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Libération
portrait

Bruce Toussaint, un peu d’air

Longtemps «matinalier» sur i-Télé, le journaliste passe au soir sur France 5 avec «C dans l’air» et le nouveau «C polémique».
Bruce Toussaint. Paris, le 25 août 2016. Photo Manuel Braun
publié le 15 septembre 2016 à 18h01

C’est une journée d’août dont on parlera encore devenu grabataire. La chaleur a envahi Paris. Les bouches à incendie lâchent des geysers d’eau pour combler les enfants, les pneus des voitures explosent en pétaradant, «pan, pan», le macadam fond sous les semelles. Au fond d’une brasserie centenaire près de la gare Montparnasse, le Select, Bruce Toussaint est là, sur la banquette, tentant, malgré la canicule, de garder une contenance. Il cherche de l’air, et, par sa stature imposante, son mètre quatre-vingt-treize, si ce n’était son air doux, il ressemblerait presque à ces maffiosi qui, dans leur restaurant et devant un plat de pâtes, décident de lancer une vendetta. Il transpire, nous aussi. Il dit qu’il aime venir ici enquiller des chopes, souvenir de ses premières années à i-Télé dont les bureaux étaient dans le quartier.

Nous sommes jeudi après-midi, il a le temps. Le journaliste en a rarement eu autant d'ailleurs. Sur France 5, en remplacement d'Yves Calvi parti à LCI, il présente C dans l'air le vendredi et le samedi (les autres jours, Caroline Roux est aux manettes) et C polémique qui commence ce dimanche, nouvelle émission de débats sur la politique. Un rythme aux antipodes de la matinale d'i-Télé qu'il présentait, l'œil toujours rivé sur la concurrente et leader BFM. Il dit : «Pour la première fois depuis 2001, je ne vais pas être à l'antenne tous les jours.» Il a une voix douce, posée, cela ne sonne pas comme un regret, une constatation, simplement. Il se demande ce qu'il va faire de cette liberté, espère qu'il ne la gâchera pas. On lui suggère de s'atteler à un roman, c'est ce que font les présentateurs télé pour montrer qu'ils ont des lettres, non ? Il hausse un sourcil. Lire, ce n'est déjà pas sa tasse de thé, alors écrire… D'une part, il va réapprendre à dormir. Il choisit ses mots : «C'est, comment dire, une renaissance. Non, mais vraiment. Je n'en pouvais plus. La matinale, c'est l'état de fatigue permanent. Quel que soit le moment de la journée, vous avez cette fatigue. Je n'arrivais plus à me lever, pour dire les choses honnêtement.» Sur la fin, le réveil sonnait à 5 heures, un peu tard pour prendre l'antenne à 7. Il en profiterait bien pour perdre quelques kilos, aussi. «La question de l'apparence physique est centrale à la télévision. J'ai fait mille régimes. Je sais que ça fait partie de mon personnage, mais je suis comme tous les gens qui ont un problème de poids, je ne le vis pas bien.»

Bruce Toussaint n'a que 42 ans et c'est l'un des visages du PAF les plus familiers. Sa notoriété dépasse parfois celle des politiques qu'il interroge, sans jamais pourtant être à la une des magazines people. Il dit, en y croyant vraiment : «Pardon, mais je ne suis pas certain que ça soit passionnant d'écrire sur moi.» Pas un scandale de prise de cocaïne, aucune interview inventée avec Castro, pas de véhémence à la Bourdin, plutôt, comme dit Céline Pigalle, ancienne directrice de l'information du groupe Canal +, «la force tranquille». «Il est costaud, régulier, solide. Il ne vous abandonne pas, jamais», note-t-elle. La même femme depuis toujours, une journaliste littéraire à RFI rencontrée en école de journalisme, deux enfants de 16 et 12 ans, un abonnement au PSG et des vacances sur l'île de Ré, c'est certain, c'est ennuyeux. «C'est un très bon camarade, il est attentionné, ce n'est pas la qualité la plus répandue dans ce milieu», ajoute Bernard Zekri, DG de Radio Nova, ancien d'i-Télé. En plus, il est sympa : rien ne va plus.

Vingt-trois ans de carte de presse et une carrière longue comme le bras après avoir commencé comme préposé aux chiens écrasés pour une radio locale des Hauts-de-Seine. La liste des émissions qu'il a animées sur Canal + et i-Télé donne le tournis, sans oublier des passages par France 2 et Europe 1. «Il a incarné le virage de Canal dans les années 2000 avec un ton libre, très particulier», juge Nathalie Iannetta, sa «meilleure copine», ancienne de la chaîne cryptée et désormais conseillère de François Hollande à l'Elysée. Après une escapade de 2011 à 2013 à Europe 1, est-ce donc le vrai départ de Canal ? Bruce Toussaint estime qu'il ne pouvait pas rester, même s'il refuse de passer Vincent Bolloré sous les fourches caudines. «Il m'a reçu dans son bureau une fois. Il m'a dit que j'étais une idole, puis je me suis rendu compte qu'il disait ça à tout le monde, raconte-t-il en s'esclaffant. I-Télé a été en autogestion pendant un an. Il y a eu beaucoup de fantasmes autour de la nomination de Zeller [déjà reparti, ndlr] et Chomicki mais, en vérité, on ne les a presque pas vus.»

Il est amusant, Bruce Toussaint. Il reste toujours calme, a l'air de ne pas y toucher, lâche «je comprends» lorsqu'il n'est pas d'accord avec vous, mais, in fine, lance quelques scuds entre deux sourires. «Il faut toujours écouter ce qu'il ne dit pas, note Nathalie Iannetta. Dans sa manière d'être, de se tenir et de prendre possession du plateau. Dans une forme d'intonation.» Sur la politique, il vote, mais refuse de préciser pour qui : «Si je le dis, c'est terminé. N'importe quel homme politique pourra utiliser cette information dans une interview.» Cela ne l'empêche pas de s'amuser de ces élus qui consultent frénétiquement leur téléphone portable après un passage devant le petit écran pour voir qui leur a envoyé un SMS de compliments. Ou d'être «fasciné par le vide intersidéral» de leurs ouvrages programmatiques qu'il doit bien lire, métier oblige. Pour 2017, Bruce Toussaint laisse poindre une inquiétude : «Je n'arrive pas à me dire qu'il n'y a aucun risque que Marine Le Pen soit élue. Elle est redoutable et a un boulevard devant elle.»

L'homme a grandi à Marcoussis, en Essonne. Une sœur cadette, une mère comptable, un père informaticien. L'habitus ne le poussait pas au journalisme, mais l'amour de l'actualité, oui. A 13 ans, Bruce Toussaint, daltonien, des lunettes, grande tige un peu solitaire, pas très bien dans ses baskets comme tous les ados, s'amuse à découper les articles dans les canards. «J'avais un petit studio dans ma chambre, avec un micro, des cassettes. Mes stars, c'était Eugène Saccomano et Patrick Poivre d'Arvor.» Il a toujours cet amour du métier, comprend les critiques contre les médias même s'il les trouve dures, tout en reconnaissant que cela serait bien cette saison de ne pas inviter que des hommes blancs de plus de 50 ans à C dans l'air.

Il y a trois mois, son père est mort. Le même week-end, le présentateur a appris qu'il passait d'i-Télé à France 5. «J'ai vécu quarante-huit heures un peu bizarres, à l'hôpital, à son chevet. Un télescopage brutal entre la folie du mercato, cette espèce d'urgence absolue, et ce que je vivais personnellement, extrêmement douloureux.» A ce moment de l'entretien, sa voix est un peu moins assurée et la chaleur se rappelle à nous, dans tout son étouffement.

17 octobre 1973 Naissance à Asnières- sur-Seine (Hauts-de-Seine).

1994 Entre à Canal +.

2011 - 2013Europe Matin sur Europe 1.

2013-2016Team Toussaint, la matinale info sur i-Télé.

Août 2016 C dans l’air (France 5).

18 septembre

C polémique (France 5).