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Libération
En 10 dates

Yahoo, l'étoile déchue du Net

De la création d'un «annuaire» pour Internet en 1994 aux derniers déboires d'un ancien géant du Web, retour sur l'histoire flamboyante et mouvementée de Yahoo.
Devant le siège du groupe Yahoo, en Californie, en 2012. (Photo Justin Sullivan. AFP)
publié le 25 juillet 2016 à 18h24

«Yahoooooo»… C'est le cri de désespoir des derniers aficionados de la star du Web des années 90. Ils ont eu confirmation de son rachat par l'opérateur télécoms américain Verizon pour la somme de 4,8 milliards de dollars (un peu plus de 4,3 milliards d'euros). Une pilule encore plus dure à avaler pour les actionnaires de la firme californienne qui se souviennent que Yahoo avait refusé en 2008 une offre de rachat par Microsoft à… 45 milliards de dollars ! Mais ça, c'était avant que Facebook et Twitter n'achèvent de ringardiser définitivement Yahoo qui n'a pas réussi à se relancer malgré le rachat de Tumblr en 2013 (pour plus de 1 milliard de dollars). Verizon, qui semble s'être spécialisé dans la reprise à la casse des gloires déchues du Web, compte marier Yahoo et AOL (racheté l'an dernier pour 4 milliards de dollars) afin de créer «un groupe international de médias de premier rang». Quant à la patronne de Yahoo, Marissa Mayer, qui va faire ses valises, elle veut croire que ­«Yahoo a changé le monde». Vraiment ? Retour en dix dates clés sur la saga d'une étoile déchue de l'Internet.

1994: deux étudiants créent un «annuaire» internet

L’histoire de Yahoo commence à l’université de Stanford. En explorant le Web naissant, deux étudiants de l’université de Stanford en ingénierie informatique, David Filo et Jerry Yang, repèrent de nombreux sites intéressants qu’ils commencent à lister. Leur idée va donner naissance au premier annuaire Web qui ouvre la voie du référencement des sites internet. Leur «Guide de David et de Jerry pour le World Wide Web» propose des sites classés par thème. A l’heure où on ne parle pas encore de moteurs de recherche et que Google n’est pas encore né, ce système développé en loucedé sur le réseau de l’université connaît un succès croissant.

1995, Yet Another Hierarchical Officious Oracle

Le réseau de l'université de Stanford est tellement saturé par la fréquentation du site d'indexation que David Filo et Jerry Yang sont priés d'aller développer leur projet ailleurs. L'entreprise Yahoo (Yet Another Hierarchical Officious Oracle, «Un oracle à classement hiérarchique officieux de plus») est officiellement créée en 1995. Le site est hébergé par Marc Andreessen, le créateur du premier navigateur web, Mosaic (1993), et de Netscape, une entreprise pionnière d'Internet. En plus des informations classées par rubrique (actualités et presse, art et culture, santé…), Yahoo propose un embryon de moteur de recherche par mots-clés. La même année, le magazine Yahoo Internet Life est lancé en complément du site pour couvrir la culture internet. Créé et publié par l'éditeur Ziff Davis, ce mensuel s'habille de couvertures sexy qui sont la patte du rédacteur en chef, Barry Golson, ancien chef de Playboy. Or, le magazine doit s'arrêter en 2002, faute de revenus publicitaires suffisants.

1996, «Yahoo!» entre en Bourse et débarque en France

Pionnier de l’Internet grand public, Yahoo devient un portail de contenus et cherche à diversifier ses services. En avril 1996, la firme entre en Bourse et vend 2,6 millions d’actions à 13 dollars l’unité. S’ensuit le lancement de la filiale Yahoo France en septembre 1996. En quelques mois, la plateforme enregistre le plus fort trafic de l’internet hexagonal. Son concurrent direct, l’annuaire francophone Nomade, créé en 1996, est vite dépassé. Un an après, la société continue son développement avec un service de courrier électronique, le fameux Yahoo Mail. L’entreprise s’étend ensuite en Europe, Asie et Amérique du Sud au fil des années.

En 1996, la version française du portail proposait 14 rubriques différentes.

2001, premiers revers de fortune

2001, la bulle internet menace d’éclater et l’entreprise californienne connaît la première baisse de son chiffre d’affaires après sept ans d’expansion. En cause, la chute des revenus publicitaires, qui représentent plus de 90% des ressources du portail. Les attentats du 11 septembre 2001 finissent de déstabiliser le marché de la publicité en ligne. Le nouveau président de Yahoo, Terry Semel, ancien des studios Warner, annonce alors une vague de licenciements et une diversification des activités dans les médias pour rassurer les actionnaires. D’autant plus que AOL, avec ses 75 millions d’abonnés, devance désormais Yahoo (65 millions de fidèles) au Etats-Unis. Au niveau mondial, Yahoo reste cependant leader mondial.

2003, tentatives de relance

Après l’explosion de la bulle, Yahoo tente de résister à la concurrence. Notamment à un nouveau nommé Google qui a littéralement inventé le moteur de recherche en 1998, ringardisant la notion d’annuaire internet tout en révolutionnant la pub en ligne avec son système Adwords. En 2003, Yahoo rachète donc Overture, spécialiste des liens sponsorisés qui devient Yahoo Search Marketing. Quelques mois plus tôt, Ouverture avait acquis les moteurs de recherche Inktomi puis Altavista. Yahoo en profite pour développer sa propre technologie de recherche (Yahoo Search technology) à partir de février 2004. Yahoo tente de s’affranchir de Google, le nouveau numéro 1 de la recherche web, mais ce n’est pas gagné.

De 2004 à 2007, lancement de nouveaux services

Au début de l'année 2004, Yahoo acquiert le moteur de comparaison de prix Kelkoo pour Yahoo Shopping. Le rachat s'élève à 475 millions d'euros, soit plus de quarante fois le bénéfice de Kelkoo en 2003 (11 millions d'euros). Cette stratégie vise à attirer les annonceurs, qui peuvent ainsi générer du trafic vers leurs sites. Fin mars 2005, Yahoo tente de devenir une plateforme intéractive en lançant Yahoo 360°. La plateforme est axée sur la publication et le partage d'informations : blogs, possibilité de noter les commerces, partage de playlists… Or ces services resteront en version bêta jusqu'en 2009, date à laquelle ils ont été supprimés. En 2007, le directeur général du groupe, Terry Semel, change enfin de stratégie face à son concurrent. Yahoo propose de racheter Google pour un milliard, puis 3 milliards de dollars après un début de négociations. Or Google décline finalement l'offre. Après cet échec, Terry Semel est rétrogradé et finit par être débarqué quelques mois plus tard.

En 2008, Yahoo met ses différents services en avant.

2008, Yahoo dit non à Microsoft

Le mois de janvier 2008 marque le début d'un feuilleton à rebondissements entre Yahoo et Microsoft. Le géant de l'informatique propose alors de racheter la Californienne pour un montant de 44,6 milliards de dollars. A 31 dollars par action, la promesse est alléchante : le prix est alors 62% plus élevé que la valeur des parts au dernier cours de clôture. L'objectif, pour Microsoft, est d'absorber Yahoo afin d'engranger plus de recettes publicitaires, et d'accélérer l'innovation, notamment dans les secteurs de la vidéo, et du mobile. Mais Yahoo tient à son indépendance et, au bout de quelques mois, refuse l'offre, jugée trop basse. S'en suivront deux autres propositions de Microsoft la même année, en juin, puis en juillet. Mais, là encore, Yahoo fait sa difficile, refuse et va jusqu'à mener des négociations conjointes avec Google, en vue d'un partenariat. Finalement, l'accord avec Google sera passé en novembre 2008, mais invalidé par le département de la justice américaine. Les discussions reprennent alors avec Microsoft, mais il n'est plus question d'acquisition, plutôt d'un accord. Il s'agit de permettre aux annonceurs de gérer leurs contenus publicitaires sur Bing (moteur de recherche de Microsoft) et Yahoo via une seule et même plateforme. L'alliance sera actée en décembre 2009 mais la nouvelle stratégie de relance ne fonctionnera pas plus que les précédentes tentatives. En septembre 2011, la patronne de Yahoo, Carol Bartz, en fait les frais, virée avec pertes et fracas.

Avril 2012, 2 000 emplois supprimés

Le groupe Yahoo annonce la suppression de 2 000 emplois, soit environ 15% de ses effectifs, qui s’évaluent à un peu plus de 14 000 personnes dans le monde. Le but est clair: réaliser 375 millions de dollars d’économies par an. Le nouveau PDG de l’entreprise californienne, Scott Thompson, n’est alors à la tête de Yahoo que depuis quelques mois. Il estime qu’il est temps pour l’ancienne vedette de la recherche sur Internet de changer de stratégie, pour se recentrer sur les utilisateurs et la publicité. Il sera finalement écarté de la firme après cent trente jours de service, empochant au passage un coquet bonus de plus de 7 millions de dollars.

Juillet 2012, une ex-googleuse aux commandes

Marissa Mayer, une informaticienne du Wisconsin, ex-vice-présidente responsable des services de cartographie et de géolocalisation chez Google, est nommée présidente et PDG de Yahoo. Elle n'a alors pas vraiment d'expérience en gestion d'entreprise, mais beaucoup croient en sa créativité et son esprit «jeune». La PDG va ainsi multiplier les acquisitions et partenariats, souvent avec des start-up. Tumblr, RockMelt, Yelp, BrightRoll ou Cooliris seront les principales cibles de cette stratégie offensive. Un pari réussi dans un premier temps, puisque deux ans après sa nomination, Yahoo voit le cours de son action plus que doubler. Marissa Mayer, dont on parle parfois plus des grossesses ou des photos version pin-up publiées dans Vogue que du côté business, s'offre le luxe de figurer parmi les personnalités les plus influentes des classements de Forbes et Fortune.

Décembre 2015, Yahoo en péril

Le conseil d’administration de Yahoo décide de ne pas vendre sa participation dans le géant de l’e-commerce chinois Alibaba. A la place, il est annoncé une séparation des activités web. Cette nouvelle symbolise un terrible désaveu pour Marissa Mayer, qui soutenait l’option de la vente des actions. La PDG, après une fulgurante percée, se trouve de plus en plus critiquée. Les investisseurs maintiennent sur elle une pression constante, lui demandant d’accélérer le redressement de Yahoo, promis depuis trois ans déjà. Il faut dire que l’entreprise va mal : au premier trimestre de 2015, les bénéfices nets ont plongé de 93%, tandis que le chiffre d’affaires baissait de 4%. 1 100 emplois ont du être supprimés durant cette même période, alors que 2 800 autres postes passaient d’un temps plein à un temps partiel.

Seules quelques activités, dont celles autour du mobile connaissent une croissance, avec 61% de revenus supplémentaires. Les services de recherche, eux, rapportent 19,5% de plus, grâce au partenariat signé entre Mozilla et Yahoo, qui fait de ce dernier le moteur de recherche par défaut sur Firefox, à la place de Google. Pas de quoi rassurer Forbes, qui titre un article «Les derniers jours de Marissa Mayer». C’est aussi à ce moment-là que Verizon entre en piste. Le PDG de ce géant américain des télécoms, Lowell McAdam, évoque alors pour la première fois son ambition de racheter Yahoo et de le fusionner avec AOL, acquis la même année.