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Les jolies coloGEEK de vacances

Au cœur de la Charente-Maritime, un domaine accueille, depuis l’an dernier, un site de loisirs estival pour rôlistes, gamers et autres passionnés de science-fiction et de fantasy.
Manu (à droite) et ses enfants Ivan (à gauche) et Diane sont venus à «A Place to geek» avec leurs costumes «Star Wars» faits maison. (Photo Théophile Trossat)
publié le 10 juillet 2016 à 18h01

En l'an 2016, après des années d'exil forcé, loin du royaume de Mainstream, l'ordre Geek a enfin fini par se faire une place au sein du peuple. Les membres de l'ordre ont instauré une ère de prospérité, tant culturelle que financière, en se hissant sur le trône de la «hype», mais certains, affaiblis par la fréquentation du «grand public», ressentent aujourd'hui le besoin de ressourcer leurs pouvoirs dans une enclave cachée de tous : l'Hedonie. Pour se rendre dans ce pays joyeux, peuplé de grands enfants heureux, mieux vaut prendre un TARDIS, le Faucon Millenium ou un balai volant. Sinon, de Paris, vous pouvez aussi monter dans un train pour Saint-Jean-d'Angély, via Niort. A la gare, faute de sombrals pour tirer la diligence, une voiture vous attendra pour vous emmener au domaine de la Laigne. C'est là que Kean et Cépafo (1), un couple de geeks tendance jeu de rôle grandeur nature (ou «GN», comme on dit dans ce milieu où l'on se costume pour interpréter des personnages de fiction) ont commencé à créer leur univers, après avoir racheté un gîte, il y a quatre ans. Quelques années plus tard, en 2014, «un copain nous a dit qu'il voulait organiser quelque chose, ici, dans le cadre d'un mariage en GN», raconte Kean. «C'était très sympa de voir l'outil de travail détourné pour faire autre chose : il y avait 140 personnes sur place et l'ambiance était magique.» Une première expérience qui, sous l'impulsion de Cyril Villalonga, fondateur du festival Geekopolis, leur donnera l'envie d'aller plus loin et de lancer un projet pour répondre à la question : «Quelles seraient nos vacances idéales ?»

Epaulé dans sa quête par Amandine la scribe, leurs amis d'Hedonium Project et d'autres associations, le jeune couple a mis sur pied une première édition de leur concept baptisé «A place to geek», en 2015. Et comme pour toutes les bonnes franchises, il y a eu une suite, encore plus épique. Cette année, donc, le domaine de la Laigne s'est de nouveau téléporté en Hedonie avec sa quarantaine de résidents, le temps d'une semaine. Un lieu où tout geek peut trouver son bonheur autour d'une console, d'un jeu de plateau ou d'une table de jeu de rôle. Un lieu où il peut aussi explorer de nouveaux mondes imaginaires à travers l'initiation au sabre laser, à l'escrime médiévale, ou aux duels de thé - un art délicat, hérité de la culture steampunk, qui permet de résoudre les conflits en avalant un gâteau imbibé de thé après son adversaire, mais avant qu'il ne se casse. Subtil. Le tout se déroule sur fond de GN au scénario rocambolesque destiné à tenir les vacanciers en haleine toute la semaine. Ainsi, en Hedonie, il n'est pas rare de voir un élève de Gryffondor chasser des zombies avec un sorceleur. Entre deux activités, un shérif, un juge officiel de la Fédération francophone des duels de thés et un officier du 41e millénaire résument tout l'intérêt du concept : «Parfois, quand t'es geek, même quand tu en parles en famille, tu passes pour un extraterrestre, alors que là, on est tous sur la même longueur d'onde. Et puis chacun a son truc, c'est un multivers.»

L’Empire d’émeraude

Depuis leur gîte fortifié, des pirates de l'espace profitent ainsi pleinement de leur passion pour le jeu de rôle et la flibuste. Ce groupe d'amis s'est réuni autour du Doc Fury, leur ancien chef du temps où ils étaient scouts, aujourd'hui devenu barbier stellaire. Après avoir exploré l'Hedonie en solitaire l'an dernier, il les a convaincus d'embarquer pour un nouveau voyage avec lui : «A l'époque, j'avais une semaine de vacances où je ne savais pas quoi faire, et par hasard, j'ai tapé "vacances geek" sur Internet.» Des mots clés qui l'ont directement conduit sur le site de l'Hedonie. «Ça faisait plusieurs années que je cherchais ce genre de trucs là et je me suis dit qu'il ne fallait pas le rater : un Club Med de geeks, c'est assez extraordinaire ! Et je me suis tellement marré que j'ai ramené tout le monde cette année.»

Des vacances faites par des geeks, pour des geeks, c'est le genre de privilège auquel a bien droit la communauté qui règne sur la culture de masse. C'est même étonnant que ça ne se soit pas fait avant… et ailleurs. Hida Daïko, guerrière de l'Empire d'émeraude, a ainsi dû quitter son Allemagne natale pour profiter de congés sur mesure. «Il y a des GN, reconnaît-elle, mais je n'ai jamais trouvé des combinaisons d'activités comme ça.» En colocation avec Madilaene Winsor, en 6e année à Poudlard, elles peuvent donc organiser leur programme ludique de la journée, tout en participant aux quêtes organisées par les guildes du GN. Pendant que les pirates de l'espace tentent de dérober un ver des sables aux Fremen en les criblant de fléchettes en mousse, pendant que Cooper le pistolero défie sire Enguerrand de Lyonnès, les deux colocataires découvrent d'autres geeks, aux univers différents, mais animés par une même passion de l'imaginaire et de l'amusement. Une base commune qui permet de rapidement briser la glace et faire des rencontres, ce qui n'est pas toujours évident dans le monde réel. «Je suis très basique niveau geek et j'avais entendu parler du GN, je voulais le découvrir, mais même si j'habite à côté de Paris, ce n'est pas facile de trouver des gens pour s'intégrer», explique Madilaene. Je me suis dit que ces vacances seraient l'occasion de me faire des amis que je reverrai de retour à Paris. Parce qu'il y a beaucoup de personnes qui vont voir Captain America ou le Seigneur des anneaux, mais ils font ça de manière ponctuelle. Le vrai geek n'est pas rare, mais il est difficile à trouver.» Une déclaration qui fait rire Arlam d'Ambre. Vingt ans plus âgé que Madilaene, il se souvient du temps où les rôlistes devaient passer des petites annonces dans des magazines spécialisés et cacher leur passion sous peine de passer pour des satanistes. «Pour avoir connu la chasse aux sorcières des années 90, je me dis que c'est un bon retour. A l'époque, il y avait vraiment une très mauvaise vision du loisir. Avec les films et les jeux vidéo, ça s'est démocratisé, jusqu'à maintenant où on peut avoir des vacances faites par les geeks pour les geeks.» Et, tranquillement installé en terrasse, cape sur les épaules, il admet que «c'est reposant de ne pas avoir à expliquer qu'on reste des gens normaux, dès qu'on fait quelque chose d'original.»

S'il est conscient de l'évolution des mentalités, il sait aussi que cet îlot a pu voir le jour grâce au vieillissement de la communauté. «Un petit jeune de 20 ans qui aurait démarché pour organiser ça, on l'aurait regardé bizarrement», estime Arlam. Avec des tarifs s'établissant entre 460 et 750 euros pour une semaine, le séjour n'est pas non plus forcément accessible à tous, et il a bien fallu attendre que les geeks aient le pouvoir d'achat suffisant pour se payer ce genre d'activités. D'ailleurs, le succès de parties de HeroQuest et Space Hulk, madeleines geeks, prouve bien que cette colonie de vacances fait le bonheur des plus grands. Parfois on y croise même quelques nostalgiques d'un temps où les mondes de l'imaginaire n'étaient pas arpentés par le grand public.

Mercenaire mandalorien

Tal Werda, mercenaire mandalorien en visite de courtoisie le temps d'une journée portes ouvertes avec ses enfants, apprécie la relative discrétion de l'Hedonie. «Ce sont des pionniers et c'est encore plus génial parce que ce n'est pas trop connu. Parce que le problème de la culture geek, c'est qu'elle a été accaparée par la culture de masse et même si on aime bien avoir du monde à nos conventions, on aime bien aussi se retrouver entre nous.» Il faut quand même nuancer les propos du mercenaire qui, après avoir passé une journée à s'amuser, souhaite attirer une non-geek bien spécifique dans ce lieu : «J'espère convaincre ma femme pour qu'on vienne tous ensemble l'an prochain», avoue-t-il en souriant. Après deux années de bonne fréquentation et d'animations réussies, il y a toutes les chances pour que «A place to geek» soit reconduit pour une saison 3, avec un casting de fidèles bien décidés à reprendre leurs rôles pour de nouvelles aventures en Hedonie.

(1) Aucun nom n'a été modifié, mais ils ne sont valables qu'en Hedonie.