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Libération
Billet

Arrêtons de prendre le lecteur pour un con

Publié le 02/05/2016 à 16h32

Du mépris et de la condescendance  ? Ou au contraire de l'humour et de l'écriture  ? La chronique de Daniel ­Schneidermann publiée hier a suscité débats et interrogation notamment parmi tous ceux qui scrutent la bonne marche des médias. Le patron d'Arrêt sur Images qui tient une rubrique médias dans Libé et sur libe.fr tous les lundis (avec toute la liberté que suppose cet exercice) s'adresse aux abonnés SFR qui, grâce au nouveau kiosque SFR Presse, sont aujourd'hui en mesure de découvrir (ou pas) Libération. Journal qu'en résumé, Daniel Schneidermann associe aux «vestiges de cette époque où les journalistes écrivaient pour les lecteurs».

Nous, à Libé, on l'a plutôt pris comme un compliment de la part de quelqu'un qui défend une haute idée du journalisme. D'autres y ont vu la défense d'une presse à l'ancienne (comprendre «périmée») et du mépris pour le lecteur qui serait incapable de différencier le bon journalisme du mauvais. De plus, cette chronique ayant été publiée à quelques pages d'écart d'une pub SFR, certains y ont perçu un lien de cause à effet, qui a autant de réalité que bon nombre de théories du complot.

Des discussions intéressantes mais pas tout à fait à la hauteur des enjeux que traverse la presse aujourd’hui. Et surtout, elles ont tendance à instrumentaliser un lecteur dont nous nous demandons chaque jour comment nous pouvons l’intéresser à la lecture de notre journal, de notre site web, de notre application, de nos futurs projets… En ayant conscience de nos forces et de nos faiblesses, mais sans préjuger d’un savoir que personne ne maîtrise réellement, à un moment où les contenus circulent plus facilement que les marques.

Qui a décidé que le lecteur ne peut pas aimer à la fois un GIF et une longue enquête qu’il partagera tout autant  ? Qui peut affirmer qu’un lecteur ne sait pas faire la différence entre tout ce qu’il consulte  ? Qui est tenté par un monde où un journal refléterait une opinion unique au lieu d’être le reflet des débats contradictoire qui le traversent ? Pas nous en tout cas.

Nous sommes passés d’un monde où il fallait écrire comme si le lecteur ne savait rien à un monde où le lecteur est susceptible de tout savoir, où il peut être autant voire plus spécialiste que le journaliste. Et nous le faire savoir. Nous vivons une époque où ce qui va faire la différence c’est l’angle, le sujet, la valeur ajoutée, la contribution…

La multiplication des sites et des sites spécialisés pose forcément un problème à la presse généraliste, et il faut aujourd'hui s'adresser aussi bien aux spécialistes qu'à celui qui découvre un sujet, ou à cet autre qui va pouvoir comparer tout ce qui a été écrit. Le journalisme sur Internet permet ce que permettait déjà la «vieille» presse, mais en mieux, est-on tenté d'ajouter. Surtout, on ne peut résumer les contenus numériques à des GIFs ou des news. Libération, Le Monde, Mediapart, Slate, Arrêt sur Images, Buzzfeed… le montrent, chacun dans leur domaine ou leur format. Nous avons tous davantage de questions que de réponses. Mais si nous avons une seule certitude, c'est que nous ne gagnerons rien à prendre le lecteur (et l'abonné SFR) pour un con.