Débarrassons-nous d'entrée de la question évidente. Eric, c'est le petit. Quentin, c'est le grand. Les deux font tellement la paire à l'écran qu'on les confond aussi à la ville. Dans la conversation, le premier parle un peu plus et le second balance davantage de vannes. Loin des caméras, ils fonctionnent aussi en duo rodé. Révélés par le Petit Journal de Canal +, ils migrent en cette rentrée sur TMC dans le sillage de Yann Barthès, dont la nouvelle émission, Quotidien, démarre ce lundi. Au sein du groupe TF1, pas de révolution : Eric et Quentin joueront des sketchs «un peu plus orientés sur les médias», à base de perruques, d'accents et de gags surjoués. «Notre humour n'est jamais trop méchant. On veut rester potaches. Nos personnages sont des gentils bébêtes.»
La précision «gentils» est bienvenue. Le couple rappelle l'imparable duo de potes un peu lourds qui, dans n'importe quel groupe d'amis, font en permanence les cons. Leurs sketchs sont inégaux mais plaisent à une large cible, si bien qu'Eric et Quentin, que Canal + a tenté de retenir mais que TF1 voulait, viennent d'achever le tournage d'un long métrage. Son accouchement, interminable, a nécessité l'écriture préalable de deux scénarios différents, finalement rejetés. «Cela ne marchait pas.» Eric et Quentin (E et Q) ont suivi l'avis de leur producteur, Abel Nahmias, en qui ils ont «confiance». Comme ils ont «confiance» en leurs deux patrons actuels à la télé, Yann Barthès et Laurent Bon, qu'ils passent leur temps à saluer, vanter, remercier. Même chose pour ceux qui leur ont mis le pied à l'étrier, Omar, Fred et Bertrand Delaire, les coauteurs du regretté SAV des émissions sur Canal +. E et Q ont le processus de création modeste : lorsque leurs commanditaires tiquent, ils changent de sujet sans s'acharner. Le duo a tout à fait conscience de ses limites : «On n'a rien inventé. On apprend.» Notamment sur le jeu d'acteurs, leur point faible. Auteurs à Canal +, ils ont commencé à interpréter leurs propres saynètes par «accident» parce qu'ils manquaient de comédiens. «Beaucoup d'auteurs dans ce métier sont des acteurs frustrés. Pour nous, c'est le contraire.» Procédons maintenant à un interrogatoire dissocié.
Eric, le classique. Quand on le sépare de son acolyte, Eric est d'emblée plus nerveux. Beaucoup moins potache aussi. Son regard, deux yeux d'un bleu très clair, devient fuyant et sa main se met à triturer le col de son tee-shirt. «Je suis pudique», justifie celui qui apparaît souvent dénudé dans ses sketchs et sans aucune peur du ridicule. Du bout des lèvres, il évoque ses parents séparés, deux cadres qui ont connu le chômage et un certain déclassement. Longtemps, il a été «un très mauvais élève», «le petit rigolo insolent qui monte sur les tables et a besoin d'attirer l'attention». A l'évidence, ce natif de la région parisienne, qui confesse être «beaucoup plus heureux depuis qu'il est majeur», a quelques angoisses en magasin.
Il semble les apaiser par l'écriture, à laquelle cet admirateur d'Albert Cohen s'est mis «par solitude» lors de l'adolescence et consacre aujourd'hui la quasi-totalité de son temps libre. C'est grâce à une lettre fictionnelle («je racontais une dispute avec ma copine, elle fonctionnait bien»), envoyée un peu partout alors qu'il s'ennuyait en maîtrise de lettres à la Sorbonne, qu'il a décroché des stages à Nova, Oui FM et Canal +.
L'an dernier, ce célibataire a publié un premier roman, la Nuit des trente. Ni honteux ni génial, il relate la déambulation désespérée et alcoolisée d'un néotrentenaire dans Paris. Plein de «mélancolie», le livre décrit «un homme rongé par les regrets» qu'il voudrait éviter d'être. Dans son deuxième roman (sortie en février 2017), il promène dans le bois de Boulogne un personnage «ivre de malheur» de s'être fait larguer. Promis, «c'est moins dark». Le suivant, déjà écrit, s'intéresse au monde de la nuit, à propos duquel il a cette formule désillusionnée : «Sur une piste de danse, les gens crient pour ne pas pleurer.»
Lui-même sort beaucoup, mais seulement le week-end, et s'est donné pour règle de passer au Perrier à 2 heures du matin : «Je ne veux pas devenir un cliché de boîte de nuit.»
Eric, qui vote blanc, l'admet facilement : «La politique m'intéresse mais ne m'enthousiasme pas.» Le parcours psychologique des individus attise davantage sa curiosité que leur environnement social. «J'adore parler à des inconnus. C'est peut-être une façon de me détourner de moi.»
Quentin, le pop. Aussi étrange que cela puisse paraître, Quentin-le-barbu-placide a une vie assez associée à Libé. Fils d'un publicitaire décédé («une embolie, ça arrive à plein de gens») et d'une professeure des écoles, ayant vécu vingt-cinq ans à Champigny (Val-de-Marne), Quentin évoque le journal en souriant, phénomène rare tant avec nous il est dans le sérieux et le contrôle. «Mes parents lisaient Libé, et les titres me faisaient marrer, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire !» Il entre dans une école de journalisme, l'IICP, avec la vocation vague de devenir «titreuralibé» et se retrouve finalement stagiaire à la télé. «Je n'ai jamais eu de retour des entreprises de presse.» Sa vie suit alors un cours paisible dans les coulisses des rédacs télé, notamment à Canal +, où il aurait pu continuer à œuvrer plutôt que de devenir comique. Là encore, c'est indirectement Libé qui l'oriente, en la personne d'une de ses profs à l'IICP, Elisabeth Perrier, qui a travaillé pour le journal et trouve que le jeune homme a une belle plume. Par la voie des rencontres en interne, il devient auteur pour des bolides maison (Omar et Fred), puis pour lui. Enfin, pas que pour lui, pour Eric aussi, ce qui a ses avantages : «Quand l'un fait une mauvaise blague, l'autre rigole, comme ça, on ne fait jamais de four.»
Si Eric aime les livres, Quentin collectionne les objets tribaux, passion héritée de son père, et mixe. «Je suis fan de black music, c'est pas très original, mais j'ai un faible pour James Brown, Kendrick Lamar, Kanye West. Je me serais marié si Prince avait pu chanter à mon mariage.» Malheureusement, il était mort. «Non, il était trop cher : 1 million de dollars. Mais je suis allé à trois de ses concerts.» A défaut d'être marié, Quentin a une amie et il «se marre bien avec [s]a meuf», ce qui semble être une condition nécessaire pour affronter son quotidien en perpétuelle recherche de sourire, compliqué par la concurrence vivace des comiques de réseaux sociaux. «Ces temps-ci, ça se tire la bourre, tout le monde y va de sa blague. Mais il ne faut pas se leurrer, sur YouTube, c'est de la fausse concurrence, c'est de la vente de produits publicitaires. C'est pour ça que ce qui nous distinguera toujours, c'est notre référence à l'actu.» Leur dernière actu les voyait visiter la tour de TF1, lieu de leur nouvelle vie, en short et sandales, pour une pastille autopromotionnelle.
15 juillet 1982 Naissance de Quentin Margot à Brou-sur-Chantereine (Seine-et-Marne).
21 juillet 1984 Naissance d'Eric Metzger à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
2009 Débuts du duo dans le Petit Journal comme auteurs.
Septembre 2016 Le duo arrive sur TMC.