Mangez français ! Dans un contexte de crise de plus en plus tendue pour l'élevage hexagonal, ce nouvel avatar du made in France cher à Arnaud Montebourg est devenu la panacée dans le discours des politiques appelés au chevet du secteur agroalimentaire. «Il faut que la grande distribution joue le jeu du patriotisme alimentaire en mettant nos produits davantage en avant dans les magasins», lançait le Premier ministre, Manuel Valls, dès octobre 2014. «Le patriotisme alimentaire n'est pas celui d'une France rigide et repliée sur elle-même […] mais au contraire le moyen de déployer, dans le monde entier, la marque France et les dimensions de sécurité et de qualité alimentaires qui lui sont attachées», renchérissait en février 2015 Philippe Mangin, président de Coop de France, l'organisation professionnelle de la coopération agricole. Il ne manquait plus au tableau que le Front national qui, lors de son séminaire du week-end dernier, a aussi appelé au «patriotisme alimentaire».
Manger français comme seule réponse à la chute des cours du cochon breton ? Les éleveurs porcins n'ont pas attendu les politiques pour enfiler la marinière rayée bleu et blanc du bonnetier sud-finistérien Armor Lux et appeler les consommateurs à acheter de la côte de porc tricolore pour soutenir leur filière. Et, partant, défendre leurs emplois : ils demandent depuis des semaines à la Commission européenne un étiquetage stipulant l'origine de la viande dans les produits transformés, à l'instar de la mention «viande de France» sur les barquettes de bidoche hexagonale.
Trop content de trouver là une porte de sortie de crise, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, s'est engouffré dans la brèche : pour lui, manger français c'est désormais la bonne réponse à la distorsion de concurrence dont souffrent nos éleveurs face au moins-disant social et environnemental des viandes allemandes ou espagnoles low cost. Mais le gouvernement a les mains liées par les règles communautaires limitant l'intervention des Etats membres dans le soutien à leurs filières nationales. Alors il ne se prive plus de taper sur l'Union européenne. Tel Manuel Valls qui, lundi, à l'issue d'une rencontre avec les représentants de la grande distribution, a accusé la Commission européenne de «faire trop peu ou trop tard» pour résoudre la crise agricole en France. «Nous avons débloqué des mesures d'urgence depuis le début de la crise mais la crise est aussi européenne», a fait valoir le Premier ministre. Pas sûr que Bruxelles, tout à sa doxa de la concurrence libre et non faussée, soit sensible à cet argument. En attendant un hypothétique geste de la Commission, il va falloir, chers compatriotes, mastiquer français.