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Libération
Décryptage

Tarmac miné pour le nouveau boss d’Air France

Jean-Marc Janaillac prend les commandes du transporteur à un moment délicat, entre conflit social et impératif de réduction des coûts.

Manifestation à Paris à l'appel des syndicats d'Air France pour la défense des emplois, des salaires et de la protection sociale, le 8 octobre 2015. (Photo Julien Daniel. MYOP)
Publié le 02/05/2016 à 20h21

Un profil «très international et aussi très orienté vers le client», capable de «bien gérer» la relation avec l'Etat, principal actionnaire, et surtout «un réformateur courageux et tenace». Au lendemain de l'annonce de son départ surprise de la présidence d'Air France-KLM pour prendre son bâton de maréchal à l'IATA, l'Association internationale des transporteurs aériens, c'est le portrait-robot qu'Alexandre de Juniac dressait de son successeur dans un entretien au quotidien les Echos. Depuis dimanche soir, le nom de cet oiseau rare qui prendra ses nouvelles fonctions cet été et pour un mandat de trois ans est connu. Il s'agit de Jean-Marc Janaillac, 63 ans, qui dirigeait jusqu'ici Transdev, l'opérateur de transports terrestres conjointement détenu par la Caisse des dépôts et Veolia. Un groupe majoritairement public guetté par la faillite lorsqu'il en avait repris les rênes en 2012 et dont il a réussi le redressement en se débarassant notamment de la SNCM, que Transdev possédait à 66 %.

Ex-patron de la branche internationale de la RATP, où il a eu l’occasion de développer un savoir-faire reconnu en matière de dialogue social, il était un des rares candidats extérieurs à Air France pouvant se targuer d’une expérience dans l’aérien. Administrateur de la compagnie de 1999 à 2004, il a été le numéro 2 du défunt transporteur aérien français AOM et connaît le secteur du tourisme pour avoir dirigé le voyagiste Maeva. Mais c’est aussi un proche du chef de l’Etat, dont il a été un condisciple à HEC et à l’ENA, et qu’il a conseillé sur les transports lors de la dernière présidentielle.

D’où les soupçons de nomination politique que ce choix n’a pas manqué d’éveiller, alors même qu’il aurait, d’après différentes sources, mené une campagne indépendante et discrète, sans chercher par tous les moyens à l’emporter. Il faut dire qu’au moment où la situation est à nouveau dans l’impasse avec les pilotes, diriger le deuxième transporteur européen par le nombre de passagers (87,4 millions pour l’ensemble Air France-KLM, contre plus de 90 millions pour Ryanair) sera tout sauf une sinécure. Inventaire des principaux défis qui attendent le nouveau pilote du pavillon franco-néerlandais.

Revenir durablement aux bénéfices

Pour la première fois depuis 2010 chez Air France-KLM - et 2007 pour la seule Air France -, le groupe aérien a dégagé un bénéfice net en 2015. Soit 118 millions d’euros, à comparer avec une perte de 225 millions en 2014. Une performance dopée par une bonne saison d’été, mais qui s’explique en grande partie par un élément conjoncturel : la baisse providentielle de 2,6 milliards d’euros de la facture de kérosène en raison de la chute des cours du pétrole.

Si les résultats du premier trimestre 2016 annoncés ce mardi devraient confirmer ce retour aux bénéfices, Air France-KLM reste cependant lanterne rouge des grands groupes de transport aérien, avec une marge d’exploitation de 3,1 %. Ses principaux concurrents européens, IAG (Iberia-British Airways) et Lufthansa, ont dégagé en 2015des bénéfices respectifs de 1,5 milliard d’euros et de 1,7 milliard d’euros. D’où la nécéssité pour Air France d’accélérer afin de pouvoir investir plus et acheter des avions, et résister à la concurrence des compagnies du Golfe sur le haut de gamme et en direction de l’Asie et aux compagnies low-cost en Europe. Frédéric Gagey, le patron d’Air France, a fixé à 700 millions d’euros annuels le niveau de bénéfices nécessaire pour permettre au pavillon français de faire face aux nombreux aléas du marché aérien. D’où l’impératif de réduire les coûts avec un objectif de 1,5 % par an d’ici à 2020, ce qui passe nécessairement par un accord avec les différentes catégories de personnel. Un accord obtenu chez KLM et pour les agents au sol d’Air France, mais pas avec les personnels navigants de la compagnie française.

Trouver un accord avec les pilotes

Ce sera le principal enjeu pour Jean-Marc Janaillac, qui doit réussir là où Alexandre de Juniac s'est cassé les dents. Au terme de la plus longue grève des pilotes de l'histoire de la compagnie en 2014, ce dernier a certes réussi à maintenir des conditions de rémunération et de travail distinctes pour les pilotes Air France détachés chez Transavia, la filiale low-cost du groupe. Mais il a échoué à trouver un accord avec les 3 680 pilotes d'Air France, qui représentent à eux seuls 25 % de la masse salariale de la compagnie. Leur syndicat majoritaire, SNPL, a refusé l'accord concocté par Gilles Gateau, le nouveau DRH d'Air France et ex-conseiller social de Manuel Valls à Matignon, qui leur avait laissé jusqu'au 1er mai pour accepter sa proposition. Elle visait à baisser la rémunération à l'heure de vol en la compensant par une augmentation du temps de travail pour «coller à la saisonnalité» de l'activité. Avec la promesse de nouvelles embauches et d'un plan de vol revu à la hausse à partir de 2017, la direction faisait surtout miroiter aux pilotes un déblocage de la «liste de séniorité» (avancement) qui leur permet d'augmenter leur rémunération en montant en grade. «Inacceptable», a répondu le SNPL, qui a refusé «des sacrifices importants en échange de promesses sur l'emploi et la croissance», et a fait de la préservation des rémunérations une ligne rouge.

L'annonce de la démission de Juniac - dont le départ constituait un préalable à tout accord pour la frange dure des pilotes - n'a pas été de nature à les inciter à infléchir leur position. Joint par Libération, la secrétaire générale du SNPL, Véronique Damon, se dit «prête à travailler» avec le nouveau PDG qui devra, dit-elle, «relever deux défis : restaurer la confiance avec l'ensemble des catégories de personnel et proposer un projet auquel on ait tous envie d'adhérer, ce qui a cruellement manqué ces dernières années».

En attendant et avant même l'arrivée du nouveau patron, la direction dispose de deux armes pour contraindre les pilotes à augmenter leur productivité. Après une décision de justice en sa faveur, elle peut d'une part mettre en place les mesures du précédent accord «Transform 2015», approuvées par les pilotes mais jamais appliquées. De l'autre, faire opérer certains vols par d'autres compagnies après l'extinction, fin mars, de certains accords dits de «périmètre». Et ce sans demander l'accord des pilotes. «Tout cela sera affaire de gradation», veut croire Véronique Damon. Selon elle, un passage en force se traduirait par de nouveaux recours en justice et ne serait pas la meilleure manière de préparer le terrain pour Janaillac. Une option «terre brûlée», selon l'expression du SNPL, susceptible de déclencher de nouveaux arrêts de travail, puisque le syndicat a récemment voté une motion pour «s'opposer par tous moyens, y compris la grève, à toute modification unilatérale par la direction des conditions de travail ou de rémunération des pilotes, ou de non-respect du périmètre actuel». Ambiance.

L’attitude de la direction envers les pilotes sera déterminante dans les négociations qui s’ouvrent sur le nouveau plan, «Perform 2020», avec les personnels au sol et les navigants (hôtesses et stewards), qui ont, eux, accompli toute leur part de «Transform 2015». Un plan qui devrait se traduire par des départs volontaires (1 405 postes au sol et 200 de navigants) mais conditionné au retour à un plan de vol à l’équilibre dès 2017 - il a été réduit pour 2016 -, lui-même conditionné à l’obtention de gains de productivité… et donc à un accord avec les pilotes. Ce plan de vol pour 2017 ne sera connu qu’à l’automne, ce qui laisse encore un délai à la direction et aux pilotes pour trouver une solution. Jean-Marc Janaillac n’arrivera officiellement chez Air France qu’à l’été mais va devoir très vite se mettre au parfum s’il veut débloquer la situation d’ici là.

Tracer une feuille de route pour l’Asie

Solidement installé sur ses lignes long courrier vers l’Amérique et l’Afrique, Air France a plus de mal à se déployer vers l’Est et l’Asie. La compagnie, qui vise 80 % de lignes long courrier à l’équilibre, contre 50 % aujourd’hui, va devoir réfléchir à un accord avec une compagnie asiatique et probablement chinoise pour muscler ses parts de marché sur ces lignes en pleine croissance, comme elle l’a déjà fait avec Delta pour l’Amérique ou Jet Airways pour l’Inde.

Dernier chantier, le développement de sa filiale low-cost Transavia en France qui ne disposera pas de bases étrangères, comme c’est le cas avec la nouvelle plateforme de Munich pour Transavia Pays-Bas. Toujours déficitaire, la filiale s’est fixé pour objectif de parvenir à l’équilibre en 2017. Bienvenue à bord.