«Pourri !», «Démission !», «Dégage !», «Bon à rien !», «Connard !»… Dans un contexte on ne peut plus tendu en raison de la crise que traverse l'élevage français depuis bientôt un an, François Hollande a été vilipendé samedi matin par des professionnels lors de l'inauguration du Salon international de l'agriculture, à Paris. Surprise alors que le chef de l'Etat et son ministre de l'Agriculture sont en recherche de solutions nationales et européennes pour sortir la filière de l'ornière ? Oui et non. En se présentant Porte de Versailles à 7 h 35, le Président et ses équipes savaient qu'ils risquaient d'être malmenés par les éleveurs. Cela a été le cas. Et ce, en dépit de la présence aux côtés du chef de l'Etat et de son ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, de Xavier Beulin, le tout puissant président de la FNSEA, principal syndical agricole, dont on pouvait imaginer qu'il garantirait une certaine paix sociale au locataire de l'Elysée lors de cette visite à l'heure de la traite des vaches. Mais non. Le syndicaliste a d'ailleurs présenté hier ses excuses au chef de l'Etat. A 9 h 30, après avoir abruti le pavillon 4 du salon avec force sifflets, une frange de l'organisation syndicale les Jeunes Agriculteurs a entrepris de démonter le stand du ministère de l'Agriculture, entraînant l'interpellation de deux membres par la police. Syndicalistes qui, promesse du préfet de police de Paris, ont obtenu de ne pas faire l'objet de poursuites après que leurs camarades se sont dispersés dans le calme. «Je n'ai jamais connu une inauguration de salon aussi difficile pour le président de la République, témoigne Michel, éleveur de porcs breton, qui vient depuis trente ans Porte de Versailles en février. La profession est à bout et elle ne voit aucune lumière au bout du tunnel, malgré les mesurettes de l'Etat.»
Photo Laurent Troude
«Aumône». Partant, c'est davantage le statut de chef de l'Etat que Hollande lui-même qui a été l'objet des invectives. «On est en train de crever, éructait Xavier, producteur de lait de la Loire. Il faut absolument que l'Etat nous vienne en aide. Sinon, on n'y arrivera pas. Et ce ne se sont pas ces aides financières qui vont régler nos difficultés. Nous, ce que l'on veut, ce sont des prix. Pas une aumône qui ne règle rien.» Et c'est là que tout se complique. A la fois pour les décideurs - Hollande et Le Foll - et pour les éleveurs. Car ce dont parle le Breton Michel avec les «mesurettes» de l'Etat, ce sont les 825 millions d'euros d'aide débloqués pour le secteur de l'élevage, sans compter les 7 points de baisse sur les cotisations socialesainsi que l'année blanche sur les charges décrétée pour les agriculteurs les plus en difficulté.
Désormais, l'Etat ne peut guère aller plus loin financièrement pour soutenir ses éleveurs, sauf à se faire punir par Bruxelles pour distorsion de concurrence vis-à-vis des producteurs des autres pays communautaires. Cependant, sur le plan national, le Président dispose d'une dernière carte dans son jeu avec la loi de modernisation de l'économie (LME), adoptée en 2008 que les agriculteurs accusent de contribuer à la chute des prix de leurs productions. Mis en place sous Sarkozy, ce texte instaure la liberté de négociation des prix entre les centrales d'achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs. L'idée étant d'augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs, en favorisant des baisses de tarif. Le gouvernement veut réviser la LME avant l'été pour répondre aux demandes des agriculteurs. Ces derniers reprochent au système actuel d'avoir trop dérégulé les négociations tarifaires avec les distributeurs, et surtout de ne pas prendre en compte les intérêts des producteurs, pas impliqués dans les discussions, organisées principalement entre les enseignes de distribution et les industriels de l'agroalimentaire. Les exploitants n'ont de cesse de dénoncer une «course aux prix toujours plus bas» et d'appeler les pouvoirs publics à rééquilibrer les relations commerciales avec les transformateurs et les distributeurs en leur faveur. Pour le ministre de l'Agriculture, «il faut indiquer dans ces négociations tripartites le fait que les producteurs doivent aussi en être partie prenante». Voilà pour le volet franco-français.
Indispensables. Sur le champ communautaire, François Hollande s'est voulu ferme au salon : face à des marchés européens en surproduction, notamment depuis la fin des quotas laitiers l'an passé, des outils de régulation entre pays membres sont indispensables. Le prochain Conseil de l'UE sur l'agriculture aura lieu le 14 mars. D'ici là, la France doit convaincre le très libéral commissaire européen à l'Agriculture, Phil Hogan, qui était en visite à Paris la semaine passée, de la nécessité d'encadrer les productions agricoles au sein des pays membres. Ce qui est très loin d'être gagné. Et c'est un euphémisme face à cet Irlandais qui ne jure que par l'autorégulation des marchés.
Photos Laurent Troude