Le vieil homme ne décolère pas. Heinrich W., 75 ans, est venu de Cologne pour décharger sa frustration. Ce mercredi, il fait partie des premiers à pénétrer dans l’enceinte du hangar 2 de la Foire de Hanovre, où se tient l’assemblée générale de Volkswagen. Pour la première fois depuis qu’a éclaté le scandale des moteurs diesel truqués en septembre, la direction et le conseil de surveillance du géant automobile aux 12 marques affrontent la foule de quelque 3 000 petits actionnaires. Ils ne détiennent ensemble que 11% des droits de vote, le reste se répartissant entre les familles Porsche et Piëch (52%), le land de Basse Saxe (20%) et l’émirat du Qatar (17%). Mais la foule des petits actionnaires était bien décidée depuis des jours à sérieusement perturber le déroulement de l’assemblée. Le cours du titre, qui s’était effondré à moins 40% au début du scandale, s’est depuis légèrement redressé. Mais VW pèse aujourd’hui en bourse 23% de moins qu’en septembre.
Heinrich W. possède «pas mal d'actions avec droit de vote» et «a perdu pas mal d'argent» avec le scandale des moteurs diesel truqués. Comble de malchance, sa Golf est aussi concernée par l'affaire… Heinrich W se moque bien des excuses présentées en début de séance par le nouveau président du directoire, Matthias Müller, qui considère que le scandale «a d'une certaine façon été salutaire» pour le groupe qui s'est depuis doté de nouvelles priorités, présentées la semaine dernière sous le nom de «stratégie 2025» par Müller. Ce plan prévoit notamment le développement de l'électro-mobilité. D'ici 2025, un tiers des nouveaux véhicules devront être équipés d'un moteur électrique ou hybride. Le groupe entend à cet effet investir plusieurs dizaines de milliards d'euros. Des économies de 8 milliards par an seront nécessaires pour faire face aux conséquences financières du scandale du dieselgate. La gamme des véhicules – 340 modèles à l'heure actuelle – sera réduite. A la veille de l'assemblée générale, Matthias Müller disait douter que le diesel ait encore un avenir en Europe, au vu des strictes règles environnementales.
Plainte collective
«On a affaire à de la criminalité économique de la pire sorte, peste Heinrich W. Et qu'est-ce qui se passe? Rien! Le directoire et le conseil de surveillance sont toujours en place ! Ils ont quasiment supprimé les dividendes. Mais se sont accordé de juteuses primes !» Le vieil homme a donc choisi la voie juridique, se joignant à une plainte collective de propriétaires allemands de véhicules concernés, et à un autre groupe de plaignants, représentant cette fois les petits actionnaires. A l'assemblée générale, il a décidé de voter contre le quitus (le fait d'approuver la gestion de l'année passée et de permettre au directoire de se représenter), de demander la démission du président du conseil de surveillance, Hans Dieter Pötsch, et de se joindre aux groupements d'actionnaires qui réclament une enquête spéciale sur le scandale, considérant que celle qui est en cours, confiée par la direction au cabinet américain Jones Day, n'est pas suffisamment indépendante pour faire toute la lumière sur le scandale. Matthias Müller soutient toujours qu'un petit groupe d'ingénieurs aurait agi à l'insu de la direction, recourant à un logiciel truqué pour masquer leur incapacité à respecter les strictes normes d'émissions des moteurs diesel.
A la tribune, les intervenants se succèdent… Les représentants de petits groupes d'actionnaires s'indignent tout particulièrement du passage – copieuse prime à l'appui – de l'ancien directeur financier du groupe Hans-Dieter Pötsch à la tête du conseil de surveillance. «Vous qui êtes coresponsables du scandale êtes maintenant dans la position d'empêcher que toute la lumière soit faite sur cette affaire. C'est contraire au code de la Bourse», l'accuse l'un des intervenants, sous les applaudissements nourris de l'assemblée. Pötsch, assuré du soutien de tous les gros actionnaires, ne risque pas son poste. La défiance est symbolique. La motion ne reçoit que 0,2% de l'ensemble des votes. «La destitution de la direction ou du président du conseil de Surveillance n'est pas envisageable, rappelle Klaus Jürgen Melzner, analyste chez Fiduka. Les rapports de force sont pour cela trop massivement au profit des familles Porsche et Piëch qui soutiennent l'équipe en place.» «Il serait très difficile de trouver des remplaçants, ajoute Jürgen Pieper, analyste de Metzler Capital Markets. VW est une entreprise très difficile à diriger, du fait du poids des syndicats, de la politique avec le land de Basse Saxe et des familles du fondateur.»
Pendant ce temps, à la tribune, les accusations contre la direction et le conseil de surveillance se poursuivent… «Vous n'avez pas respecté le code de la Bourse et ne nous avez pas informés à temps du scandale», accuse un nouvel intervenant. L'autorité boursière allemande, la Bafin, a porté plainte contre l'ancien président du directoire, Martin Winterkorn, qui a démissionné en octobre face à l'ampleur du scandale et contre Herbert Diess, ancien responsable du développement de BMW recruté en juillet 2015 pour prendre la tête de la marque VW. «Diess est un espoir pour l'avenir de Volkswagen, rappelle Jürgen Pieper. S'il devait quitter son poste, ce serait un nouveau risque pour le goupe.»