«SFR est en sureffectif» : il y a un peu plus d'un mois, le patron d'Altice Patrick Drahi (par ailleurs propriétaire de Libération) n'avait pas tourné autour du pot pour préparer les 14 300 salariés du deuxième opérateur télécoms français à une sérieuse réduction de voilure. Ce mardi, une première estimation de la coupe envisagée dans les effectifs est tombée : selon le Monde, la DRH du groupe, Florence Chauvet, a indiqué aux partenaires sociaux que la direction de SFR avait «pour cible un effectif de 9 000 personnes à la fin de 2017». Ce qui équivaudrait à supprimer au moins 5 000 postes… soit un tiers des effectifs. Tombant en plein été, à l'occasion d'une réunion consultative sur la réorganisation déjà en cours de l'activité SFR Distribution, ce chiffrage n'a pas vraiment surpris les syndicats de SFR qui sont eux-mêmes montés au créneau pour obtenir des informations «sur le périmètre» du groupe envisagé dans un an.
Machines à laver
Pourquoi cette échéance ? Parce qu'au moment du rachat de SFR par sa filiale Numéricable en 2014, Patrick Drahi s'était engagé auprès du gouvernement à maintenir l'emploi jusqu'au 30 juin 2017, soit zéro licenciement pendant trois ans. A un an du couperet, le PDG d'Altice a donc lui même mis sur le sujet sur la table le 21 juin, devant un parterre d'analystes new-yorkais, sans prendre de gants : «On a donné une garantie sur l'emploi de trois ans, donc il reste encore un an. Aujourd'hui, on est dans une situation où les gens savent que la garantie s'arrête dans un an. C'est un peu comme chez Darty quand vous avez une garantie de trois ans. Au bout de trois ans, la machine à laver tombe en panne on fait comment ? On paie. Ils savent qu'on est sureffectifs», avait lancé l'actionnaire de SFR.
Les salariés de l'opérateur ont sans doute peu apprécié d'être comparés à des machines à laver. Mais ils vivent déjà depuis des mois à l'heure des réductions de coûts. Patrick Drahi, dont le groupe Altice reste endetté à près de 50 milliards d'euros suite au rachat de deux câblo-opérateurs américains, applique ses méthodes de cost-killer à tous les étages : depuis deux ans, près de 1 200 salariés ont ainsi déjà démissionné de l'entreprise, hors plan social. Et faute d'investissements dans le recrutement, SFR a perdu plus de 1 million de clients mobiles entre le premier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, tombant à 17 millions d'abonnés. On saura le 9 août prochain si l'opérateur, qui a relancé des offres promotionnelles, a réussi à endiguer cette hémorragie commerciale sur fond de guerre des tarifs sans merci. Mais de toute évidence, Patrick Drahi a décidé d'améliorer à tout prix la rentabilité de SFR.
Limiter la casse
Les concurrents de SFR, qui souffrent aussi, ont de fait déjà pris des mesures pour réduire leurs coûts. Bouygues Telecom, dont le propriétaire Martin Bouygues n'a pas réussi à s’entendre avec Orange en vue d’un mariage dans le mobile, a déjà mis en œuvre deux plans de départs volontaires représentant environ 2 000 suppressions de postes. De son côté, l’opérateur historique Orange a décidé de ne pas remplacer une partie des départs en retraite : soit environ 5 000 personnes par an.
«Tous nos concurrents ont licencié à tour de bras et, nous, on a pris une garantie sur trois ans à un moment où l'on vend des abonnements à 1 euro par mois. Ça n'a ni queue ni tête», avait donc encore justifié Patrick Drahi le mois dernier. Le 29 juin, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, le PDG de SFR Michel Combes avait lui aussi déclaré devant les parlementaires que la société serait contrainte d'adapter ses effectifs après mi-2017 pour rester «compétitive» : «Il est assez évident que des adaptations seront nécessaires pour que SFR puisse rester compétitif sur le marché très difficile qui est le nôtre», avait-il souligné. C'est ce qui s'appelle annoncer la couleur.
Pour les syndicats de SFR, il s'agit maintenant de «limiter la casse» en essayant de conserver le maximum de postes et surtout d'obtenir un plan de départs volontaires avec des mesures d'accompagnement. «Nous ne sommes pas prêts à accepter ce chiffre [de 5 000 suppressions de postes] dans ce calendrier. Nous demandons un strict respect du volontariat et un plan de gestion des ressources humaines renforcé», a indiqué au Monde Xavier Courtillat du syndicat CFDT. Mais pour l'heure, la direction de SFR, qui ne commente pas ce chiffre de 5 000 suppressions de postes, se refuse encore officiellement à parler de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) : «Nous avons pris un engagement sur l'emploi jusqu'à mi-2017 que nous continuerons de respecter» jusqu'à cette date, explique-t-on chez SFR. Pour le reste, «il est prématuré de commenter les chiffres qui circulent alors même que les échanges avec les partenaires se poursuivent».
«Disparition de certains doublons»
De fait, direction et syndicats se voient déjà depuis plusieurs mois pour parler de la réorganisation de SFR Distribution (4 000 salariés pour 750 magasins) en deux réseaux – SFR Business (entreprises) et SFR Distribution (grand public) – avec harmonisation des statuts et «disparition de certains doublons» à la clé. C'est cette activité qui devrait donc être la première visée par des suppressions de postes dans un an.
Ce ne sera pas la seule : le siège, les fonctions supports… tout le monde est potentiellement concerné. «SFR doit continuer de se moderniser et redevenir une entreprise innovante de référence, agile et digitale», plaide encore la direction de SFR. Et de mettre en avant la nouvelle stratégie de «convergence» lancée par Altice et qui passe notamment par la diffusion de contenus aux abonnés comme la nouvelle offre SFR Presse incluant notamment Libération et l'Express. Mais sur le plan des effectifs, rien ne se fera donc avant un an. D'ici là, «on privilégie le dialogue social : des réunions de travail sont en cours avec les syndicats, comme annoncé, pour travailler à la nécessaire réorganisation du groupe sur laquelle tout le monde s'accorde», indique encore la direction de SFR. Une nouvelle réunion avec les partenaires sociaux est ainsi prévue ce 28 juillet «pour avancer».