C'est devenu une habitude. A chaque fois qu'une rumeur prétend que Twitter est sur le point de modifier un de ses rouages, c'est la révolution. On a déjà connu, en mars 2014, un soulèvement pour une supposée disparition prochaine des @ et des #, en novembre 2015 une fronde contre le remplacement d'une étoile par un cœur, et une tentative d'insurrection au début de cette année concernant la fin présumée de la limite des 140 caractères par tweet. Cette fois-ci, la vindicte a pris la forme d'un hashtag, #RIPTwitter, utilisé plusieurs centaines de milliers de fois, pour réagir à un papier de Buzzfeed publié vendredi soir. «Dites bonjour au tout nouveau Twitter, commençait cet article. La société prévoit, selon nos informations, de mettre en place une timeline algorithmique dès la semaine prochaine. Cette timeline va réagencer les tweets en fonction de ce que les gens ont le plus envie de voir, soit l'abandon de l'actuel flux antéchronologique. Nous ne savons pas pour l'instant si Twitter va forcer les utilisateurs ou s'il s'agira d'une option.» Il n'en fallait pas plus pour lancer le procès en Facebookisation.
Car c'est bien là la hantise des utilisateurs de Twitter canal historique (entendre qui l'utilisent depuis plus de deux mois) : que leur réseau social, un peu en manque de Nasdaq cred en ce moment, lorgne un peu trop du côté des fonctionnalités de Facebook pour satisfaire des investisseurs qui trouvent sa croissance trop lente. C'est qu'avec un peu plus de 300 millions d'utilisateurs, le service de microblogging fait aujourd'hui figure de petit poucet face aux plateformes, de plus en plus nombreuses, qui dépassent le milliard (Libération du 2 février). En cause selon certains, la complexité supposée d'un flux qui multiplie les codes cryptiques (@, #, RT, TP, LT, etc.) et qui devient vite un joyeux bordel pour peu qu'on suive plus de 50 personnes. Problème, cette complexité, une fois apprivoisée, devient une composante essentielle de l'expérience.
Car Twitter est avant tout un outil. Un de ceux qu'on apprend à maîtriser, qu'on utilise selon ses besoins, qu'on adapte à ses propres usages et qu'on détourne à la moindre occasion. C'est d'ailleurs en tant qu'outil que Twitter a grandi. Ce sont les usagers eux-mêmes qui ont fait de ce service de SMS groupés le rendez-vous incontournable des accros au temps réel. Les hashtags et les retweets par exemple ne sont que des récupérations par Twitter d'usages inventés par les premiers inscrits. Depuis, tout changement décidé non pas par la base, mais par les décisionnaires de Twitter, tout là-haut, est vécu comme une insupportable intrusion. Une spoliation, presque.
Comme souvent, la fronde a été désamorcée par et sur Twitter. C'est @jack, Jack Dorsey, le PDG, qui a mis les choses au point en quelques tweets samedi soir. «Twitter, c'est le direct. Twitter, c'est le temps-réel. Twitter, ce sont les gens et les sujets que vous suivez. Et Twitter est là pour durer.» Cette intrusion algorithmique ne concernerait donc qu'une extension de la fonctionnalité «pendant votre absence», déjà en place depuis longtemps. Rien de bien grave donc. Pour cette fois. Ce genre de soulèvement est en effet appelé à se multiplier car au fond, Twitter ne veut plus être un outil. Un outil, c'est un peu has been, et surtout ce n'est pas assez rentable. Twitter veut devenir, comme tous ses petits camarades, une plateforme, un service centralisé dopé aux données personnelles. Quitte à exproprier, un jour, quelques historiques mécontents.