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Analyse

Quand Netflix n'est plus invincible

Le leader mondial des services de vidéo à la demande par abonnement a vu sa croissance nettement fléchir au second trimestre, notamment aux Etats-Unis où il doit faire face à une concurrence de plus en plus vive.
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, en conférence de presse au salon de l'électronique de Las Vegas, le 6 janvier. (Photo Robyn Beck. AFP)
publié le 19 juillet 2016 à 19h18

Un coup de moins bien et la sanction est immédiate. Le service américain de vidéo en ligne Netflix, qui a vu son nombre d'abonnés augmenter beaucoup moins que prévu au deuxième trimestre, a été directement sanctionné par la Bourse, où l'action perdait 12,85% mardi à l'ouverture du Nasdaq. Le service de vidéo à la demande avait attendu la clôture du marché lundi soir pour révéler l'évolution de son parc d'abonnés sur les trois derniers mois. A la fin juin, il représentait un total de 83,18 millions d'usagers, dont 47,13 millions outre-Atlantique. Décryptage des premiers accrocs de la machine globale Netflix, désormais présente dans la quasi-totalité du monde - à l'exception, notable, du marché chinois, où, mauvaise nouvelle, son implantation va être retardée en raison d'un «climat réglementaire compliqué».

Quelle est l’ampleur du ralentissement ?

Dans beaucoup de pays, la croissance de Netflix reste aléatoire. Sa stratégie est toujours de commencer par viser des «early-adopters», ou adopteurs précoces, des personnes appartenant aux classes aisées et disposant d'une connexion à haut débit, intéressés par des programmes 100% en anglais. Ensuite, il s'agit de «localiser» progressivement l'offre, en l'enrichissant de programmes locaux, sous-titrés et/ou doublés, etc. Un déploiement global – Netflix est le seul service de SVOD qui prétende à cette universalité de l'accès, avec une présence dans 190 pays – mais qui se fait au fur et à mesure et de manière prudente, afin d'acclimater toujours plus de nouveaux abonnés à son offre. Grâce à l'effet de nouveauté, et cet ajout massif de nouveaux pays, l'augmentation avait été massive au premier trimestre avec 6,74 millions de nouveaux abonnés dans le monde. Un résultat spectaculaire, qui l'avait amenée à tabler sur une nouvelle progression de 2,5 millions d'abonnés supplémentaires au second trimestre, un niveau qui n'a finalement pas été atteint puisque Netflix n'a engrangé que 1,5 million de nouveaux abonnés hors des Etats-Unis ces trois derniers mois. «Nous croissons, mais pas aussi vite que nous le voudrions ou que nous l'avons fait» dans le passé, reconnaît la direction du groupe dans sa lettre trimestrielle à ses actionnaires.

Quel est le poids des Etats-Unis dans l’économie de Netflix ?

Le pays de naissance de ce service californien, qui avait débuté ses activités via un système d'abonnements pour recevoir des DVD par courrier postal, représente toujours plus de 50% de ses abonnés. Et sur ce marché déjà très mature, la croissance de Netflix a été particulièrement faible au second trimestre, ce qui constitue le principal motif d'inquiétude des analystes. Le service n'y a gagné que 160.000 abonnés supplémentaires sur les trois derniers mois, quand ils en espéraient environ 500.000, soit son plus faible gain trimestriel depuis 2011. Un ralentissement qui s'explique d'après Netflix par son choix d'uniformiser sa politique tarifaire. Ses plus anciens abonnés, soit 20 millions de personnes, avaient jusqu'ici été épargnés par deux augmentations successives des prix, ne payant que 8 ou 9 dollars par mois pour l'offre de base, contre 10 dollars pour les abonnés plus récents. Cette décision a entraîné une vague de résiliations, que Netflix a qualifiée de «modeste» et «conforme aux attentes». Si Netflix reconnaît que cette hausse des tarifs a compliqué sa croissance sur son marché domestique, la société considère également qu'elle a été victime des médias. «Le nombre de résiliations a augmenté avec la couverture médiatique», a expliqué Reed Hastings, le patron et fondateur de la société. Selon lui, les médias ont entretenu une confusion sur la politique de prix de Netflix, en accréditant l'idée qu'il s'agissait d'une nouvelle hausse de prix des abonnements et non d'un alignement tarifaire. «Nous pensons que certains membres ont perçu l'information comme une augmentation de prix à venir», indique la lettre aux actionnairesReste que la société a largement revu à la baisse ses objectifs de croissance outre-Atlantique : elle ne parie plus que sur un gain de 300 000 abonnés aux Etats-Unis le trimestre prochain – contre 500 000 précédemment – sur un gain total de 2,30 millions d'abonnés supplémentaires dans le monde d'ici la fin septembre. Et Netflix de prévenir les marchés que sa croissance risque de souffrir cet été de la concurrence des Jeux olympiques de Rio.

Y a-t-il d’autres raisons expliquant ce ralentissement ?

Pour Netflix, cette contre-performance ne s'explique ni par la saturation progressive du marché outre-Atlantique, ni par le développement tous azimuts de nouvelles offres de la concurrence d'autres services de vidéo et télévision en ligne à l'instar d'Amazon, de YouTube qui a récemment lancé un service de VOD payant, ou de Hulu. Les analystes reconnaissent pour leur part que la politique de fidélisation des abonnés via des contenus originaux et exclusifs permet au groupe de Los Gatos, en Californie, de limiter les désabonnements et le taux d'attrition (de perte de clientèle, ndlr), dans un marché devenu très concurrentiel. Mais à l'inverse, il devient de plus en plus difficile de prendre des abonnements à la concurrence qui a parfaitement retenu les recettes de Netflix et s'avère tout aussi efficace pour produire ses propres films et séries exclusives. D'où l'avertissement de Netflix que sa croissance aux Etats-Unis sera désormais plus limitée qu'auparavant. Avec sa modestie habituelle, Reed Hastings a expliqué qu'il ne voyait pas pourquoi «chaque foyer américain ne serait pas abonné à Netflix d'ici 10 à 20 ans, excepté, a-t-il cependant pris soin d'ajouter, pour des raisons de concurrence». Pour autant, il continue de juger parfaitement atteignable son objectif de réunir 60 à 90 millions d'abonnés à terme outre-Atlantique - contre 47 millions aujourd'hui.

Pourquoi la croissance toujours plus importante du parc d’abonnés est vitale pour Netflix ?

Plus le service engrange d'abonnés, plus il a de moyens pour financer des contenus originaux qui lui permettent de se distinguer de la concurrence tout en réduisant sa dépendance aux grandes majors du cinéma et de la télévision, auxquelles il achète de plus en plus de programmes afin de maintenir son attractivité. Au 30 juin, les montants de ces engagements vis-à-vis de ces studios atteignaient 13,2 milliards de dollars, soit trois milliards de plus qu'il y a un an. La société, dont les coûts de production et d'achats de programmes augmenteraient de 50% chaque année, prévoit de produire 600 heures de programmes cette année, contre seulement 400 heures pour HBO, sa grande rivale du câble qui produit Games of Thrones, la série la plus vue au monde. Une stratégie très consommatrice de cash, puisque Netflix prévoit de dépenser plus de 6 milliards de dollars dans les programmes sur la période 2014-2016. Certes, son bénéfice a augmenté de 55% au deuxième trimestre et atteint 41 millions de dollars pour un chiffre d'affaires, lui aussi en hausse de 28% à 2,1 milliards de dollars. Mais sa marge reste très faible comparé aux autres géants des nouvelles technologies, à 1,9%. D'où la promesse de Reed Hastings d'augmenter fortement les bénéfices à partir de 2017 après une année 2016 qui devrait se terminer à l'équilibre. «Tout l'enjeu de Netflix est de réussir la transition d'un modèle tiré par la croissance des abonnés vers un modèle de croissance par la hausse du chiffre d'affaires et surtout des bénéfices», explique un analyste, selon lequel la réussite de ce pari dépendra de la capacité de Netflix à générer une forte croissance à l'international dans les deux prochaines années.