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Volkswagen toujours plombé par le «Dieselgate»

Déficitaire pour la première fois depuis 1993, le groupe allemand a cependant repris sa place de numéro 1 mondial des ventes. Pour autant, VW n’en a pas fini avec les répercussions du scandale des moteurs truqués.
Le parking-vitrine de VW à Wolfsbourg, ville du siège social de la marque. Quatre cents véhicules peuvent y être entreposés. (Photo Julian Stratenschulte. DPA)
publié le 28 avril 2016 à 20h41

«Volkswagen, c'est bien plus que la crise du Dieselgate.» Matthias Müller a tenté de faire bonne figure, jeudi, en présentant les résultats 2015 du constructeur allemand au siège de Wolfsbourg. La partie n'était évidemment pas facile pour le patron de Volkswagen. Le géant automobile aux douze marques a plongé dans le rouge en 2015, pour la première fois depuis 1993. Mais le cœur de l'activité reste sain, assure la direction qui prévoit un retour aux bénéfices cette année. Le scandale des moteurs truqués risque pourtant de peser longtemps sur le futur du groupe.

1- Quel impact sur les comptes de VW ?

Volkswagen avait habitué ses actionnaires à des profits souvent supérieurs à 10 milliards d'euros par an au cours des vingt dernières années. En 2014, le bénéfice net du groupe avait ainsi atteint 11 milliards d'euros. Mais avec le «Dieselgate» qui a contraint l'entreprise à faire d'importantes provisions afin de faire face aux poursuites judiciaires, VW a terminé 2015 sur une perte nette de 1,6 milliard d'euros. Dans ces conditions, comment Volkswagen peut-il miser sur un retour aux bénéfices dès cette année ? «C'est possible, estime Frank Schwope, analyste automobile à la banque NordLB. Parce que VW a gagné beaucoup, beaucoup d'argent pendant des années. Et parce que les ventes restent stables, voire en légère hausse au premier trimestre.»

2- Comment se portent les ventes ?

Malgré le scandale, VW a repris à Toyota sa place de premier constructeur mondial avec 2,51 millions de véhicules vendus au premier trimestre 2016. Il faut dire que le japonais n'a pas été aidé par l'explosion intervenue le 8 janvier dans l'usine d'un de ses principaux fournisseurs : Toyota a dû suspendre sa production pendant toute une semaine en février, faute de pièces détachées… Résultat : ses ventes annuelles ont reculé de 2,3 % quand celles du groupe VW progressaient de 0,8 % dans le même temps. Mais «VW doit cette progression au premier trimestre à ses ventes en Chine. La motorisation diesel et la problématique des moteurs truqués sont totalement absentes du marché et du débat chinois», rappelle Frank Schwope. A tel point que depuis octobre, les ventes en Chine sont particulièrement bonnes pour le groupe. Et si en Europe, VW souffre désormais d'un sérieux problème d'image, les autres marques du groupe, comme Audi, Skoda et Porsche, sont relativement épargnées.

Au premier trimestre, les ventes de l’ensemble des marques de VW ont ainsi progressé de 3,5 % dans l’Union européenne. Et la marque en elle-même n’a souffert que d’un un léger recul de 0,2 %, malgré une politique de prix agressive, avec des rabais allant jusqu’à 20 % chez le concessionnaire. Car ce qui pourrait ressembler à une bonne performance est à relativiser : le marché européen de la voiture particulière se porte très bien depuis plus d’un an. Durant le premier trimestre 2016, les ventes, toutes marques confondues, ont augmenté de plus de 8 % par rapport à la même période 2015.

3- Quel sera le coût du scandale ?

VW a provisionné 16,2 milliards d’euros en 2016 afin de faire face aux poursuites judiciaires, notamment aux Etats-Unis. La somme servira aussi à couvrir le rappel des 11 millions de véhicules concernés à travers le monde, ainsi que le rachat des voitures aux consommateurs dupés. Les rappels doivent débuter la semaine prochaine en Allemagne.

Mais le groupe a échappé au pire en signant en mars un accord à l'amiable avec la justice américaine, qui devrait lui éviter un procès. «Je pars du principe que le scandale coûtera entre 20 et 30 milliards d'euros au groupe, estime Frank Schwope. Pour Volkswagen, qui a réalisé de si importants bénéfices au cours des dernières années, c'est supportable.» Mais ce sont des milliards que le groupe ne pourra investir dans les technologies du futur, notamment dans la voiture autonome. Matthias Müller annonce pourtant une offensive de Volkswagen sur le créneau des voitures électriques, avec le développement de vingt modèles hybrides ou électriques d'ici 2020, au lieu de neuf à l'heure actuelle.

4- Le nouveau patron est-il à la hauteur ?

Matthias Müller, ancien patron de Porsche, a pris au pied levé la succession de Martin Winterkorn, qui a endossé la responsabilité du scandale. Mais Müller, qui a passé toute sa carrière au sein du groupe (holding, Audi, Porsche), n’incarne pas vraiment le renouveau. De plus, il a commis plusieurs erreurs dans sa gestion du Dieselgate. Lors d’une visite désastreuse à Detroit en début d’année, il a semblé minimiser l’ampleur du scandale au lieu de faire profil bas. Et tout récemment, il n’a pas su régler discrètement la question des bonus de la direction : les débats internes (pour ou contre le versement de primes et bonus aux membres du directoire) se sont étalés dans la presse.

Visiblement, le nouveau patron n’est pas encore parvenu à s’imposer auprès des organes décisionnaires du groupe que sont le conseil de surveillance, les représentants du personnel et le Land de Basse-Saxe. Au sein du groupe, le pouvoir reste entre les mains des familles Porsche et Piëch, actionnaires principaux de VW. Selon certains observateurs, Müller ne serait qu’un chef de transition, chargé de gérer les conséquences du scandale pour ensuite céder la place à Herbert Diess, qui a davantage un profil de visionnaire.

5- Quel risque pour l’emploi et les salaires ?

Les salariés ont présenté leurs revendications en vue des prochaines négociations salariales. Le syndicat allemand de la métallurgie IG Metall réclame 5 % de hausse des salaires. «Ils obtiendront entre 3 et 4 %», estime Frank Schope. La revendication peut paraître élevée dans le contexte actuel. «Les salariés des chaînes de montage, de la fonderie ou des services administratifs ne sont pas les auteurs des manipulations, fait remarquer Hartmut Meine, principal négociateur d'IG Metall. C'est pourquoi le personnel n'est pas prêt à en payer le prix. D'autres doivent en assumer la responsabilité.» Le syndicat, qui veut aussi un élargissement du régime des retraites anticipées, appelle VW à soumettre une proposition «constructive» lors de la prochaine rencontre des négociateurs, le 2 mai. En l'absence d'un accord d'ici le 31 mai, lorsqu'expirera l'accord tarifaire actuel, IG Metall pourrait appeler à des débrayages. En attendant, salariés et représentants du personnel sont inquiets pour l'emploi. Volkswagen emploie 120 000 personnes en Allemagne ; 600 000 à travers le monde. 3 000 postes ont été supprimés dans l'administration (sans licenciements) dans le sillage du scandale. En conférence avec les analystes financiers jeudi, la direction de VW a assuré qu'un pacte pour l'avenir du groupe pourrait être signé d'ici la fin de l'été. Les salariés s'inquiètent tout particulièrement du sort des usines ouest-allemandes de VW, réputées moins rentables que celles de la concurrence, en raison notamment de salaires élevés.