Au lendemain du keynote de rentrée d'Apple et du lancement d'un iPhone 7 sans nouveauté majeure, Thomas Husson, analyste chez Forrester, revient sur la stratégie de la firme à la pomme.
Comment avez-vous perçu la présentation d’Apple lors de son keynote de rentrée mercredi ?
La particularité d'Apple si on la compare à ses concurrentes, c'est que cette marque se concentre sur une gamme de produits très restreinte. Elle sait de mieux en mieux allonger leur durée de vie en les enrichissant de nouvelles expériences grâce à sa maîtrise du logiciel et des services, le tout en collaboration avec des marques phare soigneusement choisies comme le montrent les partenariats annoncés mercredi avec Nike ou Nintendo. Apple sait mieux que d'autres créer des effets de mode pour que ses nouveautés s'inscrivent dans le style de vie de ses consommateurs les plus appétents qui sont aussi ceux disposant du pouvoir d'achat le plus important.
C’est suffisant pour résister à la concurrence qui grignote petit à petit ses parts de marché ?
Les nouvelles fonctionnalités sont souvent un peu en retard chez Apple, présenter comme un scoop le fait que l'iPhone 7 et la nouvelle version de sa montre connectée soient désormais étanches, c'est un peu exagéré, ils auraient pu le faire avant. Mais si d'autres produits de la concurrence sont nettement plus sophistiqués, Apple est la seule marque de hardware à être véritablement devenue tendance, synonyme d'un style de vie dont «l'expérience» comme on dit ne cesse de s'enrichir. Ses concurrents restent confinés dans un univers plus techno, moins lifestyle, même si ça change.
Apple souffre-t-il aujourd’hui d’un manque de vision comme le disent certains ?
L'attente est souvent irrationnelle vis-à-vis d'Apple, ce qui confirme que l'entreprise reste bien une marque à part. Si les produits présentés mercredi n'ont rien de disruptif et témoignent plutôt d'une progression pas à pas dans l'innovation, il n'empêche qu'ils concentrent une somme de petites améliorations, de petits détails qui font qu'au final l'expérience de l'utilisateur s'améliore. Tout le monde attend un package plus novateur pour l'an prochain, pour les dix ans de l'iPhone. Certains peuvent ressentir une lassitude bien légitime mais l'iPhone n'a que dix ans, il n'a pas encore fait sa crise d'ado ! Et puis beaucoup reste à explorer et découvrir dans le domaine des smartphones qui restent au cœur de la révolution de cette nouvelle vie perpétuellement connectée.
Comment Apple peut-il continuer à croître dans un marché de plus en plus concurrentiel avec la montée en puissance des fabricants asiatiques et notamment chinois et saturé d’objets connectés?
Les objets et vêtements connectés ne sont pas près de remplacer le mobile qui va rester central, en dépit d'un recul des ventes et d'une quasi-stagnation générale du marché. Le nouvel enjeu pour Apple est double. D'une part, la société va évoluer de plus en plus vers un modèle de services rendu possible par l'énorme base installée d'iPhone, un produit qui dépasse désormais le milliard d'unités vendues. Ces derniers génèrent déjà 22 milliards de dollars de revenus annuels, soit 13% de l'activité de la société mais la marge de manœuvre reste colossale dans ce domaine. Ils sont immensément riches avec une trésorerie de 230 milliards de dollars, ce qui leur permet de procéder à des acquisitions et il reste énormément à faire dans les domaines de la domotique, demain de la santé, en faisant de l'iPhone le «chorégraphe» de nouveaux services connectés. Apple Music ou Apple Pay sont des premières briques de cette stratégie et je ne serai pas surpris que de nouveaux services fassent leur apparition prochainement.
Cela signifie-t-il que la sortie de nouveaux produits n’est plus au cœur de sa stratégie ?
L'autre option, qui sera menée en parallèle avec la première, Apple en a largement les moyens, c'est d'imaginer de nouveaux produits disruptifs qui, comme l'iPhone, intègrent le hardware avec des logiciels et des services. On pense à la voiture bien sûr, sur laquelle des projets ont été lancés, pourquoi pas à un nouveau produit pour la maison connectée; à l'instar de la montre connectée, un produit balbutiant qui se cherche encore. L'avantage de cette double stratégie est qu'elle participe dans tous les cas de figure à un renforcement d'un écosystème qui se nourrit également d'applications tiers développées par d'autres éditeurs. Le point central, c'est de continuer à faire grossir la base d'appareils connectés et par là même celle de services déployés dans l'ensemble de l'écosystème d'Apple.
Apple a-t-il les moyens de s’investir sur tous ces fronts ?
L'éventail des possibles est très large, oui, et tout l'art est de n'arriver ni trop tôt, lorsque les marchés ne sont pas encore matures, ni trop tard lorsqu'ils sont déjà embouteillés. Mais avec une marque solidement installée dans son environnement premium et un modèle économique d'une exceptionnelle robustesse basé sur des marges que toute la concurrence lui envie, le potentiel de croissance d'Apple reste très important. En dépit d'un environnement moins porteur, je ne les enterrerai pas trop vite.