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Stratégie

Twitter fait le ménage dans son état-major

Sous la pression de Wall Street, où le cours du site de micro-blogging n'en finit plus de dégringoler, son patron et fondateur Jack Dorsey a annoncé le départ de quatre de ses neuf principaux dirigeants et lance de nombreux chantiers.
Jack Dorsey, patron de Twitter, en 2013. (Photo Bill Pugliano. AFP)
publié le 25 janvier 2016 à 19h42

«Je suis triste d'annoncer qu'Alex Roetter, Skip Schipper, Katie Stanton et Kevin Weil ont choisi de quitter l'entreprise.» Le patron et fondateur de Twitter, Jack Dorsey, 39 ans, est peut-être sincèrement peiné de voir partir quatre des neuf membres de la direction du réseau social, mais cela ne l'empêche visiblement pas de tailler dans le vif.

Quatre mois après son retour officiel à la tête du site de micro-blogging avec pour mission de lui trouver enfin un modèle de croissance, Jack Dorsey lance le grand ménage. Une remise à plat complète qui vise à reconquérir des investisseurs qui ne croient plus en Twitter et l’ont très clairement fait savoir ces derniers mois. Le cours de l’action a chuté de 50% depuis l’automne et perdu les trois quarts de sa valeur depuis le pic historique de 73,31 dollars enregistré fin 2013, quelques semaines après son introduction à Wall Street. Il évolue aujourd’hui à un cours inférieur à ce qu’il était lors de l’arrivée en Bourse d’une entreprise que l’on présentait alors comme une des plus prometteuses de la vague des médias sociaux.

Départs non remplacés

Alex Roetter et Kevin Weil, vice-présidents chargés respectivement de l'ingénierie et des produits, étaient tous les deux chez Twitter depuis cinq ans. Et ont passé ces dix-huit derniers mois à «augmenter l'échelle des produits publicitaires et des équipes d'ingénierie de presque zéro revenu  à plus de 2 milliards aujourd'hui», a souligné Jack Dorsey. Katie Stanton, également chez Twitter depuis cinq ans, était chargée des médias, avec notamment la mission de muscler les contenus accessibles sur le réseau. Brian «Skip» Schipper était responsable pour sa part des ressources humaines. Ces quatre vice-présidents ne seront pas remplacés dans l'immédiat tout comme Jason Toff, en charge de l'application vidéo Vine qui quitte l'entreprise pour rejoindre Google, où il travaillera sur la réalité virtuelle.

Dans son message à l'adresse des milliers d'employés du site de micro-blogging, Jack Dorsey indique qu'il «espérait vraiment parler de ceci aux salariés de Twitter plus tard cette semaine», mais qu'il a voulu «mettre les choses au clair» après des «rumeurs de presse erronées». Plusieurs médias américains avaient évoqué dimanche une partie de ces départs, en indiquant pour certains que les intéressés avaient été licenciés. Le Wall Street Journal écrivait par ailleurs que Jack Dorsey avait posé comme condition à son retour à la tête du groupe en 2015 le remplacement à terme de l'intégralité du conseil d'administration, où siège un autre cofondateur, Evan Williams, qui compte parmi les plus gros actionnaires individuels de Twitter.

Depuis qu’il a repris les rênes de l’entreprise, Jack Dorsey a beaucoup fait le ménage — 336 suppressions d’emplois ont été annoncées en octobre, soit 8% des effectifs — mais il a également annoncé de gros recrutements dont celui de Omid Kordesrani, une figure de Google, au poste de numéro 2. Une première reprise en main qui n’a pas empêché la poursuite de la dégringolade boursière et qui apparaît aujourd’hui comme un prélude à la profonde réorganisation qui s’annonce.

Mouton noir à Wall Street

Il faut dire que les données du problème n’ont guère changé ces derniers mois pour Twitter devenu un mouton noir à Wall Street. La croissance du nombre d’utilisateurs reste toujours aussi faible comparée à celle des autres réseaux sociaux, avec lesquels l’écart s’est considérablement accru ces dix-huit derniers mois. Twitter comptait fin septembre 320 millions d’utilisateurs dans le monde, soit seulement 4 millions de plus que trois mois plus tôt.

L'urgence est désormais à la simplification du service en vue de séduire coûte que coûte un plus large public, au risque de perdre au passage les utilisateurs les plus fidèles qui en ont imposé l'usage. «Se servir de Twitter doit être aussi simple que lorsque vous ouvrez la fenêtre pour voir le temps qu'il fait», expliquait récemment Jack Dorsey, selon lequel sa consultation doit devenir «la première chose que l'on fait en se levant et lorsque l'on veut partager des idées, des commentaires ou simplement savoir ce qui se passe dans le monde».

Les premières traductions concrètes de cette nouvelle stratégie sont déjà à l'œuvre. Twitter expérimente par exemple une réorganisation du flux de messages classés par un algorithme non pas en fonction de leur chronologie mais de leur «pertinence». Une fonctionnalité inspirée de Facebook qui permettra aux utilisateurs de «conserver» ce qu'ils lisent en fonction de leurs centres d'intérêt et qui signifie que le site pourra faire apparaître sur votre fil des messages de comptes que vous ne suivez pas.

Jusqu’à 10 000 signes

Autre nouveauté, Twitter n’a pas exclu récemment d’abandonner la règle qui le distinguait radicalement des autres réseaux sociaux, soit la limitation des messages à 140 signes, en les poussant jusqu’à 10 000 signes. Autant d’évolutions encore à l’étude et destinées à doper l’audience du site mais qui passent mal auprès des utilisateurs historiques.

Toujours déficitaire, le site a également annoncé de nouveaux dispositifs publicitaires dont il compte truffer le quotidien de ses usagers. De quoi attirer en masse les annonceurs en leur assurant une visibilité maximale, quitte à transformer ses usagers en hommes-sandwichs. Des messages sponsorisés par des annonceurs apparaîtront ainsi instantanément lorsqu'un internaute consultera un tweet apparu dans la liste des résultats d'une recherche dans Google. L'objectif est ainsi de pouvoir vendre aux marques les millions d'internautes — jusqu'à 500, selon son ancien directeur général Dick Costolo — qui consultent chaque jour des tweets mais comme utilisateurs passifs, sans se connecter.

«Publicités conversationnelles»

Un procédé qui reste très soft comparé aux autres pistes envisagées. Selon le site spécialisé Digiday, Twitter compte permettre aux annonceurs de faire de n’importe quel tweet une publicité. Un dispositif dévoilé à une poignée d’entre eux au dernier Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas leur donnant la possibilité de sélectionner des tweets et de les faire apparaître comme des publicités auprès des autres utilisateurs. Parmi les autres projets de marchandisation tous azimuts des messages des utilisateurs, on trouve celui des «publicités conversationnelles» dans lesquels les twittos sont invités à diffuser un message en choisissant un mot-clé associé à une marque qu’ils suivent, avant d’être personnellement remerciés par celle-ci. Autant de procédés qui visent à faire des usagers de Twitter des relais des marques et ce gratuitement. Une collaboration pour la gloire qui contraste avec les sommes proposés aux stars comme le footballeur Ronaldo afin d’associer leur nom à une marque.
Valorisé 12,4 milliards de dollars contre 275,5 milliards pour son rival Facebook, Twitter doit très vite démontrer sa capacité à démocratiser son usage en l’étendant au plus grand nombre et à le «monétiser» bien plus massivement qu’aujourd’hui. En cas d’échec, la perspective d’un rachat par Google, Facebook ou un goupe de médias comme News Corp de Murdoch — qui vient de la démentir — pourrait se préciser. Car plus sa valorisation boursière diminue, plus le site devient une proie pour les colosses financiers que sont devenus les GAFA. Mais ce serait alors sans Jack Dorsey qui serait sur le point, selon des rumeurs de marché, de recruter une grosse pointure des médias et un nouveau patron du marketing, afin de crédibiliser une relance de Twitter qui au vu de son cours de bourse, reste encore de l’ordre de l’intention.