Avant, c’était simple. Pour suivre les championnats européens de football, il fallait s’abonner à Canal +, et on était à peu près sûr de pouvoir tout voir. Mais ça, c’était avant. La multiplication des diffuseurs oblige désormais le passionné de ballon rond à réfléchir, étudier les options possibles et faire ses comptes au début de la saison, qui commence ce week-end avec la Ligue 1 française et la Premier League anglaise. L’an dernier, l’équation se résumait à un arbitrage entre l’acteur historique, Canal +, et l’ambitieux challenger, BeIn Sports, qui se partagent l’essentiel du gâteau depuis 2012.
Cette année, elle se complique avec l'arrivée de SFR Sport. Déjà composé de quatre chaînes, le bouquet sportif de l'opérateur télécoms (propriété, comme Libération, du groupe Altice de Patrick Drahi) lance samedi SFR Sport 1, son antenne consacrée au championnat anglais, le meilleur au monde, dont il a acheté les droits exclusifs de retransmission en France pour trois ans.
Urgence. Pour ne rien arranger au casse-tête du footeux, SFR Sport n'est accessible en l'état qu'aux abonnés de l'opérateur. Autrement dit, à moins de se tourner vers les sites de streaming illégaux, le non-client de SFR qui voudrait regarder ce samedi Hull-Leicester, le match d'ouverture de la Premier League, doit très vite changer d'opérateur et prendre un forfait fixe (à partir de 34,99 euros par mois) ou mobile (à partir de 25,99 euros) dans la boîte de Drahi… Cette manœuvre est la pierre angulaire de la stratégie de convergence entre tuyaux et contenus de SFR, qui espère attirer ainsi des abonnés. Le groupe a mis les moyens : il a recruté une trentaine de journalistes pour alimenter une antenne qui tournera 24 heures sur 24 et arraché quelques consultants stars à la concurrence, comme Christophe Dugarry (ex-Canal +) ou Eric Di Meco (ex-BeIn Sports). «C'est une chaîne à part entière, avec une équipe et des programmes dédiés», insiste François Pesenti, le directeur général de SFR Sport, qui a dû la fabriquer de A à Z en quelques mois - tellement dans l'urgence qu'il doit fouiller dans ses petits papiers pour retrouver les noms de ses animateurs. De là à penser que les débuts de la chaîne risquent d'être laborieux…
Siphonner. Et pour ceux qui refuseraient de s'aventurer chez SFR ? Officiellement, l'opérateur est en négociation avec les autres distributeurs de télévision (Canal +, Orange, Bouygues Telecom, Free) pour que le bouquet sportif soit disponible par leur intermédiaire. A vouloir garder l'exclusivité de la Premier League, il risquerait de s'attirer les remontrances de l'Autorité de la concurrence, qui n'aime pas du tout les «ventes liées» de ce type et surveille de près le dossier. Mais les discussions traînent : SFR, qui a intérêt à garder son bébé pour lui seul le plus longtemps possible, exige un minimum garanti très élevé à ses rivaux, qui ne sont de toute façon pas très chauds pour commercialiser un produit portant le nom d'un rival. «Il n'y a pas de véritable avancée», lâche un dirigeant d'opérateur. Dans le secteur, tout le monde semble attendre de voir le niveau d'engouement suscité par SFR Sport avant de se positionner. Si le projet attire de nouveaux clients, les Orange et consorts seront contraints de le vendre eux-mêmes plutôt que de se faire siphonner des abonnés. En revanche, si c'est un bide, ils seront mieux placés pour négocier des conditions avantageuses. Dans l'attente du dénouement de ce grand bluff, les fans de foot peuvent se rabattre sur deux autres offres.
Forcing. Assurément, la plus alléchante, sportivement, est celle de BeIn Sports, commercialisée autour de 13 euros par mois. Cette saison, le groupe qatari, qui compte plus de 3 millions d'abonnés en France, a l'exclusivité sur les championnats espagnol, allemand et italien, et diffuse la quasi-totalité de la Ligue des champions, la prestigieuse compétition européenne. Son panier français est également bien rempli : il retransmettra en direct sept matchs de Ligue 1 à chaque journée.
Les trois meilleures affiches du championnat seront toutefois sur Canal +, qui a décidé de se renforcer sur ce «produit». Un choix judicieux ? A voir. La domination du PSG en L1 est telle que l'intérêt de la compétition faiblit d'année en année. Et les mauvaises langues feront remarquer que la L1 fournit rarement trois belles affiches le même week-end. Ce mouvement commercial permet en tout cas à la chaîne cryptée, dirigée par Vincent Bolloré, de sauver sa soccer credibility. Privée du foot anglais par SFR, elle n'a plus, outre la Ligue 1, que quelques matchs de Ligue des champions et un match de L2 par journée à proposer. En guise de cache-misère, elle a acquis les droits du National, la troisième division française… Au final, l'offre paraît bien maigre pour 40 euros par mois. La direction de Canal en a conscience : Bolloré a fait le forcing pour faire valider un accord de distribution exclusive avec BeIn Sports, en vain. Il a été retoqué par l'Autorité de la concurrence.