Menu
Libération
Récit

A Londres, Theresa May sur courant alternatif

Contre toute attente, le gouvernement britannique a décidé d’étudier à nouveau le dossier Hinkley Point, au coût exorbitant. Il rendra son avis à l’automne.
Le site britannique nucléaire de Hinkley Point, en 2013. EDF est censé y construire deux réacteurs EPR. Côut pour l’électricien français : 15 milliards. (Photo M. Cardy. Getty)
publié le 29 juillet 2016 à 20h51

La décision du conseil d'administration d'EDF aurait dû mettre fin à des années de négociations. Mais la signature du contrat, prévue vendredi, devra encore attendre. Alors qu'il y a deux semaines, le chancelier de l'Echiquier, Philip Hammond, se disait déterminé à «aller de l'avant» et ce, malgré le Brexit, son gouvernement a décidé jeudi soir d'étudier à nouveau le projet, à la surprise générale. Sa décision sera rendue cet automne.

Chaumières. Pourtant Hinkley Point C était l'un des projets phare, dans le domaine de l'énergie, du gouvernement de David Cameron. Depuis qu'elle a obtenu sa licence en 2012, cette nouvelle centrale armée de deux réacteurs EPR attend d'être construite sur la côte du Somerset, pas loin de ses deux sœurs, Hinkley Point A et B, érigées dans les années 60 et 70. La première a déjà fermé et la seconde doit cesser son activité en 2023. Hinkley Point C fait donc partie de cette génération de nouvelles centrales nucléaires censées remplacer les obsolètes. De plus, le gouvernement précédent a exprimé son souhait de fermer les centrales à charbon, très polluantes, d'ici 2025 afin de remplir les objectifs du Change Climate Act passé en 2008, qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 % d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990. En un mot : Hinkley Point C est présentée comme la solution la moins chère, plus propre que le charbon, pour continuer à illuminer les chaumières. Comme le projet est financé par des sociétés étrangères - le français EDF et le chinois CNG -, le gouvernement évite les 18 milliards de livres (21,5 milliards d'euros) de frais de construction et crée de l'emploi. Le chantier devrait employer 25 000 personnes.

Sauf que, selon certains experts, le coût de Hinkley Point ne vaut pas l'investissement. Tout d'abord parce que le prix de rachat de l'électricité nucléaire a été fixé à 92,5 livres le mégawatt-heure en 2013 : or, à cause de la baisse des prix de gros de l'électricité, ce tarif paraît aujourd'hui très élevé et le contribuable risque d'en payer les frais. De plus, un rapport de l'Infrastructure and Projects Authority - qui dépend du gouvernement - montre que la centrale pourrait coûter 37 milliards de livres au Royaume-Uni tout au long de ses soixante ans d'activité. C'est 23 milliards de plus que ce qui était prévu. Et d'après la Intergenerational Foundation, les champs d'éoliennes offshore et les installations photovoltaïques coûteraient respectivement 31,2 milliards et 39,9 milliards de moins que Hinkley Point en trente-cinq ans, construction et maintenance comprises. «La trop grande dépendance au nucléaire est coûteuse, offre peu de retour sur investissements, est lente, risquée et un obstacle à de meilleures alternatives», prévient leur rapport. Pour Paul Dorfman, chercheur à l'Institut de l'énergie de l'université de Londres, «si tous les projets nucléaires aboutissent, il n'y aura plus d'argent pour financer les énergies renouvelables. L'industrie du nucléaire dit qu'il y aura une complémentarité mais ce ne sera pas le cas si tout l'argent du fonds destiné aux énergies à faible émission de C02 est dépensé dans le nucléaire.»

Frilosité. A l'obstacle financier, viennent s'ajouter les considérations environnementales. «Theresa May a pris une sage décision, qui relève de la réflexion et non de l'idéologie, pense Paul Dorfman. Personne n'a trouvé de méthode efficace pour gérer les déchets radioactifs qui coûtent déjà très chers au Royaume-Uni.» Si la frilosité de Theresa May est une - mince - lueur d'espoir pour les opposants au projet, c'est un énième pas en arrière pour ses partisans. Justin Bowden, du syndicat GMB, qualifie de «déroutante et folle» la décision de la Première ministre : «Cette hésitation non nécessaire remet en doute le financement du projet et met 25 000 emplois en danger juste après le Brexit.» L'hésitation du gouvernement n'est peut-être que passagère. Mais contrairement à ce que Vincent de Riaz, directeur général d'EDF Energie au Royaume-Uni, affirmait en 2007, les Britanniques ne pourront pas compter sur Hinkley pour faire cuire leur dinde à Noël en 2017.