Ils ont créé Simplon en 2013 à partir d'un constat : «Tout le monde dit que l'informatique est réservée aux bac + 5 et bon nombre de PME-TPE n'ont pas encore pris le virage du numérique.» Leur public : les décrocheurs, les jeunes issus des quartiers difficiles, des zones rurales ou de l'outre-mer… En quelques années, Simplon.co est devenu «le plus grand réseau de fabriques labellisées "grande école du numérique"». Il propose dans la quinzaine d'écoles ouvertes des formations gratuites et intensives pour apprendre à créer des sites web et des applications mobiles. Et aux étudiants qui y passent d'en faire leur métier.Avec un taux de réussite à la sortie de 80 % («contrat pro», CDD, CDI, élèves qui reprennent des formations ou se mettent à leur compte).
Profils. A l'origine, Erwan Kezzar, 30 ans, et Frédéric Bardeau, 40 ans, les deux cofondateurs avaient monté une agence web et désiraient apprendre à créer des applications web et mobile. «On voulait former des gens intensivement de façon spécialisée et gratuite, sans condition de diplôme à l'entrée. Avec des profils peu représentés dans le métier : des demandeurs d'emploi - ils sont 80 % à Simplon -, des originaires de quartiers estampillés "politique de la ville" ou de zones rurales, des profils féminins - 35 % actuellement à Simplon - et des seniors…»
Les revenus de l'école sont issus pour un tiers de la formation professionnelle, un autre tiers de financements publics (cinq écoles vont ouvrir en 2017 à Clichy, Aulnay-sous-Bois, Paris XXe et Sarcelles) et le dernier tiers de prestations fournies par Simplon Prod, une agence qui emploie d'anciens élèves. Outre les premiers locaux situés à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une quinzaine d'écoles ont ouvert à Marseille, Roubaix, Boulogne-sur-Mer, Narbonne, Mende, Le Cheylard… Simplon a par ailleurs monté une fondation qui permet de recevoir du mécénat, par exemple à destination des réfugiés politiques. Parmi les prestations fournies, les marathons d'innovation ou les ateliers numériques. Simplon travaille également de plus en plus avec les Opca (organismes paritaires collecteurs agréés), financeurs de la formation par branche qui s'intéressent à l'insertion.
Quand il tire un premier bilan, Erwan Kezzar est aujourd'hui presque étonné. «On n'aurait jamais cru lancer l'affaire aussi loin… Le gouvernement a lancé un programme national de formations gratuites sur le numérique, il y a eu un "hackathon" à l'automne 2015 à l'Elysée…»Autre bonne surprise : la diversification des activités. Notamment en direction de la formation des enfants ou des petites entreprises. «On n'avait pas anticipé que ce qu'on faisait se marierait aussi bien avec la formation professionnelle», souligne Kezzar, qui dit s'être très vite «recentré sur l'accès à l'emploi».
Perspectives.Philosophiquement, Kezzar se dit opposé à la Silicon Valley, le cœur de l'innovation américaine, où «tout va très vite». Il estime que le monde actuel a surtout besoin d'un numérique qui crée de l'emploi avec une dimension sociale. «C'est une victoire quand des étudiants qui viennent des quartiers se mettent à former des personnes de HEC, dit-il. On veut donner des perspectives à ceux qu'on forme, mais aussi leur fournir un moteur citoyen.».
Le brassage des étudiants est selon Kezzar un atout («Il y a des apprenants qui rencontrent des gens qui ne pensent pas du tout comme eux») et la diversité des profils également. «O n est catalogués comme école de jeunes de banlieue, mais notre objectif est que les gens viennent du brevet des collèges à bac + 8».
Et maintenant ? D'ici à la fin de l'année sera proposée une formation (intitulée pour l'heure «couteau suisse numérique») qui utilisera le cloud pour permettre aux TPE-PME de se digitaliser. Egalement en projet, une formation sur les métiers de la donnée (data), et une autre sur les supports utilisateurs. D'autres créations d'écoles sont prévues : elles seront 35 à la fin de l'année, chiffre que Simplon espère tripler en 2020.
Emplois. Côté élèves, les étudiants qui sortent de l'école trouvent généralement des postes de développeurs juniors (en CDD ou CDI) dans des entreprises comme Orange, SNCF, AG2R La Mondiale… D'autres partiront en stage en «contrat pro» et pourront espérer gagner au bout d'un an entre 1 800 et 2 000 euros nets. Erwan et Frédéric sont tous deux issus de milieu «modeste», et ont fait le Celsa. «On savait que beaucoup de gens, à cause de leur précarité, n'avaient pas à leur disposition de formation pour réaliser leur rêve de se lancer dans ces milieux. Il ne faut pas oublier la dimension sociale et solidaire du projet. Dès le premier jour, on apprend aux "simploniens" à former des collégiens en ZEP [zone d'éducation prioritaire, ndlr]. Ils sont là pour apprendre, mais aussi redistribuer cette richesse-là.»