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Jour J pour «les Jours», média d’obsessions

Photo de famille de l'équipe du nouveau média en ligne «Les Jours», dans leurs locaux, le 9 février 2016. (Photo Roberto Frankenberg pour Libération)
publié le 10 février 2016 à 21h31

Quand ils évoquent leur projet, ils parlent tous en même temps, se coupent, se corrigent et terminent à tour de rôle leurs phrases. Alors, lorsqu’on reprend notre carnet le lendemain, on ne sait plus vraiment qui a dit quoi. Tant pis, on les citera sous forme collective.

Les Jours ? Derrière ce drôle de nom, qui fait plus penser à un film de Lelouch qu'à un média, on trouve huit anciens journalistes de Libérationet un entrepreneur, qui ont créé un site d'information généraliste et indépendant. La version pilote de ce pure player est lancée ce jeudi, avec une offre de démarrage à 1 euro par mois, jusqu'à ce que la version définitive soit prête.

«Trop-plein». A l'exception d'un fil d'actu,«lent», l'accès au site sera payant et sur abonnement. Neuf euros par mois, 90 par an, hors promo. «La logique de la gratuité n'est pas compatible avec notre projet éditorial. Pour vivre de la publicité, il faudrait faire du flux, de l'audience. Or, nous voulons nous extraire du flux. Nous faisons le constat qu'il y a un trop-plein d'informations.» Pas de volonté d'exhaustivité, donc : l'équipe traitera simultanément une douzaine de grands sujets. Dans une logique quasi-documentaire, originale pour un média d'information, ces «obsessions» sont conçues comme des séries de dix, vingt articles - pardon, «épisodes» -, voire plus. Ces reportages, récits ou analyses suivent pendant plusieurs mois des «personnages», dont les apparitions récurrentes doivent permettre d'incarner les sujets pour accrocher le lecteur et le pousser à s'abonner. «Chaque épisode doit pouvoir se lire tout seul, tempèrent les fondateurs. Mais l'idée est de suivre un thème du début à la fin.»

Par ailleurs, l'absence de pub a deux avantages. «Graphiquement, c'est un boulevard. On n'a pas de cases publicitaires imposées. Et cela a une très forte résonance auprès des lecteurs, en termes d'indépendance et de confiance.»

Sans pub. Mais économiquement ? Les Jours vivent depuis un an grâce aux bas de laine des fondateurs - qui resteront majoritaires au capital - et aux 80 000 euros de dons collectés l'été dernier auprès de 1 500 pré-abonnés. Neuf investisseurs privés, aux noms tenus secrets, vont aussi prendre une participation dans la société éditrice. Une partie des 750 000 euros nécessaires viendra, enfin, d'une opération d'investissement participatif, orchestrée par la start-up financière Anaxago, qui s'ouvre ce jeudi. Elle permettra à des particuliers de mettre des petits tickets, à partir de 2 000 euros.

«On croyait qu'on allait devoir batailler avec les investisseurs pour les convaincre de la pertinence du modèle. Pas du tout. Mediapart est passé par là.» Le succès du site d'investigation a montré qu'un autre monde, sans pub, était possible. Attention quand même. D'autres, comme Arrêt sur images et Ulyces, ont aussi tenté l'aventure. La plupart vivotent. Pour être à l'équilibre financier, avec 25 salariés (dont 20 journalistes), il faudra aux Jours 25 000 abonnés, et un peu plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires d'ici trois ans. Et convaincre les gens de payer 9 euros par mois, le prix d'un abonnement Netflix ou Spotify. Autre point d'interrogation : la place de l'écrit reste prédominante sur le site des Jours, malgré ses efforts graphiques et ses plumes : l'homo numericus de 2016, fan d'Instagram et de Twitter, est-il capable d'avaler autant de texte ? La dernière difficulté est évidente : pour réussir, la rédaction ne devra pas se planter dans le choix de ses obsessions.