«Rendormez-vous, braves gens, tout va merveilleusement bien, nous sommes une entreprise formidable, solide et écolo. Et nous savons où nous allons.» Voici, en substance, le discours des dirigeants d'EDF lors de l'assemblée générale des actionnaires du groupe, jeudi, à Paris. Alors que des dizaines de syndicalistes des branches énergie de la CGT, CFE-CGC, FO ou CFDT alertaient devant le Carrousel du Louvre sur la situation difficile de l'électricien et «l'inquiétude» de ses salariés, la réalité était repeinte en rose à l'intérieur de la salle feutrée. Les difficultés ? Elles sont surtout dues à la baisse «historique» des prix de l'électricité en Europe. D'ailleurs, «parmi tous nos concurrents européens, nous sommes les seuls à être restés bénéficiaires», a insisté le PDG, Jean-Bernard Lévy. L'EPR de Flamanville ? «Le chantier est maintenant sur les rails» pour une entrée en service fin 2018… après six ans de retard et un triplement de la facture à 10,5 milliards d'euros. Quid de la viabilité du groupe en cas de feu vert au projet pharaonique de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, en Angleterre ? Comment EDF pourra-t-il débourser sans risque 12 milliards d'euros alors qu'il est déjà confronté à une équation financière impossible ? Avec une dette de 37,5 milliards d'euros, le groupe doit racheter la division réacteurs d'Areva pour 2,5 milliards et surtout trouver plus de 50 milliards d'ici à 2030 pour prolonger la durée de vie des centrales nucléaires françaises. Circulez, y a rien à voir. «Ce projet est rentable, avec 9 % de rendement par an après impôts sur une durée de soixante-dix ans, il est mûr et les risques ont été maîtrisés», assure Lévy. Et la démission en mars du directeur financier Thomas Piquemal en raison d'un désaccord sur ce dossier ? Lévy n'a «pas de commentaire à faire». Le PDG, qui n'a cessé de présenter EDF comme un «champion de l'électricité décarbonée», a aussi omis de prononcer le mot «charbon». Pourtant, cette énergie très émettrice de CO2 représente quelque 9 % de la production électrique mondiale du groupe. En plus de tuer indirectement via le changement climatique, elle tue directement, notamment en Colombie, où plus de 3 000 personnes ont été assassinées entre 1996 et 2006 par des paramilitaires liés à deux entreprises américaine et suisse vendant notamment leur charbon à EDF (lire Libération du 12 mai ). Interpellé par la fille d'un syndicaliste assassiné qui demandait la suspension des liens avec ce «charbon de sang» et la réparation des victimes, Lévy a usé de sa plus belle langue d'ébène, se contentant de rappeler que le groupe ne construirait plus de nouvelles centrales à charbon. Le marchand de sable est passé.
Billet
EDF : Jean-Bernard Lévy, l’énergie du sommeil
Jean-Bernard Lévy, en 2014. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
Publié le 12/05/2016 à 19h31
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