Soudain, la sortie de route en pleine accélération… Ce jeudi 14 janvier, la Bourse de Paris s’affole : l’action Renault est en chute libre après la révélation des perquisitions menées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur plusieurs sites du groupe et la confirmation du dépassement des seuils antipollution de plusieurs véhicules de la marque équipés de moteurs diesels. Après avoir perdu jusqu’à 20 % de sa valeur, le titre Renault cède au final plus de 10 %. En une séance, plus de 2 milliards d’euros de capitalisation se sont évaporés…
Tout souriait pourtant jusqu’ici au deuxième constructeur automobile français. Renault venait d’annoncer son retour en Formule 1 avec le rachat de l’écurie Lotus. Un symbole de ses ambitions conquérantes. Et le groupe s’apprêtait à dévoiler de bons chiffres pour 2015 : on apprenait lundi que ses ventes mondiales (Renault, Dacia, Samsung Motors) avaient progressé de 3,3 %, à 2,8 millions de véhicules, avec une belle performance en Europe (+ 10,4 %). Entre un litre de carburant au plancher et les ennuis de Volkswagen, le PDG de Renault, Carlos Ghosn, pouvait continuer à rêver de hisser son alliance Renault-Nissan dans le top 3 des constructeurs mondiaux.
Fleuron. Mais ça, c'était avant le «jeudi noir». Car depuis que l'affaire a éclaté, le groupe vit dans la peur d'un «Renaultgate». Et, avec lui, l'Etat, actionnaire à hauteur de 19 %, qui, malgré ses différends capitalistiques avec Carlos Ghosn, se démène pour éteindre l'incendie médiatique et éviter à l'entreprise un accident industriel et social. Et pour cause : avec 117 000 salariés dans le monde (dont moins de 50 000 en France) et plus de 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Renault est l'un des derniers symboles de l'industrie française qui gagne, à défaut d'embaucher dans l'Hexagone.
En première ligne, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, est montée au front pour dire que oui, on a bien constaté un «dépassement des normes» d'émissions d'oxyde d'azote (NOx) chez Renault et «plusieurs» marques étrangères. Mais non, notre fleuron automobile national n'a pas triché : «Il n'y a pas [eu] de logiciel de fraude [détecté]», a martelé Royal, tout en renouvelant sa «confiance» à Renault, qui est «un grand industriel français». Dans la foulée, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, en déplacement à Berlin, répétait sur tous les tons que Renault n'était «en aucun cas dans une situation comparable» à celle de Volkswagen, accusé d'avoir truqué les moteurs de 11 millions de ses modèles.
Suspicion. De fait, avec un premier rappel de 15 000 véhicules et un risque portant sur 700 000 voitures selon les Echos, Renault est loin d'être dans la situation du constructeur allemand, menacé de plusieurs dizaines de milliards de dollars d'amendes aux Etats-Unis (lire Libération du 11 janvier). Et ce, d'autant que le français est absent du marché américain. Mais le vent de peur qui a soufflé de la Bourse de Paris jusqu'au sommet de l'Etat montre bien que Renault est désormais un usual suspect, au même titre que la plupart des constructeurs.
Toutes les marques ont longtemps dissimulé le fait que leurs véhicules polluaient bien plus que ce que leur fiche technique ne le laissait croire. Mais, depuis l'affaire Volkswagen, la confiance dans les déclarations des constructeurs automobiles ne va plus de soi. Et des associations comme France Nature Environnement, le Réseau Action Climat et l'UFC-Que choisir exigent «la mise en place sans délai de seuils enfin contraignants et scientifiquement prouvés». Cette suspicion - et le risque financier non encore chiffré qui va avec (entre rappel des véhicules, investissements techniques et poursuites potentielles…) - va peser durablement sur la marque au losange. Comme sur tous les constructeurs un peu trop décontractés du pot d'échappement.