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Interview

Sylvain Vanston : «Il est impossible d’être assureur et climatosceptique»

Sylvain Vanston, en charge de la responsabilité d’entreprise chez Axa, explique pourquoi le groupe a cédé des actifs liés au tabac et au charbon. Une stratégie qui est tout autant économique qu’éthique.
Axa s’est en partie désinvesti de l’industrie du charbon en cédant ses actifs des entreprises y réalisant plus de 50 % de leur chiffre d’affaires. (Photo Taylor Weidman. Bloomberg. Getty images)
publié le 2 septembre 2016 à 19h51

Au printemps, la nouvelle avait secoué le monde feutré des très gros investisseurs. L'un des leurs, l'assureur Axa, annonçait céder tous ses actifs liés au tabac, évalués à 1,8 milliard d'euros. Une première mondiale pour un investisseur de cette taille. Le groupe, qui gère pas moins de 552 milliards d'euros de fonds propres, vient en outre, la semaine dernière, avec 129 autres investisseurs institutionnels, d'appeler les dirigeants des pays du G20 à ratifier l'accord de Paris sur le climat et à accélérer la transition énergétique. Il s'est aussi en partie désinvesti en 2015 du secteur du charbon. Et boude les entreprises productrices d'armes controversées (mines antipersonnel et bombes à sous-munitions) ou certaines sociétés produisant de l'huile de palme. Quelle mouche a donc piqué Axa ? Quelles sont les limites de son engagement ? Explications de Sylvain Vanston, en charge de la responsabilité d'entreprise pour le groupe.

Pourquoi Axa s’est-il désengagé de l’industrie du tabac ?

Investir dans ce secteur tout en vendant des produits d’assurance santé était une anomalie. Au début, on voyait surtout cela comme un risque pour notre réputation, même si personne, ni ONG ni client, ne nous a jamais interpellés. Par ailleurs, la stratégie santé du groupe est de plus en plus axée sur la prévention des maladies chroniques non transmissibles, dont le tabac est une cause majeure. Pas mal de réglementations antitabac sont en train d’être mises en place dans le monde, comme le paquet neutre. Et une annonce comme la nôtre pourrait inciter les pays à renforcer encore leur réglementation. Les taxes imposées sur la vente de tabac sont très loin de couvrir les dépenses de santé associées au tabagisme. En Europe, le rapport est de 1 à 5 : les cigarettiers sont donc un coût net pour la société.

Pourquoi personne n’en est-il sorti avant ?

Le tabac pèse lourd dans les indices boursiers et les actifs de tous les investisseurs institutionnels. Hélas, c’est très rentable et peu volatil. Or certains diront que la première obligation d’un assureur est de pouvoir payer ses assurés, et pour cela, il faut faire de l’argent en tant qu’investisseur.

Envisagez-vous de vous désengager d’autres industries nocives pour la santé ?

L’alcool, le fast-food, le sucre… Mais leur niveau de toxicité n’est pas comparable à celui du tabac. Nous étudions ces sujets sous l’angle de l’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). C’est un travail de fond assez poussé, une façon de mettre la pression aux entreprises dont nous sommes actionnaires, que nous menons depuis 2010, grâce à des agences de notation extra-financières comme Vigeo. Cela peut conduire à des exclusions, au cas par cas, de notre portefeuille. Mais cette politique «d’intégration ESG» ne mène pas à des sorties massives, c’est plutôt une évolution progressive de la gestion d’actifs d’un groupe comme Axa. Il ne faut pas résumer nos actions à une série de désinvestissements, il y a surtout ce gros travail de fond.

Quid du diesel, des pesticides, qui sont aussi très nocifs ?

Il est difficile, en tant qu'investisseur, de sortir d'une entreprise qui a 50 000 références dont deux qui posent problème. Cela dit, nous agissons. Après l'éclatement du scandale Volkswagen [mis au jour fin 2015 et concernant des millions de moteurs diesels truqués, ndlr], nous avons fait pression sur les constructeurs. Mais nous ne sommes pas sortis de l'industrie automobile. Car on a besoin de ces entreprises pour créer d'autres technologies. Elles pourront produire des hybrides ou autres et ont donc les clés de l'économie de demain. Il est probable que Total ou PSA fassent partie des solutions de la transition énergétique, alors qu'il est impossible d'imaginer que British American Tobacco le soit concernant la transition «away from tobacco».

L’engagement actionnarial fait-il vraiment avancer les choses ?

Il faut être patient. Sur l'huile de palme, nous nous sommes engagés de façon très spécifique sur certaines sociétés qui avaient de grosses casseroles liées à certaines pratiques agricoles, dans des parcs nationaux, etc. Si sur ces sujets bien délimités, vous avez un, deux, cinq actionnaires importants qui posent des questions, là oui, on a vu des sociétés dire : «OK, je vais adhérer à telle norme, arrêter de produire de telle façon, etc.» Nous regardons le cas de l'huile de palme depuis 2012 et nous avons vu de réels changements que nous avons fait vérifier sur le terrain, même si tout n'est pas réglé. Côté armes controversées, une importante société basée à Singapour a annoncé il y a quelques mois avoir cessé de produire une bombe à sous-munitions, en citant la pression des investisseurs. Mais il faut des années pour commencer à voir les lignes bouger.

Pourquoi Axa ne s’est-il désinvesti que des entreprises réalisant plus de 50 % de leur chiffre d’affaires dans le charbon ?

Nous avons placé la barre intuitivement à 50 %, car nous n’avions pas vraiment de points de comparaison, seuls des petits fonds de pension éthiques l’avaient fait. Cette barre donne déjà une liste d’une centaine d’entreprises, dont certaines très grosses. Et plus vous descendez en pourcentage, plus vous vous mettez à capturer un pan entier de l’économie. Ce n’est plus très logique en termes d’accompagnement d’une transition énergétique. Qui fera les énergies de demain si ce n’est pas les énergéticiens ? Nous avons désinvesti environ 500 millions d’euros hors du charbon. Nous n’étions pas massivement investis dans ce secteur, tant mieux. Idem pour le tabac. Notez que nous agissons aussi côté assurantiel : nous avions parmi nos clients des conteneurs de cartouches de cigarettes qui transitent dans le monde entier, c’est fini. Nous avons aussi cessé en 2011 d’assurer des fabricants d’armes controversées, après avoir désinvesti en 2007.

Cette annonce sur le charbon a-t-elle fait boule de neige ?

Oui, cela a été un très gros signal pour pas mal d’investisseurs mondiaux et de fonds de pension. En amont de la COP 21, il y a eu une sorte de phénomène de mode. Même émulation avec notre décision sur le tabac.

Axa compte-t-il se désinvestir davantage du pétrole et du gaz ?

Pas pour l’instant. Car le risque que les actifs liés à ces énergies perdent de leur valeur en raison des réglementations environnementales est bien moindre que pour le charbon. Nous avons d’abord traité ce dernier, qui est le pire pour le climat, comme le tabac l’est pour la santé.

Ensuite, nous traitons par le biais de l'engagement actionnarial [incitations en interne, ndlr] les sociétés exposées au charbon à un peu moins que 50 % de leur chiffre d'affaires, donc en dessous de notre seuil mais posant quand même un risque. Pour l'heure, nous n'avons pas du tout prévu de désinvestissement sur le pétrole ou le gaz, ni même d'engagement actionnarial. Mais côté assurantiel, nous mettons en place un distinguo entre, par exemple, une centrale à gaz à cycle combiné et une centrale à gaz en dessous des normes locales.

En 2010, vous avez été épinglés par l’ONG les Amis de la Terre pour vos investissements dans l’extraction des sables bitumineux canadiens… Qu’en est-il ?

Nous n’avons pas actuellement de politique dédiée aux sables bitumineux ni au gaz et pétrole de schiste. Nous sommes très peu exposés à ce secteur côté investissements.

Il s’agit pourtant du «pire du pire» du pétrole, équivalent au charbon…

Oui, mais le charbon est encore une source majeure d’énergie, très commune. Alors que l’impact climatique des sables bitumineux, à l’échelle de la planète, est assez faible. Mais les hydrocarbures non conventionnels sont un vrai sujet, en effet, qui pourrait ressurgir et qu’il faudra qu’on regarde.

N’est-il pas logique, pour un assureur, de sortir des industries qui détraquent le climat, puisque c’est lui qui paie les dégâts ?

Les dangers climatiques représentent déjà environ 15 % de nos risques en assurance dommages au niveau mondial. Et avec le changement climatique, les catastrophes naturelles gagnent en fréquence et en intensité. Il est difficile de donner un chiffre mais il semble clair qu'un monde à + 2°C sera assurable, quoique un peu plus cher, alors qu'un monde à + 4°C ne le sera plus vraiment. Les assureurs sont aux premières loges du changement climatique, il est impossible d'être assureur et climatosceptique.

Axa a soutenu un appel au pétrolier ExxonMobil lui demandant un reporting sur le «risque carbone» que feraient peser pour les actionnaires ses investissements dans le pétrole et le gaz. Pourquoi ?

Aux Etats-Unis, Exxonmobil cristallise le combat de l’engagement actionnarial avec le secteur fossile. C’est l’une des sociétés les plus influentes et l’une des plus en retard sur le climat. Il faut essayer de la faire changer. Ce serait un signal important.

Travaillez-vous sur la biodiversité ?

Honnêtement, pour nous c’est un sujet un peu trop diffus qu’on ne sait pas bien appréhender. Nous devrons muscler notre expertise. Idem pour l’eau. Sur ces deux questions, nous en sommes là où nous en étions sur le carbone en 2010 ou 2011 : nous avons conscience que ce sont des problèmes très inquiétants mais nous ne savons pas encore bien comment les analyser. Cela ne veut pas dire que nous mettrons cinq ans. Ils sont là, sur le radar.