Alexandre de Juniac saute de l’avion en vol à la surprise générale. Le PDG du groupe Air France-KLM dont le mandat avait été renouvelé en mai dernier va quitter ses fonctions à la tête du groupe franco-néerlandais au plus tard en juillet. Cet ancien haut fonctionnaire arrivé en 2011 à la tête d’Air France après avoir dirigé le cabinet de Christine Lagarde à Bercy et œuvré dans la défense chez Thalès ne quitte pas pour autant le monde de l’aérien puisqu’il doit atterrir début août à la tête de l’Association internationale du transport aérien (IATA). Son conseil des gouverneurs, composé d’une trentaine de patrons de compagnies aériennes, l’a choisi pour succéder à l’anglais Tony Tyler, ancien patron de la compagnie Cathay Pacific, dont le mandat arrive à échéance cet été.
Réputé pour sa franchise et son goût de la provocation, peu apprécié des pilotes - c'est un euphémisme -, avec lesquels ses relations ont souvent été très houleuses, «Juju les belles bretelles», comme l'ont surnommé certains, a annoncé son départ ce mardi soir à l'ensemble des personnels du groupe par un message interne doublé d'une vidéo. Il avait informé un peu plus tôt dans la journée les membres du conseil d'administration de ce choix personnel et relevant de sa seule volonté. Déjà lancé avec l'aide d'un cabinet de recrutement, le choix de son successeur devrait probablement se faire en dehors de la compagnie. Les noms de Fabrice Brégier, actuel PDG d'Airbus, déjà approché mais qui aurait décliné l'offre, de l'actuel PDG de la SNCF Guillaume Pepy, ainsi que du patron de la Fnac Alexandre Bompard, qui avaient tous deux fait preuve de marques d'intérêt pour ce poste à hauts risques, ont été cités.
Complet néophyte dans le secteur lorsqu’il avait débarqué chez Air France en 2011 - il confessait alors n'être spécialiste que des plateaux-repas servis à bord - après avoir échoué, pour cause de conflit d’intérêts, à prendre la tête d’Areva, Alexandre de Juniac aura été l’homme du retour aux bénéfices d’Air France. Après six années d’exercice déficitaire et la tempête déclenchée par la crise financière de 2008 pour l'ensemble du secteur, ils sont repassés pour la première fois dans le vert en 2015 à la faveur d'une excellente saison estivale l'an dernier et de la baisse des prix du kérosène. Un résultat cependant obtenu au prix de lourds d'efforts et d'une transformation radicale de la compagnie pour s'aligner sur les standards haut-de-gamme des compagnies du Golfe dont la concurrence, en partie déloyale selon les grandes compagnies européennes, s'est exacerbé ces dernières années.
Alexandre de Juniac aura été l’artisan de deux plans d’économies drastiques occasionnant des milliers de départs volontaires et de nombreuses tensions sociales qui ont culminé avec un très long mouvement de grève des pilotes en 2014, le plus long de l’histoire de la compagnie puis l'épisode de la chemise arrachée du DRH à l'automne dernier. Il y eu d’abord le plan "Transform 2015" achevé l’an dernier, puis "Perform 2020" toujours en cours de négociation avec les personnels navigants mais pour lequel la direction est parvenu à un accord avec les personnels au sol.
Apaiser les débats
«On discute toujours et on doit même se revoir demain avec la direction, explique une représentante SNPL, le syndicat majoritaire des pilotes d'Air France jointe par Libération. Mais ses propositions restent encore très éloignées des nôtres. Elles sont d'autant plus inacceptables en l'état compte tenu des résultats dégagés l'an dernier par la compagnie, poursuit-elle. Avec le cours actuel du pétrole et la progression du transport aérien au niveau mondial, les éléments sont réunis pour renouer avec une vraie politique de croissance».
Un terme souvent employé par Alexandre de Juniac lui aussi mais en lui accolant systématiquement le corollaire d'une productivité accrue pour les pilotes. Dans sa version initiale, le plan "Perform 2020" la fixait à +17%. Mais après les bons résultats de l'an passée et afin de ne pas braquer le syndicats de pilotes qui avaient refusé net ce plan à l'automne dernier précipitant une nouvelle crise, la direction préfère maintenant parler «d'aller aussi loin que possible dans un accord construit ensemble, pas de remplir des cases prédéfinies», selon l'expression de Gilles Gateau, le nouveau DRH d'Air France. La direction d'Air France n'a pas non plus cette fois fixé de date butoir, afin de «ne pas renouveler les erreurs du passé».
S’il n’a pas été poussé vers la sortie par l’Etat, premier actionnaire de la compagnie avec 17,6% du capital, on imagine que le gouvernement n’aura pas non plus forcément cherché à retenir Alexandre de Juniac en dépit de l’indéniable redressement qui aura marqué son passage à la tête du pavillon tricolore aérien. Son départ pourrait selon certains contribuer à apaiser les débats et débloquer une situation qui malgré un dialogue renoué reste dans l’impasse avec les syndicats de pilotes.
Parmi les quelques 3300 officiers pilotes et commandants de bord de la compagnie qui représentent 25% de sa masse salariale, certains faisaient du retrait de l'actuel PDG le préalable à la signature d'un nouvel accord de productivité. Avec son nouveau bâton de maréchal de la direction de l'IATA qu'il sera le premier français à diriger, Alexandre de Juniac promet de «continuer à défendre le transport aérien et toutes les compagnies aériennes, dont Air France-KLM». Un nouvelle mission qui s'annonce moins conflictuelle.