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Libération
«Les séries font la loi»

En avant, Mars !

Mars, dans les traces des robots dossier
Survol, mise en orbite, contact… Passage en revue de toutes les premières fois de l’exploration de la planète rouge.
Mars vue depuis le Nevada, le 27 août 2003, lorsqu’elle n’était qu’à 55 millions de kilomètres de la Terre. (Photo Wally Pacholka. Astropics. Reuters)
publié le 16 août 2016 à 17h51

Sur la petite bille rouge qui tourne là-haut - quatrième rocheuse à partir du Soleil, continuer 100 millions de kilomètres depuis la Terre -, deux robots à roulettes jouent les aventuriers. Opportunity connaît bien les lieux, il habite là depuis 2004. Aux dernières nouvelles de la Nasa, il inspecte les affleurements rocheux qui bordent le cratère Endeavour «à la recherche de traces argileuses». Curiosity, lui, est un petit nouveau : arrivé l’été 2012, il escalade le mont Sharp (5 500 mètres d’altitude) en grattant tous les cailloux qui lui semblent intéressants. Il collabore avec la sonde Maven pour comprendre comment Mars a pu devenir cette planète froide et désertique alors qu’elle était couverte de lacs et de fleuves il y a 4 milliards d’années. Autour d’elle, tournent quatre autres satellites, et un cinquième est en route. Comme si ça ne suffisait pas à en faire la planète la plus hype du système solaire, elle va encore accueillir trois atterrisseurs d’ici deux ans, et cinq à sept machines supplémentaires en 2020. A ce rythme-là, les Martiens ont tout intérêt à lancer un office du tourisme.

Contrairement à la Lune, aucun humain n’a encore posé le pied sur Mars. C’est en y envoyant nos outils technologiques les plus perfectionnés que l’on explore, mission après mission, la planète voisine et cousine de la Terre. Retour sur une série de «premières fois».

Premier essai

C'étaient les folles décennies de la course à l'espace. A peine avait-on maîtrisé la mise en orbite d'un satellite terrestre (en 1957), photographié la face cachée de la Lune et envoyé une sonde s'écraser à sa surface (en 1959) qu'on planifiait déjà la conquête de Mars. Youri Gagarine lui-même n'avait pas encore bouclé son historique tour du monde dans la capsule Vostok 1 que les Soviétiques ont lancé leur programme spatial martien. Après tout, pourquoi pas ? La technique est la même : on envoie une fusée et la sonde fait son petit bout de chemin comme vers la Lune, mais des centaines de fois plus loin. Ainsi a décollé Mars 1M No.1, le 10 octobre 1960, depuis la base de Baïkonour (Kazakhstan). Les médias occidentaux l'appelaient Marsnik 1, en référence à Spoutnik, le premier satellite soviétique. Mais il a fait long feu : les moteurs de la fusée ont lâché cinq minutes après le décollage. Les quatre sondes suivantes, lancées entre 1960 et 1962, n'ont pas eu plus de chance.

Premier survol

Mariner 4 (photo Nasa)

Qui enchaîne les défaites perd la compète ; c'est la dure loi de l'exploration spatiale. La première sonde à rencontrer Mars fut américaine : le 15 juillet 1965, Mariner 4 est passée à 9 846 km seulement de la surface orangée… mais à toute vitesse, à peine le temps de prendre une vingtaine de photos. C'est ce qu'on appelle un survol : sans effectuer la complexe manœuvre de freinage pour tenter une mise en orbite autour de la planète, on se contente de la frôler en engrangeant au passage un maximum d'informations. Et il était temps que Mariner 4 vienne pointer son objectif : en ce milieu du XXe siècle, une bonne partie du grand public fantasmait encore sur les fameux «canaux» martiens. D'après les clichés un peu rudimentaires de la planète réalisés depuis son observatoire en Arizona, l'astronome américain Percival Lowell avait dénombré jusqu'à 400 marques apparemment rectilignes qui striaient la surface de la planète rouge. Il y voyait dans les années 1900 une origine artificielle, comme un réseau d'irrigation géant construit par des petits hommes verts en lutte contre la sécheresse… Le plan des canaux dessiné par Lowell faisait toujours office de carte officielle de Mars aux Etats-Unis jusqu'aux premiers clichés de Mariner 4.

On y a constaté une fois pour toutes l’absence de canaux - ce que la communauté scientifique savait déjà. Surtout, on a vu que la surface de la planète était désertique, sèche et cratérisée, avec une température diurne de - 100°C, sous une très fine couche d’atmosphère et aucun champ magnétique. Autant d’informations qu’on n’aurait jamais pu deviner depuis l’oculaire d’un télescope.

Première orbite

Mariner 9 (Photo Nasa)

Alors que l’URSS continuait d’enchaîner plantage sur plantage, les Américains ont encore expédié Mariner 6 et 7 pour de nouveaux survols. En novembre 1971, Mariner 9 a passé un niveau de difficulté en se mettant en orbite. Une première sur une planète autre que la Terre. Mais, sur place, surprise : Mars était prise dans une abominable tempête de sable, brouillant tellement l’atmosphère qu’il était tout bonnement impossible de photographier la surface de la planète. Tant pis. On a attendu que ça se calme. L’expérience a d’ailleurs permis aux missions suivantes de développer des logiciels plus souples : en cas d’imprévu, il faut pouvoir changer de stratégie et les reprogrammer depuis la Terre. Mariner 9 a ainsi patienté plusieurs mois que la tempête s’arrête, en analysant finement l’atmosphère de Mars avec sa composition si différente de la nôtre (96 % de dioxyde de carbone), avant de mettre son appareil photo en mode mitrailleuse. Et ça valait le coup : en 349 jours, la sonde a engrangé 7 329 images qui ont permis de cartographier 85 % de la planète. On y a découvert Olympus Mons, le plus grand volcan du système solaire avec ses 26 000 mètres d’altitude, ou encore le canyon géant Valles Marineris (4 800 km de long), baptisé ainsi en hommage à Mariner 9. L’orbite a même permis de photographier en gros plan les deux petites lunes de Mars, Phobos et Deimos.

Premier contact

Le lander de Mars 3 au Musée mémorial de l’astronautique, en Russie. (photo Nasa)

Les présentations étant faites, il est temps de rentrer en contact. Encore une fois, les Soviétiques ont essayé d'arriver les premiers, et après de multiples tentatives, ils ont fini par y parvenir ! Le 27 novembre 1971, la sonde Mars 2 a lâché dans l'atmosphère un petit engin qu'on appelle atterrisseur… et qui s'est écrasé au sol. Ses parachutes ont foiré. Mais rien de grave, car sa doublure, Mars 3, est arrivée sur la planète quasi simultanément, et en douceur. Elle devait ensuite lâcher un petit rover rigolo chaussé de deux skis, mais elle n'en a pas eu le temps. Le contact a été perdu 14,5 secondes après l'atterrissage… Il faut dire que ce 2 décembre 1971, le site d'arrivée était balayé par une tempête de sable. C'est sans doute à cause d'elle que la seule image prise par Mars 3 est une bouillie de pixels.

Le lander Viking 1 (photo NASA/JPL-Caltech/University of Arizona)

Finalement, c'est l'Américain Viking 1 qui a réussi à s'installer durablement sur le sol martien, il y a quarante ans. A peine arrivé dans la plaine Chryse Planitia, le 20 juillet 1976, Viking 1 a pris une photo de son environnement. Il n'y avait pas de temps à perdre : comme on soupçonnait Mars 3 de s'être enlisé dans des sables mouvants, Viking 1 devait témoigner avant d'être éventuellement victime de la même malédiction. Mais il ne s'est pas noyé. Autour de lui et sous ses pieds, a-t-on constaté sur sa photo en noir et blanc, de la roche et des cailloux à perte de vue. L'atterrisseur a pris un autre cliché du paysage en format panoramique, puis le même en couleur le lendemain. Une photo toute rouge !

La première image «claire» envoyée de la surface de Mars, le 20 juillet 1976. (Photo Nasa. Roel van der Hoorn)

Viking 1 a fonctionné jusqu’en 1982 ; un record de longévité pour l’époque. Durant ces quelques années, la sonde a mesuré la vapeur d’eau dans l’atmosphère, la température sous toutes les latitudes de la planète, photographié la surface sous tous ses angles… y compris un rocher en forme de visage qui a déchaîné l’imagination des complotistes et autres chasseurs d’extraterrestres. Mais ce n’est pas sur ce cliché devenu célèbre qu’il fallait chercher des traces de vie : c’est dans le sol. Déjà, l’atterrisseur analysait le plancher martien à la recherche de composés organiques.

Premiers kilomètres

Le rover Sojourner devant le

, photographié depuis la station Pathfinder (Nasa)

A quoi bon atterrir sur Mars si l’on ne peut y étudier que les 4 mètres carrés où on a posé les pieds ? Après deux décennies de calme plat, l’année 1996 a relancé l’exploration, notamment avec l’arrivée sur la planète de la première «astromobile» fonctionnelle, le rover américain Sojourner. Avec six roues et sa taille de micro-ondes, il s’est éloigné de sa base (la station Pathfinder) pour s’approcher enfin de toutes ces roches aperçues sur les photos des sondes Viking et les renifler de plus près, avec ses caméras et son spectromètre. Sojourner a trouvé des roches volcaniques, différentes de leurs homologues terriennes, mais aussi des roches striées de bandes horizontales comme des couches sédimentaires, et même des sortes de galets. De quoi suggérer que l’eau liquide avait coulé longtemps ici… Un panneau solaire sur le toit et une jolie petite antenne ont permis à Sojourner de fonctionner durant 83 sols (les jours martiens, de 24 heures et 39 minutes) et de parcourir une centaine de mètres.

Première invasion

Autoportrait de Curiosity en janvier 2016 (photo NASA/JPL-Caltech/MSSS)

Aujourd'hui, seuls Curiosity et Opportunity continuent de travailler sur la surface martienne. Mais ils doivent se préparer à un débarquement massif en 2020. Pourquoi 2020 ? D'abord parce qu'il s'agit d'un créneau propice au voyage Terre-Mars, comme il s'en produit tous les vingt-six mois. Durant ces «fenêtres de lancement», les orbites respectives de la Terre et de Mars permettent d'envoyer une sonde en consommant un minimum de carburant. Mais il y a aussi une coïncidence assez remarquable dans les plannings de six agences spatiales, des vieilles fidèles de la planète rouge aux étoiles montantes de l'exploration de l'espace : les Etats-Unis, l'Europe et la Russie, l'Inde, la Chine et les Emirats arabes unis. Fort de ses récents succès sur la Lune (on lui doit les premières photos couleur de sa surface depuis le programme Apollo !), Pékin est en plein rush pour envoyer un orbiteur et un rover sur Mars en 2020. C'est d'abord un coup d'essai technique. Plus ambitieux encore, les Emirats comptent lancer leur sonde au même moment, avec une agence spatiale créée pour l'occasion en 2014. Quant à l'Inde, aux dernières nouvelles, elle envisageait de doubler sa future sonde martienne Mangalyaan 2 d'un rover, inspiré de celui qu'elle expédiera sur la Lune en 2018.

Modélisation du futur rover Exomars (image ESA)

L'Agence spatiale européenne, de son côté, s'associe avec la Russie pour envoyer le rover Exomars. Physiquement, on lui trouve un petit air de famille avec l'Américain Curiosity, et sa mission tournera autour des mêmes objectifs : beaucoup de géologie, bien sûr, et la recherche de preuves d'habitabilité, voire d'activité biologique. Dans les ateliers d'Airbus à Stevenage (Royaume-Uni), on équipe actuellement le robot de ce qu'on fait de mieux en matière de technologie spatiale – par exemple RLS, «un faisceau laser vert qui passe devant un échantillon rocheux sous forme de poudre, et fait vibrer les molécules», explique le planétologue Sylvestre Maurice, qui travaille sur l'instrument depuis l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) à Toulouse. Avec ce gadget «très puissant», on obtiendra de nouvelles informations sur la structure moléculaire des roches étudiées sans les détruire.

Premiers échantillons

Le dépôt du «sac» d’échantillons sur le chemin du rover,

, qui travaille avec la Nasa.

Sur bien d'autres aspects, le rover de la mission américaine Mars 2020 (qui aura bientôt un vrai nom) sera une version améliorée de Curiosity. Il partira avec la même carcasse, mais l'intérieur du véhicule est réorganisé. De la place est faite, par exemple, pour stocker des échantillons de sol martien dans ce que les scientifiques français de la mission surnomment les «sacs à dos». C'est simple, explique Sylvestre Maurice, qui participe aussi aux missions Curiosity et Mars 2020 : «En fonction des analyses du rover, on va dire : "Tiens, ce caillou, je le sens bien, ça sent la chimie organique. Il est plutôt préservé et pas oxydé, hop, on le met dans un sac à dos". Et, de temps en temps au cours de la mission, on déposera des petits sacs à dos sur le bord de la route comme le Petit Poucet.» Il s'agira ensuite de convaincre le Congrès américain et l'Europe que les échantillons sont d'un intérêt absolument crucial pour obtenir le financement d'une fusée de retour. Il faudra «trois, quatre missions pour ramener quelques kilos de Mars, mais ils vaudront évidemment tout l'or du monde».

Premiers pas

Le prototype de combinaison spatiale Z1, développé par la Nasa pour de futures missions.

Toujours dans le corps du rover de Mars 2020, sera hébergé un nouvel instrument baptisé «Moxie». Sa fonction première, détaille la Nasa, est de «consommer de l'électricité pour produire de l'oxygène sur Mars», comme une pile à combustible inversée. L'oxygène ne sera pas réutilisé, mais seulement relâché dans l'atmosphère martienne… Pour quoi faire ? Juste pour voir si on y arrive. Des fois qu'on voudrait envoyer sur Mars, dans quelques années, des créatures qui auraient besoin de le respirer, cet oxygène…

«Certaines personnes opposent parfois l’exploration robotique du Système solaire et les vols habités, écrit le spationaute Thomas Pesquet, qui décollera pour la Station spatiale internationale en novembre, dans son journal de bord en ligne. Pour moi, c’est un non-sens. Il est évident que des sondes sont indispensables avant d’envoyer des hommes sur une planète. Et il est tout aussi évident qu’avec des humains, capables de prises de décision rapides, le retour scientifique d’une mission d’exploration serait bien supérieur.» Voilà pourquoi, depuis quelques mois, la Nasa communique tous azimuts autour de son programme «Journey to Mars» qui mènera, selon elle, à l’arrivée des premiers astronautes sur la planète rouge dans les années 2030. Nouvelles fusées, nouveau vaisseau pour les vols habités, nouvelles combinaisons spatiales au look de Buzz l’éclair… Les labos sont en ébullition ; le compte à rebours a commencé.