A la télé, tout fout le camp. La multiplication des chaînes éparpille les audiences. Les nouveaux usages comme le replay fragmentent les modes de consommation. Les nouveaux concurrents venus d’Internet, tel Netflix, ringardisent les vieux modèles que sont TF1, France Télévisions, Canal + et M6. Face à cette ambiance fin de règne, les acteurs historiques du petit écran, tous dirigés par des nouvelles têtes (sauf M6), se sont lancés dans de grands chantiers pour tenter de se renouveler. Conséquence directe, le traditionnel «mercato» des animateurs a rarement été aussi animé que cette année. Récapitulatif à quelques jours de la rentrée télé.
TF1, la diversification à tout prix
Au mois de juillet, la maison Bouygues a pris un gadin historique sur sa chaîne principale, avec une audience de 18,9 % selon Médiamétrie. C’est la première fois de son histoire qu’elle passe sous la barre des 20 %, avec laquelle elle flirtait depuis quelques mois. TF1 paye les deux échecs en «access prime-time» des émissions d’Arthur (Cinq à sept) et de Nikos Aliagas (19 h Live). En soirée, l’ex-antenne toute-puissante, qui faisait 40 % d’audience au début des années 90, est de plus en plus souvent battue par ses concurrentes. L’impression de déclin général est confirmée par le chiffre d’affaires publicitaire du groupe, qui a encore reculé au premier semestre 2016, à 770 millions d’euros (contre 774 millions en 2015).
Pour relancer la machine, Gilles Pélisson, patron de TF1 depuis février, a sorti le chéquier et fait les plus gros coups du mercato télé. L’entreprise a convaincu Norman et Cyprien, les deux «youtubeurs» français les plus populaires, de participer à une minisérie. Elle a recruté deux valeurs sûres de la télé, Yann Barthès et Yves Calvi, les anciens animateurs du Petit Journal et de C dans l’air. Le premier, déjà en cours de starification par son nouvel employeur, aura une émission hebdo sur TF1 le jeudi soir (titre provisoire : Temps de cerveau disponible) et une quotidienne à 19 heures en semaine sur TMC, la deuxième chaîne du groupe en audience (2,6 % en juillet). Quant à Yves Calvi, il présentera la tranche 18 h-20 h sur la chaîne d’info LCI, dont la matinale sera assurée par François-Xavier Ménage, l’ex-figure de Capital sur M6.
Assumant une logique de groupe, TF1 cherche à compenser l’inexorable érosion de sa chaîne principale en renforçant ses autres antennes. Au bout du compte, la société pense gagner sur le plan financier. Comme l’explique la banque d’affaires Natixis, «la recherche d’une audience massive sur un seul canal (comme pour TF1) est une stratégie extrêmement coûteuse car elle conduit la chaîne à se concentrer sur des programmes fédérateurs (événements sportifs, films à grand succès…). En effet, passé un certain niveau d’audience, chaque point supplémentaire est de plus en plus coûteux car il nécessite de fédérer des catégories d’audience antinomiques (jeunes-personnes âgées, femmes-hommes…)». Il serait plus rentable de multiplier les foyers de recettes avec un éventail de chaînes s’adressant à des publics diversifiés. C’est le sens de l’arrivée de Yann Barthès sur TMC.
Canal +, le navire reste en rade
Si l’on mesure la bonne santé d’une antenne aux animateurs qu’elle recrute à l’extérieur, Canal + est en petite forme. La chaîne phagocytée par Vincent Bolloré devait accueillir deux petits nouveaux à la maison, et quels nouveaux… Benjamin Castaldi et Jean-Marc Morandini. Tadam ! Le premier a montré toute l’étendue de son talent l’an dernier en se ramassant magnifiquement sur NRJ 12. Auréolé de cet échec, il débarque sur D8, bientôt rebaptisée C8, pour animer deux jeux produits par Cyril Hanouna, qu’il rejoint aussi comme chroniqueur dans Touche pas à mon poste. Quant à Morandini, il était prévu qu’il prenne en charge une tranche d’info, le soir entre 18 heures et 19 heures, sur i-Télé (bientôt CNews). Mais ça, c’était avant le scandale estival autour des faux castings masturbatoires organisés par le Larry Clark du pauvre. Il devrait finalement être éjecté par Canal +, qui n’a pas encore communiqué sur le sujet, et être remplacé par Laurence Ferrari.
A part ça, le mercato du groupe Canal, qui a vu fuir 500 000 abonnés depuis que Bolloré a pris le pouvoir au printemps 2015, ressemble à un jeu de chaises musicales interne. Ex-animateurs d’émissions sur la chaîne Canal +, où le clair sera désormais limité à deux heures par jour grand max, Thierry Ardisson et Daphné Bürki sont transférés sur C8, où l’on verra aussi Audrey Pulvar à la tête d’une émission culturelle. Sur Canal +, le principal changement est la promotion du journaliste Victor Robert au Grand Journal. Le comédien Cyrille Eldin reprend le Petit Journal, tandis que Mouloud Achour revient avec le Gros Journal. Jamel Debbouze aura davantage de temps d’antenne avec des shows d’humour. Dernière modification notable, le roitelet de C8, Cyril Hanouna, étend son empire avec la Très Grosse Emission en prime-time sur Canal +, en attendant, sans doute, d’autres projets.
M6 , la fête continue
Contrairement à TF1, on fait tourner les serviettes à M6 depuis que la capitalisation boursière de l'entreprise a dépassé celle du rival historique fin juillet. Aux yeux des marchés, l'ex-«petite chaîne qui monte», valorisée plus de 2 milliards d'euros, est plus séduisante que le média du groupe Bouygues… Les investisseurs adorent la rentabilité de la spécialiste des ménagères de moins de 50 ans (que l'on appelle désormais «femmes responsables des achats» dans le jargon publicitaire) : 83 millions d'euros de résultat net au premier semestre. Portée par l'Euro de football, pendant lequel elle a réalisé la meilleure audience de son histoire avec la finale France-Portugal, la filiale de l'allemand Bertelsmann, dirigée depuis vingt-six ans par Nicolas de Tavernost, a bouclé juin et juillet avec des audiences supérieures à 11 % - ce qui ne lui était plus arrivé depuis l'été 2013.
Du coup, la continuité prévaut. Portée par le trio Plaza-Cordula-Moulins, l'équipe de M6 voit débarquer Ophélie Meunier. Draguée à l'antenne de Canal + par Tavernost au printemps, l'ex-présentatrice du Tube reprend la présentation de Zone interdite, en remplacement de Wendy Bouchard, partie sur France 3. Pour l'autre émission du dimanche soir, Capital, M6 a choisi un inconnu, Bastien Cadeac, présenté comme un entrepreneur. Suivant la tendance générale, M6 renforce ses antennes mineures. Sa deuxième chaîne, W9 (2,5 % d'audience en juillet), accueille Bertrand Chameroy, une espèce de sous-Yann Barthès qui était auparavant chroniqueur chez Cyril Hanouna. Dans un tout autre genre, une «émission culturelle d'humour et d'humeur» sur la chaîne payante Paris Première sera confiée à Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel. On ne sait pas si on a hâte de voir ça.
France Télévisions, le grand chambardement
Devenue présidente de France Télévisions en août 2015, Delphine Ernotte n'avait pas eu le temps d'apposer sa signature sur la rentrée précédente. Elle s'est plus que rattrapée cette année, en chamboulant les programmes de ses chaînes. Dans un secteur où l'on préfère d'habitude procéder par petites touches, de peur d'ébranler le téléspectateur vieillissant, la stratégie est audacieuse. «S'il y a bien une télé qui peut prendre des risques, c'est le service public. Compte tenu de nos recettes publicitaires relativement faibles au regard des chaînes privées, nous avons moins la pression de l'audience au jour le jour», a justifié l'ancienne directrice d'Orange France, qui promet «un renforcement très net de l'offre culturelle». Gare quand même aux accidents industriels qui n'ont pas épargné France Télévisions par le passé (coucou Sophia Aram).
Sur France 2, l'antenne principale du groupe, les après-midi de la semaine sont totalement renouvelés : avant le jeu de Nagui, on pourra enquiller successivement Frédéric Lopez, Stéphane Bern, Amanda Scott (venue de France 3) et Thomas Thouroude (ex-Canal +). Le jeudi soir, Elise Lucet reprend Envoyé spécial, en alternance avec la nouvelle émission politique coprésentée par David Pujadas et Léa Salamé. Très courtisée, cette dernière quitte son poste de mitrailleuse dans On n'est pas couché (ONPC) - remplacée par Vanessa Burggraf, de France 24 - mais monte en grade au sein de la chaîne : elle animera sa propre émission culturelle le vendredi soir à la place de Frédéric Taddeï - qui ne sera plus dans cette case qu'une fois par mois. Par ailleurs, le temps d'antenne de Michel Drucker est réduit le dimanche, au profit de Laurent Ruquier, avec une rediffusion d'On n'est pas couché.
Sur France 3, les principaux changements sont le retour au bercail de Christophe Hondelatte, avec une nouvelle émission de faits divers, et les arrivées de Nicolas Demorand (déjà sur France Inter) et Wendy Bouchard (venue de M6) pour des programmes culturels. Du côté de France 5, il a fallu trouver un remplaçant à Yves Calvi pour la locomotive de la chaîne, C dans l’air. Un duo a été choisi, en alternance : Caroline Roux (ex-joker de Calvi) et Bruce Toussaint (venu d’i-Télé), qui animera également l’émission politique du dimanche avec Karim Rissouli.
Le plus grand chantier du groupe reste toutefois le lancement, le 1er septembre, d'une nouvelle chaîne d'information, baptisée Franceinfo: (le groupe est très fier des deux points dans le logo). La petite dernière aura trois têtes d'affiche : deux gars du sérail, Laurent Bignolas le matin et Louis Laforge en fin de journée, et Jean-Michel Aphatie pour l'interview politique de 8 h 30.