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Libération
Censure

A Pékin, le «tsar» de l’Internet chinois perd sa couronne

Lu Wei, l’homme fort du Web chinois et l’un des personnages les plus importants de la direction communiste au pouvoir, a été «remplacé» à son poste, mercredi, au profit de son bras droit. Placardisation ou prélude à une promotion ?
Lu Wei, le 19 novembre 2014. (Photo Johannes Eisele. AFP)
publié le 30 juin 2016 à 17h01

Les médias étrangers l'avaient surnommé le «tsar» de l'Internet chinois. Depuis 2014, c'est lui, en effet, qui tenait dans ses mains les clés de la Toile. Lui qui contrôlait les 688 millions d'internautes que compte la deuxième économie mondiale. Lui, encore, que courtisaient sans relâche les PDG des plus grands noms de la high-tech : en décembre, il y a deux ans, Mark Zuckerberg avait même invité Lu Wei à s'asseoir à son propre bureau, lors d'une visite très remarquée au siège californien de Facebook. D'où le coup de tonnerre, mercredi, lorsque l'agence de presse officielle Chine nouvelle a confirmé dans une courte dépêche que cet officiel de 56 ans, l'un des personnages les plus importants du pays, allait être «remplacé» par son bras droit à la tête de l'Administration du cyberspace de Chine (CAC). Cet organisme avait été créé en 2014 par le président chinois Xi Jinping dans un grand mouvement de centralisation des administrations chargées du contrôle du Web. Au sein de la CAC, Lu Wei faisait également partie du «bureau du groupe dirigeant central pour les affaires du cyberespace», émanation représentant le Parti communiste chinois (PCC) au sein de la CAC et qu'il a également dû quitter. C'est cette instance, dirigée par Xi Jinping en personne, qui donnait les impulsions politiques à la CAC.

«Dans les starting-blocks»

Dans ce jeu de chaises musicales, le fait que Lu Wei conserve cependant sa troisième casquette – il est également, depuis 2014, vice-directeur du département de la Propagande, organe du PCC chargé de la censure des médias traditionnels – a donné du fil à retordre aux analystes qui suivent la politique chinoise. «C'est une grosse surprise, reconnaît Séverine Arsène, chercheuse spécialiste de l'Internet chinois au Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC), à Hongkong. Mais il n'y a pas de raison de tirer un mauvais bilan de son action. Au contraire, Lu Wei a donné une dimension offensive, et non plus uniquement défensive, au contrôle de l'information et de la communication. Il est possible qu'il soit dans les starting-blocks pour un autre poste, dit-elle. Ou bien, il estime qu'il est parvenu à centraliser toutes les administrations chinoises concernées par le numérique et il veut du coup confier la gestion des affaires courantes à son numéro 2. Ce qui voudrait dire, alors, que la CAC a atteint sa vitesse de croisière.»

Sous le règne de Lu Wei, la Chine a opéré un tour de vis sans précédent contre toutes les opinions dissidentes s'exprimant sur les forums, la plateforme de micro-blogging Sina Weibo et sur WeChat, l'incontournable application de messagerie instantanée. En février, par exemple, la CAC avait fermé purement et simplement  le compte Weibo de Ren Zhiqiang, un magnat de l'immobilier qui avait envoyé ce mois-là plusieurs messages critiques envers le président chinois à ses 38 millions d'abonnés. 365 jours par an, jour et nuit, les censeurs chinois veillent et suppriment si besoin le moindre commentaire posté sur les réseaux sociaux. Parallèlement, une armée de bureaucrates envoie également chaque année 488 millions de «faux» tweets à la gloire du Parti sur les plateformes chinoises, pour divertir l'attention des sujets qui fâchent. Le système fonctionne par mots-clés et est relevé d'un cran pendant les anniversaires sensibles, comme ce fut le cas cette année en mai pendant le 50e anniversaire de la Révolution culturelle.