Dans la presse, la qualité éditoriale ne paye pas toujours du point de vue économique. La preuve avec The Guardian, contraint à un sévère plan de rigueur malgré son succès et son journalisme de haut vol. Connu pour avoir dévoilé le système d'écoute de la NSA avec Edward Snowden, le grand quotidien britannique a annoncé, lundi, qu'il allait réduire son train de vie de 20% d'ici à 2018. Ce qui correspond à une économie annuelle d'un peu plus de 50 millions de livres (plus de 66 millions d'euros). Pour le moment, il n'est pas question de suppressions de postes. Le groupe emploie 1 960 personnes.
Une combinaison de trois facteurs a motivé cette décision, prise par la nouvelle direction arrivée aux commandes l'an dernier. La chute des revenus publicitaires sur le journal papier est plus rapide qu'anticipé. Elle n'est pas compensée par les revenus publicitaires numériques, qui croissent d'autant moins vite que la transition de l'Internet fixe vers le mobile s'accompagne d'une baisse générale des prix. Enfin, l'expansion internationale du Guardian, qui se voit en média global et a embauché à tout va pour ses éditions aux Etats-Unis et en Australie, a fait progresser les dépenses de 23% ces cinq dernières années, à 268 millions de livres (plus de 350 millions d'euros). Dans le même temps, les recettes ont augmenté de 10% seulement.
Tout-gratuit sur le numérique
Le groupe, qui publie aussi The Observer, s'attend à perdre 53 millions de livres (plus de 70 millions d'euros) à la fin de l'exercice qui s'achèvera fin mars. Il piochera dans son trésor de guerre pour boucher le trou. En la matière, il est bien doté depuis qu'il a vendu en 2014 un site de petites annonces automobiles pour 619 millions de livres (plus de 800 millions d'euros). A l'époque, il avait expliqué que cela devait financer d'éventuels déficits pour au moins trente ans. Mais, à force de perdre de l'argent, son matelas rétrécit à très grande vitesse. De 838 millions de livres (plus d'un milliard d'euros) en juillet, il est tombé à 735 millions de livres aujourd'hui (plus de 970 millions d'euros). «Les fondations sont très fragiles», concède le directeur général du titre, David Pemsel.
Propriété du Scott Trust, une société qui fonctionne comme une fondation à but non lucratif, The Guardian est observé de près par les professionnels des médias. A la différence du New York Times, le groupe anglais a opté pour le tout-gratuit sur le numérique et le financement par la publicité. Pas facile, à l'heure où les bloqueurs de pub se multiplient sur Internet. Malgré les vents contraires, la direction a assuré lundi qu'elle ne changerait pas de stratégie. La raison d'être du Guardian, explique-t-elle, est de rendre l'information accessible au plus grand nombre. L'audience dépasse aujourd'hui 130 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde.
Mais comment faire si la pub s'effondre ? David Pemsel veut notamment développer le système de parrainage payant qui existe déjà. Il permet aux lecteurs généreux de devenir «membres» du club et d'avoir accès à tout un tas de services supplémentaires (conférences, etc.) L'ambition est de doubler les revenus venus des lecteurs, à 60 millions de livres (plus de 79 millions d'euros). Ce qui, conjugué au plan de rigueur, doit permettre de revenir à l'équilibre dans trois ans.