La séquence aurait pu être parfaite. Un arrêt in extremis, le 21 juin, d’une deuxième grève des pilotes, suivi par l’annonce, le 27 juillet, de résultats financiers en amélioration. Tout était programmé pour que l’arrivée du nouveau PDG d’Air France, Jean-Marc Janaillac, le 4 juillet, se déroule sous les meilleurs auspices. La grève des hôtesses et des stewards, débutée le mercredi 27 juillet et prévue jusqu’au 2 août, a malheureusement bousculé ce scénario. D’abord parce qu’elle se déroule sur une période clé de la saison d’été, ensuite parce qu’elle laisse sur le tarmac des milliers de passagers. Les vols sont officiellement assurés à 80 % ou 90 %, mais bon nombre d’avions décollent sans le plein de voyageurs, car les effectifs du personnel navigant commercial (PNC) à bord ne sont pas suffisants. Enfin, la facture risque d’être salée. Cette nouvelle grève représente environ 50 millions d’euros de manque à gagner, qui viendront s’ajouter au coût de 40 millions d’euros causé, selon la direction, par la dernière grève des pilotes.
Pavé de 200 pages
Une question, néanmoins, commence à se poser de manière récurrente dans toutes les catégories du personnel : comment le nouveau PDG d’Air France-KLM a-t-il pu laisser cette grève se dérouler alors qu’il a réussi à stopper, deux mois plus tôt, celle de pilotes réputés plus durs en négociations ? A l’époque, le nouveau boss, qui n’était pas officiellement en fonction, avait dû mener les discussions dans le secret d’un grand cabinet d’avocats parisien.
Cette question se pose d’autant plus que le préavis des hôtesses et des stewards a été déposé il y a sept semaines (une ultime nuit de négociations entre le mercredi 20 juillet et le jeudi 21 juillet s’est soldée par un échec).
Depuis le départ, les discussions coincent sur l’accord d’entreprise entre la direction et les représentants des 13 500 PNC d’Air France. Un pavé de plus de 200 pages, dans lequel sont prévues les règles de rémunération, mais aussi les temps de repos et le service à bord des avions. En l’absence d’accord de branche, ce document rythme la vie quotidienne des navigants avec une multitude de détails. Habitués à un engagement d’une durée de cinq ans, les hôtesses et les stewards demandent que cet accord soit reconduit pour une même période. Ce à quoi la direction répond que l’environnement économique ne cesse de changer, d’où l’impossibilité d’aller au-delà d’un deal de dix-sept mois, à l’issue desquels il sera toujours temps de rouvrir des négociations. Chacun est finalement resté sur sa position et les portes ont claqué, sans le moindre accord.
Postes supprimés
Depuis, les contacts n'ont pas repris. «Nos interlocuteurs ont fait le pari d'une grève non suivie et il est assez étonnant qu'ils n'aient pas voulu renouer le contact avec nous pendant le mouvement, comme cela se pratique assez souvent, afin de tenter de trouver une solution», analyse Christophe Pillet, secrétaire général adjoint du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC). Du côté de la direction, on semble agacé de devoir gérer des turbulences sociales pendant le pic de la saison d'été. Par ailleurs, lâcher du lest avec les hôtesses et les stewards, après avoir temporisé avec les pilotes, risquerait de donner quelques idées à d'autres catégories de salariés.
Les raisons profondes de l'échec des discussions et de la grève qui s'en suit se situent vraisemblablement dans l'historique des navigants d'Air France. Cette catégorie du personnel s'est retrouvée en première ligne dans la concurrence assez violente qui secoue le transport aérien. Les compagnies low-cost ont toujours embarqué le minimum de personnel exigé par les règles de sécurité. Celles du Golfe et d'Asie misent en revanche sur un important staff, mais avec un salaire et des charges sociales réduits. Air France a réagi en supprimant des postes à l'intérieur des avions. En trois plans de départs volontaires, plus de 1 200 emplois ont été supprimés. «Et la dureté du travail a augmenté. Nos temps de récupération sont plus courts et les vols sont plus fatigants, explique une hôtesse qui vient de faire valoir ses droits à la retraite. Lorsqu'il a été décidé de changer la vaisselle en classes affaires, nous nous sommes retrouvés avec des assiettes beaucoup plus lourdes. Multipliez ceci par le nombre de services et de vols et vous obtenez des navigants de 40 ans qui se disent aujourd'hui très fatigués.»
Ce passif est visiblement remonté à la surface lors des dernières négociations. A-t-il été sous-estimé ou la direction a-t-elle «voulu payer pour voir [jusqu'où irait la menace de la grève] ?» s'interroge un syndicaliste PNC. Toujours est-il que ce mouvement est soutenu par les pilotes, plutôt habitués à jouer en solo : «L'attitude de la direction est incompréhensible, elle aurait pu proposer un accord à durée indéterminée aux PNC, quitte à le renégocier quand elle le souhaite avec un préavis de quinze mois», estime Philippe Evain, président de la section Air France du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Les hôtesses et les stewards ne constituent pas, d'ailleurs, la catégorie la plus revendicative de la compagnie, en comparaison avec les pilotes ou avec les mécanos de la maintenance. Leur dernier mouvement social remonte à 2007. Là aussi, hasard ou coïncidence, le PDG de l'époque, Jean-Cyril Spinetta, crédité de bonnes relations avec les représentants des salariés, n'avait pas vu venir la grogne et encore moins pu éviter cinq jours d'arrêt de travail.
Défi social
Cette grève s'inscrit en outre dans un climat social plombé. La quasi-totalité du personnel n'a pas vraiment versé de larmes quand le précédent PDG, Alexandre de Juniac, a annoncé son départ en avril. Beaucoup lui reprochent d'avoir joué les différentes catégories de salariés les unes contre les autres, afin de faire passer les mesures économiques. Ce ressentiment a dû peser sur la grogne des navigants, dont beaucoup considèrent qu'ils ont donné en matière d'économies. Jean-Marc Janaillac, arrivé avec une image de pacificateur, risque donc de devoir passer plus de temps à discuter et rassurer plutôt qu'à fourbir ses armes face à la concurrence. Dans ses prises de parole publiques comme privées, il insiste d'ores et déjà sur «la restauration de la confiance». Son principal défi n'est pas tant de nature financière et commerciale (même si la compagnie accuse un retard face à la concurrence) que social. La défiance des salariés à l'égard de la direction demeure élevée. Dans cette entreprise où le turnover est assez faible, la demande d'une stratégie claire et visible augmente.
Le nouveau PDG va donc devoir mettre le cap sur les ressources humaines, afin de conquérir ses galons de commandant, aussi bien auprès des salariés que des actionnaires. Sa rentrée des classes aura d’ailleurs valeur de test. Les pilotes n’ont fait que suspendre pour quatre mois leur préavis de grève. Les négociations doivent reprendre en septembre. Quant à l’accord d’entreprise toujours pas renouvelé avec les hôtesses et les stewards, il arrive à échéance fin octobre. Précisément le mois où les représentants du personnel et la direction se souviendront qu’un an plus tôt, un comité central d’entreprise s’était achevé par l’exfiltration mouvementée d’un directeur des ressources humaines, dont la chemise avait subi quelques outrages.