A l'entrée du bois de Boulogne, à Paris, les actionnaires de Capgemini, costume gris, cheveux blancs, se présentent devant le pavillon d'Armenonville. L'entreprise française d'informatique a choisi ce luxueux établissement gastronomique, héritier d'un pavillon de chasse royal, pour organiser mercredi son assemblée générale annuelle. Sur le trottoir d'en face, des salariés syndiqués à la CGT font griller des merguez. Devant eux, le groupe Zelda Zonck, formé par trois employés du site Capgemini de Cherbourg, joue ses chansons punks engagées sous une tonnelle. «A gauche, bordel !» proclame une banderole déployée au-dessus du petit rassemblement.
Variable. Message adressé au gouvernement ? Oui, ainsi qu'à Paul Hermelin, le PDG de l'entreprise, contre la rémunération duquel les militants, tee-shirt «Merci Paulo» inspiré du film Merci patron ! sur le dos, sont venus protester. «Patron de gauche» revendiqué, encarté au Parti socialiste et conseiller municipal à Avignon, l'ex-directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy entre 1991 et 1993 est un proche de François Hollande, sorti de l'ENA deux ans après le PDG de Capgemini. En 2015, il a gagné 4,8 millions d'euros - 18 % de plus qu'en 2014. «Il faut mettre cette augmentation en parallèle avec l'enveloppe consacrée aux hausses de salaires pour les 22 000 salariés français, s'indigne Thierry Achaintre, secrétaire de la CGT Capgemini. Elle est passée de 900 000 euros en 2014 à 806 000 euros en 2015. Lors des négociations annuelles, la direction de Capgemini nous a expliqué qu'elle prônait la modération salariale parce que les perspectives économiques ne sont pas sûres et la concurrence est rude. Mais, apparemment, cette modération ne vaut pas pour tout le monde.»
A proprement parler, le salaire de Paul Hermelin n'a pas augmenté l'an dernier. Son fixe est resté stable (1,5 million d'euros) et son variable a même légèrement baissé (1,1 million). Mais sa rémunération s'est envolée grâce à l'attribution de 40 000 actions gratuites dites «de performance», valorisées à 2,3 millions d'euros dans les comptes de la société - et encore, au cours de Bourse actuel, le montant grimpe à 3,3 millions. En 2014, il n'en avait reçu «que» pour l'équivalent de 1,5 million d'euros. Soit un bond de 53 %, rendu possible par l'effet d'aubaine lié à la loi Macron (lire ci-dessus).
Marge. Le conseil d'administration de Capgemini justifie cette générosité par la réussite de l'entreprise fondée par Serge Kampf, décédé le 15 mars. Depuis que Paul Hermelin est devenu son PDG, en 2012, la marge opérationnelle a progressé de 2,5 points, le résultat net a plus que triplé, le nombre de salariés dans le monde est passé, à coup d'acquisitions, de 121 000 à 161 000. La discrète société du CAC 40 s'est affirmée comme un géant mondial de 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires, à la lutte avec IBM dans son secteur.
«La boîte marche bien, reconnaît Bruno Héron, délégué CGT, mais elle fait de la marge parce qu'elle délocalise vers des pays à bas coût, comme l'Inde.» Dans cet Etat réputé pour la qualité de ses ingénieurs et informaticiens, Capgemini compte désormais 85 000 employés. «Nous demandons à ce que notre patron limite sa hausse de salaire au même niveau que celle des salariés français ou qu'il les augmente tous de 1 000 euros par an», explique Thierry Achaintre, sans illusion. A raison. Lors de l'assemblée générale, la rémunération de Paul Hermelin au titre de 2015 a été approuvée à 91,55 % par les actionnaires.