une moyenne pour 2015 qui sera d’environ 0,85° C au-dessus de la période 1951-1980, la température de la planète atteint déjà près de 1° C au-dessus du niveau préindustriel. Est-ce possible, du coup, d’éviter de dépasser les 1,5° C ? Non. Le potentiel de réchauffement des gaz à effet de serre déjà dans l’atmosphère se monte à 0,3° C par rapport à l’actuel. Et les particules fines réfléchissantes, qui refroidissent le climat de 0,3° C, sont destinées à disparaître avec l’usage de technologies moins polluantes.

Autrement dit, si les 7,3 milliards d’êtres humains se faisaient hara-kiri demain, et éteignaient la lumière en quittant la scène, la température planétaire grimperait tout de même d’environ 0,6° C. Et comme ce hara-kiri général n’est pas au programme, la vraie question est plutôt de savoir comment ne pas dépasser les 2° C de plus.

Or, l’analyse des «promesses» déposées lors de la COP 21 par les Etats montre qu’elles correspondent à une trajectoire d’émissions nous conduisant vers 3° C d’élévation des températures. Un écart avec l’objectif des 1,5° C d’ailleurs reconnu… par l’accord de Paris. La baisse probable de la température moyenne, de faible amplitude et de courte durée, qui sera provoquée par la prochaine phase froide de l’oscillation du Pacifique tropical ne devra pas faire perdre de vue ces réalités.

(1) Salle Science actualités à la Villette, à Paris. Ne pas rater la simulation des négociations climat par des lycéens de Seine-Saint-Denis.