Cher Mark Zuckerberg,
Mais la menace est venue de manière sournoise, moins violente et sous couvert de bonnes intentions : cette semaine, c'est vous, Mark Zuckerberg et votre grand réseau social ouvert sur le monde qui avez censuré l'une des photos les plus emblématiques de l'histoire de la photographie et du photojournalisme: la fille au napalm pendant la guerre du Vietnam.
Le 8 juin 1972, Nick Ut de l’agence Associated Press saisit cet effroyable moment d’enfants fuyant leur village bombardé au napalm. Au centre de l’image, Kim Phuc, 9 ans, complètement nue, crie de douleur. Cette image devient le symbole des atrocités de la guerre au Vietnam. Elle sera reprise par les journaux du monde entier.
Quand le grand quotidien norvégien Aftenposten poste cette image sur sa page Facebook pour parler des images de guerre qui ont changé l'histoire de la guerre, rien ne va plus. Dans votre lutte contre les images pornographiques et pédopornographiques, vos algorithmes qui scrutent les milliards de publications n'ont vu dans ce cliché qu'une fillette nue. Contraire à vos conditions d'utilisation, vous avez maintenu sa suppression.
Le rédacteur en chef d'Aftenposten, dans la très juste lettre ouverte qu'il vous a adressée, vous avait expliqué pourquoi il ne se plierait pas à votre exigence de retirer cette image. Mais vous et vos machines n'avez rien voulu savoir.
Devant la pression médiatique et politique, votre entreprise est finalement revenue vendredi soir sur sa position et a autorisé la publication. Tant mieux. Mais on ne peut pas se satisfaire de votre recul ponctuel. Vous devez faire évoluer votre politique.
Cher Mark Zuckerberg, même si c'est pour faire avancer la lutte contre la diffusion d'images pornographiques, je suis également effrayé par les règles que vous établissez qui ont abouti une telle censure. Même si cette photographie emblématique de la guerre du Vietnam est désormais autorisée, quid du tableau de Courbet L'origine du monde qui est toujours interdit.
Facebook est un aussi média. D’ailleurs, vous avez des équipes d’éditeurs qui examinent les contenus les plus à même de faire augmenter le temps passé sur votre réseau. Alors, agissez comme un directeur de la publication et prenez vos responsabilités.
Cher Mark Zuckerberg, je souhaiterais modestement vous faire une proposition. Emmenez vos algorithmes faire un tour, visiter des expositions de peintures et de photographies pour qu’ils apprennent à reconnaître un Courbet, un Bettina Rheims, un Henri Cartier-Bresson. Vos algos sont bien assez puissants pour faire la différence entre une photo qui ne devrait pas tomber entre toutes les mains et des photos qui font avancer le monde.