Menu
Libération
Edito

Voyage vers Mars : des jeux de rôle bien loin du réel

L’intérêt des simulations martiennes sur le plan physique et psychologique reste limité.
Les cobayes sont sortis de leur isolement à Hawaï, le 29 août. (Photo AFP. University of Hawaii)
publié le 30 août 2016 à 20h21

Ils sont aussi rayonnants que les astronautes de la station spatiale en retrouvant l’air pur, les fruits frais et le contact avec d’autres êtres humains, mais eux ne descendent pas de l’espace. Les six volontaires du projet Hi-Seas, chapeautée par l’Université d’Hawaï et financée par la Nasa, sont sortis dimanche d’une année d’isolement dans un dôme à Hawaï pour simuler les conditions d’un voyage vers Mars.

Ce n'est pas la première fois que des expériences tentent de reproduire une vie coupée de tout lien dans des situations extrêmes. C'est la mission russo-européenne Mars 500 qui détient le record, avec trois équipes de cobayes enfermés entre 2007 et 2011, dont les derniers sont restés 520 jours à l'écart du soleil. Mars 500 a déjà inspiré des dizaines d'articles scientifiques (encore cette année) sur l'évolution de leur santé, de leur sommeil et de leur moral. Plus vieux encore, les travaux de la Mars Society ont commencé en 2001 avec une simulation d'habitat martien sur l'île Devon, dans le grand nord canadien. Depuis, cette organisation internationale a aussi construit une station de recherche dans l'Utah qui héberge actuellement sa 169e bande de volontaires. Le recrutement intensif d'étudiants et les tests de nouvelles technologies, genre drones radio et lunettes à réalité augmentée, entretiennent l'attention des médias sur cette base américaine et lui donnent des allures de colonie de vacances scientifique.

Mais si le lieu désertique est idéal pour essayer des machines, l'intérêt de ces simulations sur le plan physique et psychologique reste limité. L'équipage d'un bateau ou d'un sous-marin, ou les scientifiques travaillant dans une base en Antarctique, par exemple, sont d'aussi bons cobayes que les apprentis astronautes pour étudier le stress du confinement, le manque d'activité physique et la déprime de se coltiner les mêmes collègues tous les jours. Sur la goélette scientifique Tara et dans l'Antarctique, comme chez Mars 500, les gestes de confort comme les sourires se sont faits de plus en plus rares au fil du temps tandis que les tics de stress (mains qui grattent le visage) se sont installés, a noté une étude en 2015.

Mais le cruel sentiment de solitude que l'on ressentira sur Mars à 100 millions de kilomètres du reste de l'espèce humaine, le vertige de l'éloignement qui grandira durant six à neuf mois de voyage spatial, personne ne peut le ressentir en restant à l'abri dans un jeu de rôle terrien. «Tant qu'une équipe ne fait pas face à un danger réel, les études psychologiques ne peuvent qu'effleurer le sujet», explique Pascal Lee, responsable du projet Haughton-Mars sur l'île Devon, au magazine Ciel et Espace, qui consacre cet été un dossier aux simulations martiennes. On n'arrivera jamais à reproduire l'angoisse de la mort et les mécanismes de l'instinct de survie sur notre planète-mère. Il faudrait au minimum délocaliser les bases de tests sur la Lune pour commencer à ressentir le risque permanent d'une atmosphère irrespirable derrière les murs d'une base spatiale.

La liste des obstacles impossibles à simuler est longue : les cobayes isolés ne subissent pas les radiations solaires et ils ne sont pas en apesanteur. Après neuf mois de voyage, l’atrophie musculaire va compromettre la forme des astronautes qui partiront à la cueillette aux échantillons de roche. On ne sait même pas si ces effets sont réversibles après un voyage de deux ans : le record de séjour sans gravité n’est toujours que de 437 jours. En cela, l’expérience hawaïenne rend l’idée du voyage vers Mars à peine plus tangible qu’un scénario de science-fiction. Mais la Nasa table toujours sur un décollage dans les années 2030, et le moment devient propice pour capter l’attention du public et faire naître quelques vocations.