Le climat se réchauffe à un rythme inédit, les politiques semblent l'ignorer, le blues vous gagne… «Surtout pas, regardez, il y a de l'espoir, la transition énergétique mondiale est déjà en marche !», répond en substance le WWF. D'autant que les Etats-Unis et la Chine viennent de ratifier ce samedi l'accord de Paris, signé en décembre.
Dans un rapport publié jeudi, l'ONG au panda y détaille une quinzaine de «grands signaux» prouvant que celle-ci est même «irréversible», quoique trop lente (essor des énergies renouvelables, déclin de l'industrie du charbon, engagement des villes et des entreprises…). Vendredi, elle se félicitait aussi de l'annonce de l'émission par la France d'obligations vertes souveraines. Entretien avec Pascal Canfin, directeur général du WWF France, ancien député européen (EE-LV) et ancien ministre délégué au développement de 2012 à 2014.
Parmi les «quinze signaux prouvant que la transition énergétique est en marche» recensés par le WWF, lesquels vous semblent les plus importants et à même de changer la donne ?
Difficile de choisir. Ce qui change la donne, c'est l'addition de ces signaux. Quand on voit que la consommation de charbon baisse en Chine, que les énergies renouvelables ont représenté 90 % de la nouvelle génération d'électricité en 2015, que les émissions de CO2 liées à l'énergie stagnent dans le monde ou que le prix des panneaux solaires photovoltaïques a chuté de 80 % sur les cinq dernières années, on voit clairement que nous sommes parvenus à un tournant. Et que cette transition vers un nouveau modèle énergétique mondial est devenue irréversible.
Nous montrons dans ce rapport que l'espoir est possible, qu'on entrevoit le bon chemin. Même si nous soulignons que si on n'accélère pas sur ce chemin, on ne parviendra pas à tenir l'objectif des +2°C [de hausse de la température moyenne du globe par rapport à l'ère préindustrielle, ndlr]. Le document est surtout centré sur l'électricité, mais sur la mobilité et les transports, par exemple, il reste beaucoup à faire.
Nous rappelons aussi que le nombre d'emplois dans les renouvelables ne cesse d'augmenter : il a atteint le niveau record de 8,1 millions d'emplois dans le monde en 2015. L'Organisation internationale du travail (OIT), qui représente à la fois les salariés et les patrons, a montré qu'un monde compatible avec l'accord de Paris sur le climat, qui limite la hausse des températures à +2°C, est un monde qui crée 60 millions d'emplois au niveau global, dont environ 800 000 pour la France. Contrairement à ce que certains continuent de véhiculer, il n'y a aucune opposition entre la lutte contre le chômage et la lutte contre le dérèglement climatique. Au contraire, c'est un puissant levier de création d'emplois.
Comment expliquez-vous que nos dirigeants ne se rendent toujours pas compte de ce changement de paradigme et de son potentiel en termes d’emplois ?
L'enjeu, c'est la bataille culturelle. Les technologies sont là, elles sont mûres, même s'il reste des améliorations à faire, par exemple sur le stockage de l'électricité d'origine renouvelable. Techniquement, une grande partie des sujets sont résolus, mais dans la tête des décideurs, ce n'est pas encore le cas. Ils imaginent que ce n'est pas compétitif, pas assez puissant, que ce n'est pas avec des éoliennes qu'on va faire rouler un TGV… Peut-être parce qu'il existe un énorme écart entre les prévisions institutionnelles de développement des énergies renouvelables et la réalité du marché. L'Agence Internationale de l'Energie (AIE), par exemple, a systématiquement sous-estimé leur déploiement et a dû revoir ses chiffres à la hausse. Nos schémas culturels et mentaux sont complètement dépassés par la réalité.
La Chine paraît désormais plus volontariste et innovante que l’Union Européenne…
L'environnement y est devenu une question d'instabilité politique. La première cause de mécontentement des classes moyennes urbaines chinoises est la dégradation de leur qualité de vie. C'est pour cela que la consommation de charbon y recule au profit des renouvelables, dans lesquelles le pays investit massivement. Les gouverneurs des provinces y seront aussi notés en fonction de leur capacité à améliorer le capital naturel de leur région. Imaginez qu'on confie la même mission aux préfets, en France !
La France est très à la traîne. Pourquoi?
La France est une exception. C'est le seul pays au monde à être autant nucléarisé, avec plus de 75% de son électricité d'origine nucléaire. A la seconde place figure la Slovénie, mais loin derrière, avec «seulement» 55% d'électricité nucléaire. Résultat, nos élites politiques et économiques, de gauche comme de droite, ont une vision du monde de l'énergie totalement dépassée. Alors que nos voisins, eux, avancent. En 2015, les énergies renouvelables ont fourni 48% de l'électricité du Portugal et plus de 32% de la consommation domestique en Allemagne. En France, nous n'atteignons même pas 15%.
Quel est votre regard sur le bilan du gouvernement Hollande en matière de transition énergétique?
La loi sur la transition énergétique, adoptée mi 2015, fixe des objectifs cohérents. Le seul sujet, depuis, c'est sa mise en œuvre. Tout n'est pas à jeter. Il y a des avancées. Nous soutenons Ségolène Royal quand elle décrète un moratoire sur les nouveaux permis de recherche d'hydrocarbures. Et la France se positionne comme un leader de la finance verte. Regardez l'annonce de ce vendredi : la France va émettre neuf milliards d'euros d'obligations vertes sur trois ans, c'est le premier pays au monde à le faire!
Par contre, la PPE [Programmation pluriannuelle de l'énergie, qui doit traduire concrètement les objectifs de la loi, ndlr] n'avance pas, et on risque de sortir de ce quinquennat sans avoir engagé de sortie de l'exception française sur le nucléaire. Pour l'instant, ceux qui cherchent à gagner du temps dans ce domaine ont gagné, car aucun choix structurant n'a été réellement engagé. Ramener la part de l'atome dans la production d'électricité de 75% à 50%, comme le prévoit la loi, n'est pourtant que du bon sens : cela permettrait de nous rendre moins prisonniers de la monoculture dans laquelle nous enferme ce choix du tout nucléaire. Or on sait que dans tous les domaines, agricole ou autres, la monoculture rend moins résilient, plus fragile.
Les propos tenus sur l’énergie par les candidats à la présidentielle vous rassurent-ils?
Pas du tout. Quand j'entends Emmanuel Macron et Arnaud Montebourg à gauche, ou Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire à droite, j'entrevois une grande régression, et non pas une grande transition. Emmanuel Macron dit qu'il incarne une forme de modernité, mais sur tous les sujets environnementaux, il défend le modèle industriel du 19e et du 20e siècle! De façon générale, à part quelques-uns comme la maire de Paris Anne Hidalgo, aucun grand responsable politique ne place la transition énergétique au centre du débat.
Le rapport souligne l’engagement des villes. Est-ce désormais à cette échelle-là que la politique est la plus innovante et efficace?
Aujourd'hui, plus aucun maire de grande ville ne peut être élu si son programme n'est pas à la hauteur en matière environnementale. Ce qui fait l'élection d'un maire de grande métropole, ce sont ses propositions en matière d'amélioration de la qualité de l'air, des transports, de la qualité de vie… Ce n'est absolument pas le cas pour les élections nationales. Pour l'instant, l'environnement n'en est qu'un thème mineur, à gauche comme à droite. Nous lançons sur les réseaux sociaux une campagne d'interpellation des candidats aux primaires sur ce sujet. Nous allons par exemple leur poser cette question : savez-vous que les renouvelables ont représenté 90% de la nouvelle génération d'électricité en 2015 dans le monde?
Une des moyens de faire en sorte que les questions écologiques figurent parmi les enjeux majeurs de la campagne, c'est de les connecter aux questions de sécurité. Ce qui est insoutenable n'est pas stable, donc pas sûr. Les impacts des dérèglements climatiques sont un multiplicateur de menaces, on ne peut plus penser le monde sans intégrer cette nouvelle donne. Le cas de la Syrie est bien documenté et très révélateur : une des causes du conflit, ce sont les quatre ans de sécheresse qui ont frappé le pays entre 2006 et 2009 et ont forcé près d'un million de Syriens à se déplacer au sein du pays. Un monde à +3°C ou +4°C, c'est forcément un monde plus chaotique.
Quid des entreprises?
Il faut sortir du faux débat qui les opposerait aux Etats. La première condition pour qu'elles puissent vraiment se lancer dans la transition énergétique, c'est que les règles du jeu soient claires. L'une des raisons pour lesquelles la France régresse en matière d'énergies renouvelables, c'est parce que les règles du jeu n'ont pas cessé de changer. Ceci dit, le poids de certains lobbys reste important. Malgré l'effondrement de son modèle économique, qui pousse des administrateurs à démissionner et qui mécontente les syndicats en interne, EDF reste un Etat dans l'Etat. Malgré l'évidence, ses dirigeants veulent freiner la transition, un peu comme si le lobby de la poste avait voulu bloquer l'essor des mails. Ils ont fait le choix du tout nucléaire et ont du mal à se déjuger. Mais c'est au politique de montrer sa capacité à dépasser cela. Il est désespérant que le système soit bloqué par quelques personnes. L'idéal serait un responsable qui dise : «je veux un grand plan pour permettre à la France de se mettre sur la trajectoire des +2°C maximum, je le traduis partout, dans tous les secteurs, et vous verrez que ça paiera».