Luke Bannister et Dunkan Bossion sont assis dans leur «cockpit» : une petite estrade installée au bord de la piste depuis laquelle ils manipulent leurs radio-commandes, concentrés et immobiles derrière les lunettes blanches aux verres opaques qui leur couvrent les yeux. Devant eux, deux drones volent à plus de 100 km/h, filent sous des portes, contournent des drapeaux. Ils s’entrechoquent. L’un d’entre eux vascille, tombe sur le sol. La course a duré moins d’une minute. Luke Bannister, prodige britannique de 16 ans ôte ses lunettes. Il vient de perdre la finale de la course de drones qui se tenait dimanche sur les Champs-Elysées, laissant la place de vainqueur au Français Dunkan Bossion.
Dans le public, Anna, une jeune fille de 19 ans, est ravie : «Quand je regarde voler ces drones, ça me rappelle une scène de Star Wars !» Accoudée aux barrières qui entourent la volière de 100 m de long, elle fait partie des 100 000 spectateurs qui ont assisté à la course, organisée dans le cadre du Paris drone festival. La plupart sont des passants curieux, venus profiter de l'ouverture de la grande avenue aux piétons. Beaucoup découvrent ce nouveau sport dont ils n'avaient jamais entendu parler. «C'est pour ça qu'on est là, affirme Dunkan Bossion. Pour montrer ce qu'est notre sport, et donner des bases aux personnes que cela peut intéresser.»
Champion d'hélicoptère 3D, il a fait voler son premier drone il y a deux ans. Il est aujourd'hui l'un des rares pilotes à pouvoir vivre de sa passion. Avec patience, il présente sa machine. «C'est moi qui l'ai développée», précise-t-il. Quatre hélices, quatre moteurs, des pièces venues d'Israël, d'Asie, d'Allemagne… Ce qui étonne, surtout, c'est la taille de l'engin. Il tient dans la paume de la main et pèse moins de 500 grammes. Pourtant, une fois en l'air, il est capable d'atteindre les 130 km/h. «Quand on le pilote, on a l'impression de conduire une formule 1, explique l'Allemande Juli Müller, seule concurrente féminine. On a une vraie impression de vitesse, on se sent libre !»
A lire aussi Dans la tête d'un pilote de drone chasseur-tueur
Ruche d'abeilles
C'est leurs lunettes qui rendent possible cette sensation. Equipées d'écrans de la taille d'un ongle, elles retransmettent en direct les images captées par la caméra du drone. Mais aussi le son, qui rappelle le grouillement d'une ruche d'abeilles particulièrement agacées. «Avec les lunettes, on est vraiment dans la course, comme si on pilotait directement», confient les pilotes. «Le danger en moins», concède Dunkan Bossion. Et heureusement, car les crashs sont nombreux. Les drones, légers, sont particulièrement sensibles aux conditions météo. «De toute manière, ils sont conçus pour se crasher et être réparés facilement», explique-t-il. Le pilote Julien Leteve, éliminé dès le début de la compétition, en a fait les frais. Pour participer à un tournoi comme celui-là, Juli Müller passe ses week-ends à s'entraîner. Dunkan, lui, s'est préparé une semaine entière. «C'est un vrai sport, ça rappelle un peu le moto-cross. Même si pour le moment il n'y a pas de contrainte physique. Après, peut-être que d'ici quelques années, on va devoir se muscler les doigts…»
Les pilotes de courses ne sont pas les seuls à envoyer leurs engins dans les airs. En 2015, les Français ont acheté près de 300 000 drones de loisir. L'objet a même été le cadeau le plus offert à Noël. Pourtant, la réglementation pour les utiliser est «très compliquée», se désole Mathieu Kutschenritter. Ce père de famille est venu assister aux courses avec ses trois drones en pensant pouvoir leur faire prendre l'air. «On doit éviter les lieux habités, les bâtiments publics. La loi est différente selon le type de drone.» Tout est géré par la préfecture de police et la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Difficile de s'y retrouver dans les règles, établies en 2012, pour éviter les survols de lieux sensibles et protéger la vie privée. Seule solution pour ce passionné parisien : les faire voler dans son appartement, mais «le problème, c'est qu'ils se heurtent au lustre».
A lire aussi Livraison par drones : des promesses en l'air
Secteur d'avenir
Consciente du problème, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé la création de deux nouveaux espaces, ouverts un dimanche par mois aux utilisateurs de drones. Le 18 septembre, l'hippodrome de Longchamp les accueillera pour des sessions d'une heure, à cinq euros. Le 16 octobre, ce sera au tour de la Villette. Une manière de permettre aux pilotes de profiter pleinement de leurs engins. Mais aussi d'habituer les habitants à leur présence. Car, pour elle, le marché du drone est un secteur d'avenir et Paris «une ville qui invente le futur». D'autant plus que les drones ne sont pas utilisés que pour le loisir. La maire n'a d'ailleurs pas hésité à rappeler que plus de 100 000 emplois avaient été créés dans ce secteur. «Ils peuvent aussi avoir des effets positifs sur plusieurs domaines, affirme Rodolphe Jobard, de la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC). L'environnement, tout d'abord : ils permettent de faire des relevés topographiques, du repérage. Mais ils sont aussi un gage de sécurité, puisqu'ils peuvent inspecter les lignes électriques, survoler les bâtiments.»
La Poste et la SNCF misent déjà sur ces drones pour améliorer leurs services : livrer des colis pour la première, inspecter les lignes de train pour le second. En attendant que les drones changent le monde, Mathieu Kutschenritter espère surtout que ces courses feront prendre conscience aux autres que «les drones, ce n'est pas que pour les enfants».