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Bolloré part à l'assaut de Gameloft pour faire plier le clan Guillemot

En lançant une OPA hostile, le PDG de Vivendi espère pousser la famille à lui vendre son navire amiral Ubisoft. La perte de l'entreprise par le premier éditeur français de jeux vidéo serait un coup dur.
Vincent Bolloré. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 18 février 2016 à 20h10

Vincent Bolloré s'y entend quand il s'agit de pourrir la vie de ses rivaux en affaires. Alors que le PDG d'Ubisoft, Yves Guillemot, était à Londres aujourd'hui pour expliquer par A+B aux analystes pourquoi son groupe de jeux vidéo convoité par Bolloré devait rester à tout prix indépendant, le PDG de Vivendi a lancé ce soir sans crier gare une OPA hostile sur Gameloft. Spécialisée dans les jeux vidéo sur mobile, Gameloft appartient, comme l'éditeur de jeux Ubisoft, à la famille Guillemot. Les deux sociétés font l'objet des convoitises de Bolloré depuis des semaines et l'homme d'affaires breton n'a eu de cesse de grimper dans leur capital, malgré la farouche volonté d'indépendance des frères Guillemot. Mais dans cette partie de blitzkrieg, Bolloré semble avoir, cette fois, lancé son offensive finale contre la citadelle du premier éditeur français de jeux vidéo (Assassin's Creed, Far Cry, les Lapins crétins…) en tentant de lui enlever le contrôle de ses jeux sur mobile, secteur éminemment stratégique pour l'avenir.

La maison mère de Canal+ a ainsi franchi ce jour le seuil des 30% du capital de Gameloft et a déposé dans la foulée «un projet d'offre publique d'achat visant la totalité des actions de Gameloft au prix de 6 euros par action», a annoncé Vivendi dans un communiqué. L'OPA valorise Gameloft à 512 millions d'euros. Une somme, largement à la portée du chéquier du PDG de Bolloré. Le groupe disposait au 31 décembre 2015 d'un trésor de guerre de 6,4 milliards d'euros… L'offre de Vivendi représente aussi une prime de 50,4% par rapport au cours de Gameloft avant le début des hostilités avec Vivendi mi-octobre. Mais elle n'est que légèrement supérieure au cours actuel de la société de jeux sur mobile (5,4 euros aujourd'hui), qui a profité ces dernières semaines de la spéculation sur son éventuel rachat. Mais dans le contexte actuel de volatilité des marchés, les actionnaires institutionnels et individuels de Gameloft pourraient être tentés de vendre leurs titres en bloc à Vivendi qui détient déjà près d'un tiers du capital. Gameloft tomberait alors comme un fruit mûr dans les rets de Vincent Bolloré, car malgré ses récents efforts pour verrouiller sa maison, la famille Guillemot ne détient à ce jour que 18,99% du capital et 27,26% des droits de vote de Gameloft.

Vivendi, non merci

«Le projet d'acquisition de Gameloft, approuvé aujourd'hui par le conseil de surveillance de Vivendi, s'intègre parfaitement dans la stratégie de développement [de Bolloré] comme un leader mondial des contenus et des médias», claironne le groupe dans un communiqué diffusé ce jeudi soir. Il n'a pas échappé au milliardaire que «le segment des jeux vidéo pour mobile est celui qui devrait connaître la plus forte croissance». Vivendi assure que le fait d'avaler Gameloft serait «créateur de valeur pour les deux entreprises». Et le groupe de médias et de divertissement – qui possède notamment Canal+, Universal Music et DailyMotion – promet «d'apporter à Gameloft de nouveaux leviers de développement industriels et financiers» en son sein protecteur.

Mais pour le raider Bolloré, le but de la manœuvre est clair : priver le navire amiral Ubisoft de sa société soeur spécialisée dans les jeux sur mobile, pour amener le clan Guillemot à rendre les armes. Pas gagné. En milieu de journée, le PDG d'Ubisoft, Yves Guillemot, martelait encore devant les analystes anglo-saxons sa farouche volonté de rester «indépendant» : «La clé du succès d'Ubisoft a été son agilité et sa capacité à s'adapter, ce qui ne serait plus possible dans un groupe plus grand qui ne partage pas notre vision et à qui il faudrait demander une validation bureaucratique pour chaque décision», a-t-il lancé. Vivendi, non merci. Cela reste la position des Guillemot qui dénoncent depuis le début de l'affaire à l'automne «l'agression» de Bolloré.

Ubisoft assiégé

Mais la famille Guillemot a beau être aussi bretonne et têtue que Vincent Bolloré, elle n'a que peu d'options pour défendre son bien assiégé par l'envahisseur financier : à ce jour, elle ne détient que 9% du capital d'Ubisoft (et le double en droits de vote), quand Vivendi vient de monter à 15% du capital… Yves Guillemot a promis au marché un bond de 60% des ventes d'Ubisoft dans les trois ans à 2,2 milliards d'euros grâce à de nouveaux jeux guerriers comme The Division, For Honor et Wildlands. Avec de juteux dividendes à la clé pour les actionnaires qui apporteraient leur soutien à cette stratégie…

L'opération séduction a plutôt bien fonctionné puisque l'action d'Ubisoft a signé l'une des plus fortes hausses (+11%) aujourd'hui à la Bourse de Paris. Cela aura au moins eu le mérite de renchérir la valeur de la cible : Ubisoft est désormais valorisé à plus de 2,4 milliards d'euros. Si Vivendi veut lancer une OPA sur cette dernière dans la foulée de celle en cours sur Gameloft, le groupe de Bolloré devra donc signer un chèque d'au moins 2 milliards d'euros… A sa portée. Mais cette fois ce sont les actionnaires de Vivendi qui pourraient s'inquiéter de la stratégie dépensière de l'homme d'affaires. On attend maintenant le prochain tour de jeu de ce wargame sans merci : les Guillemot vont-ils rendre les armes ou chercher un allié pour contrer le panzer Bolloré ?