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Libération
Big deal

Le japonais Softbank débourse 30 milliards pour dompter des puces

Le groupe du magnat nippon Masayoshi Son va racheter le fabricant de micro-processeurs britannique ARM. Une opération qui va propulser son groupe dans tous les smartphones.
Le président de SoftBank, Masayoshi Son, présentait en 2014 Pepper, un robot capable de lire les émotions, à Urayasu au Japon. (Photo Turu Yamanaka. AFP)
publié le 18 juillet 2016 à 15h21

Quiz d'été pour analyste financier en manque de power point sur sa serviette de bain : qui est assez riche - et peut-être assez fou - pour mettre 32 milliards de dollars (environ 29 milliards d'euros) cash sur la table dans le but de s'offrir un fabricant de puces électroniques pour téléphone mobile ? Et au fait pour quoi faire ? La première partie de la réponse tient en un nom, inconnu du grand public sous ces latitudes : Masayoshi Son. Le PDG et fondateur du groupe de télécoms et high-tech japonais Softbank vient d'accepter de signer ce chèque à neuf zéros aux actionnaires d'ARM, l'un des premiers fabricants mondiaux de puces électroniques pour téléphones mobiles et autres terminaux nomades. ARM, dont la marque n'a pas non plus une grande notoriété, est la plus grosse entreprise de technologie cotée à Londres et on retrouve ses micro-processeurs dans la plupart de nos smartphones, notamment les plus vendus signés Samsung et Apple. Mais aussi dans de nombreuses machines connectées reliées à ce qu'on appelle aujourd'hui «l'Internet des objets» : capteurs, machines-outils, voitures… Tout ce qui utilise de la donnée et produit du «big data».

«C'est l'une des plus importantes acquisitions que nous ayons jamais faite et je m'attends à ce qu'ARM devienne l'un des piliers du développement de Softbank dans les années à venir», a expliqué Masayoshi Son dans un communiqué. Le milliardaire nippon d'origine coréenne signe de fait le plus gros rachat de sa vie d'entrepreneur depuis l'acquisition de l'opérateur télécom américain Sprint en 2013 pour 22 milliards de dollars. Et ce, au moment même où il vient d'annoncer, à 58 ans, qu'il allait passer la main et confier les commandes opérationnelles de son empire à un ancien de Google, Nikesh Arora. Il avait expliqué à cette occasion, le mois dernier, qu'il voulait ainsi jeter les bases d'un «Softbank 2.0» et qu'il travaillait sur «plein d'idées folles». Le rachat d'ARM, qui n'est pas fou fou sur le papier mais est synonyme d'énormes opportunités de business dans le nouveau monde numérique, faisait apparemment partie de sa «crazy list».

Un rachat facilité par le Brexit

On comprend l'intérêt de Softbank pour ARM, sachant que la kabushiki kaisha (société par actions) japonaise contrôle notamment l'un des premiers opérateurs télécoms japonais, Softbank Mobile. Le groupe de Masayoshi Son détient aussi des participations dans Yahoo Japan, le géant chinois du e-commerce Alibaba ou encore l'éditeur de jeux vidéo finlandais Supercell (Clash of Clans) qu'il est en train de revendre au chinois Tencent. Et il a racheté en 2014 le leader français de la robotique, Aldebaran Robotics, fabricant du petit humanoïde Pepper… Basée à Cambridge, outre-Manche, ARM dont le nom est un acronyme pour Advanced RISC Machines est de son côté née en 1990 d'une joint-venture entre la société britannique Acorn Computer et le géant californien Apple et a pris son indépendance en entrant en Bourse quelques années plus tard. L'entreprise réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires de 1,5 milliard de dollars là où Softbank pèse plus de 70 milliards. Le capital d'ARM était jusque-là contrôlé par de gros fonds anglo-saxons (l'américain Blackrock notamment) qui n'ont pas résisté à l'appel des billets verts et ont vendu comme un seul homme la société à Softbank. Certains analystes y voient d'ailleurs une conséquence directe du Brexit: le cours de la livre sterling a récemment chuté par rapport au yen et celui de l'action ARM a reculé de 17% depuis le vote britannique, déclenchant une fenêtre de tir inédite pour le coûteux rachat d'ARM.

Le rachat de ce fleuron high-tech britannique par un magnat japonais ne fait d'ailleurs pas trop de bruit outre-Manche, la presse de la City rendant compte sagement de cette opération comme du business as usual à l'image du Financial Times. Pas de débat à Londres sur le patriotisme économique et le made in britain : le gouvernement britannique a donné son feu vert en rappelant que l'économie du pays était «open for business». Il faut dire que le patron de Softbank s'est engagé à maintenir le siège d'ARM à Cambridge et à maintenir l'état-major de la société en place. Il a aussi promis de «doubler» le nombre d'employés de l'entreprise au Royaume-Uni. Si en plus il embauche…

Dépasser la Loi de Moore

Reste à savoir ce que ce fantasque milliardaire passionné de robots – il ne quitte plus son ami Pepper – compte faire d'ARM dans une industrie du micro-processeur qui cherche à repousser les limites de la loi de Moore et nécessite d'énormes investissements pour rester dans la course à la puissance et à la miniaturisation. Rien de très clair à ce sujet dans le beau power point diffusé par Softbank pour vanter ce big deal, mis à part le fait qu'ARM sera le nouveau moteur du groupe pour mener «la révolution de l'information» dans le meilleur des mondes numériques. Nul doute que l'analyste sur sa serviette aura plein de questions pour Masayoshi Son à son retour de la plage.