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Bollorisation

Le créateur et réalisateur du «Zapping» bientôt zappé

La chaîne cryptée a engagé une procédure de licenciement à l'encontre de Patrick Menais pour «faute lourde», lui reprochant d'avoir déposé en son nom deux marques de cette émission supprimée de l'antenne.
Vincent Bolloré, cible du Zapping de Canal Plus du 8 avril 2016. (DR)
publié le 10 juillet 2016 à 16h24

La saison est terminée mais le grand ménage se poursuit à Canal +. Après la placardisation du producteur historique des Guignols Yves Le Rolland, qui quitte l'émission et devrait se voir confier une nouvelle mission, c'est le créateur du Zappingsupprimé à partir de la saison prochaine, qui fait les frais de la bollo-normalisation de l'antenne. Selon les informations du pure-player les Jours, son créateur et réalisateur Patrick Menais a reçu, vendredi 8 juillet, une convocation à un entretien préalable au licenciement pour «faute lourde».

Que lui reproche la chaîne cryptée ? D'après les Jours, celui qui avait clôturé le dernier zapping – bourré de sous-entendus – de l'histoire de Canal + début juillet sur le Take it Easy, no Need to Worry du jamaïcain Desmond Dekker attend sa convocation du 20 juillet par la DRH de Canal + pour s'exprimer. La direction de la chaîne explique pour sa part qu'elle a «découvert que l'un de ses collaborateurs – Patrick Menais – avait déposé en son nom les marques "Le zapping" et "L'année du zapping" qu'elle utilise depuis de nombreuses années.» Estimant que «Patrick Menais a voulu s'approprier des marques qui font partie du patrimoine de Canal+», la chaîne «pour défendre ses intérêts» a engagé «une procédure à son encontre».

Crime de lèse-majesté

Le 27 juin, la direction de la chaîne avait annoncé que l'émission ne serait pas reconduite à la rentrée, justifiant sa décision par le fait que ce format n'était pas «différenciant». «Il y a des zappings partout, et le nôtre n'avait pas de particularité, avait alors soutenu le directeur des antennes, Gérald-Brice Viret. On ne va pas faire la promo des chaînes gratuites sur une chaîne payante.» Comme si le Zapping de Canal +, qui n'a jamais cessé de dénoncer à sa manière les travers de la télévision en les mettant en lumière dans de subtils montages, équivalait à n'importe quel autre de ces «best of» qui se sont multipliés sur les antennes de télévision sans la moindre distance critique.

En réalité, le Zapping et ses auteurs se trouvaient dans la ligne de mire de Vincent Bolloré depuis de longs mois. L'homme d'affaires breton et homme fort de Canal + dont il a pris le contrôle après être devenu l'actionnaire de référence de sa maison mère Vivendi goûtait très peu la liberté de ton dont le zapping avait fait preuve à diverses reprises. Le premier crime de lèse-majesté à son encontre remonte au 8 octobre dernier, lorsque l'émission avait repris de larges extraits du Spécial Investigation de Canal + consacré au Crédit Mutuel. Un documentaire déprogrammé de l'antenne afin de ménager Michel Lucas, le patron de la banque et ami de Vincent Bolloré. Il aura finalement diffusé par France 3. Une censure qui révélant au grand jour les méthodes du patron de la chaîne et qui a provoqué une levée de bouclier des sociétés de journalistes d'une bonne dizaine de médias qui avaient joint leurs protestations dans une lettre ouverte au CSA.

Statut de salarié protégé

Deuxième round en avril dernier, Patrick Menais avait récidivé dans le Zapping en citant largement une enquête-portrait de Vincent Bolloré diffusé par France 2 dans le cadre du magazine Complément d'enquête. Entre deux extraits du reportage mettant en cause les activités controversées de Vincent Bolloré en Afrique, le Zapping avait glissé des séquences d'émissions sans lien apparent avec le sujet mais qui dans le contexte, donnaient un ton particulièrement sarcastique à l'encontre de Vincent Bolloré.

Se sachant sur la sellette, Patrick Menais ainsi que quatre autres salariés de la chaîne s'étaient présentés sur la liste SNJ-CGT lors des dernières élections professionnelles de la chaîne afin d'en devenir un représentant syndical au comité d'entreprise et, ainsi, obtenir un statut de salarié protégé. De quoi se mettre à l'abri des foudres de l'homme de Canal + pensait-il peut-être, comme cela avait été le cas pour Jean-Baptiste Rivoire, le rédacteur en chef adjoint de Spécial Investigation, que Canal + avait cherché à virer avant d'y renoncer en raison de son statut de représentant du même syndicat. Si le licenciement de Patrick Menais suppose une enquête préalable de l'Inspection du travail en raison de son statut d'élu CGT chez Canal +, il semble que cette difficulté juridique n'ait pas dissuadé la chaîne de s'en séparer définitivement, en invoquant la grosse bertha de la «faute lourde ».