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Travail nomade en site industriel

A Pantin, l'agence de publicité BETC prend place dans les anciens magasins généraux des Douanes. Et chamboule la vie de bureau.
Anciens magasins généraux transformés en agence de publicité. BETC, Pantin, 8 et 9 septembre 2016. (Photo Christophe Maout pour Libération)
publié le 15 septembre 2016 à 7h41

Offrir un beau lieu de travail à ses salariés, confortable et agréable, c’est bien. Offrir un bâtiment harmonieux dans le paysage où on l’implante, ce n’est pas mal non plus. Parvenir aux deux à la fois et, en plus, s’ouvrir au public qui passe par là, c’est le mieux. C’est sans doute ce qu’est en train de réussir l’agence de publicité BETC qui inaugure ce jeudi ses nouveaux locaux à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Entre la réflexion sur une nouvelle façon de travailler, la réhabilitation sans chichis d’un bâtiment industriel, anciens magasins généraux des Douanes, et l’ouverture tant aux habitants qu’au public qui passe par là, ce déménagement est bien plus que la nouvelle adresse d’une entreprise. Une série de choix pas banals.

Posés au bord du canal de Pantin, les 20 000 mètres carrés de cette structure de béton ont la monumentalité des entrepôts, et leur simplicité aussi. Edifiée dans les années 1930, la construction a servi jusqu'en 2000 à stocker des marchandises. «C'est un ingénieur qui a créé cet outil et c'est cela, la beauté du bâtiment», résume Rémi Babinet, co-président de l'agence. Cette beauté particulière a été respectée. Pas de déco, pas de design, aucune de ces affèteries que l'on voit d'ordinaire dans ce genre d'activité créative. L'architecte Frédéric Jung est resté dans l'esprit de «l'outil de production», lui qui évoque, dans le dossier de présentation, un lieu «à la fois poétique et rude». De fait, c'est exactement cela. Le site, en bord de canal, est d'une poésie absolue, même si l'on n'est pas du tout dans la nature.

Etrangeté

Autre étrangeté : tout le rez-de-chaussée est ouvert au public. On peut traverser le hall pour aller vers le canal. On peut aussi s'arrêter au petit café qu'il contient. Quand on pense à l'accueil habituel des entreprises, où il n'est pas question d'entrer si l'on n'a rien à y faire, c'est étonnant. De toute façon, le rez-de-chaussée contiendra aussi deux cafés, gérés par les Docks de La Bellevilloise d'un côté et par Augustin Legrand, patron du Bichat, de l'autre. Il y a aussi, dans ce rez-de-chaussée, un vaste espace d'exposition. «Entre tous ceux qui nous ont dit : "ça sert à quoi ?" et le promoteur qui n'en a rien à faire, je suis bien content de l'avoir gardé», se félicite Rémi Babinet. Lorsque l'agence était encore dans le Xe arrondissement de Paris, elle exploitait le Passage du désir, lieu d'expositions qui a reçu 300 000 visiteurs au total.

La restauration est l'autre nouveauté de cet endoit. Outre les cafés, il y aura un restaurant d'entreprise qui sera un vrai… restaurant. Autrement dit, un endroit où il y a un chef, une femme en l'occurrence, et où on est servi à table. Contrairement aux cafétérias et autres selfs, la Cantine sera ouverte toute la journée. «On est allés voir les industriels de la restauraion collective qui prétendent tous être innovants mais ne le sont pas », explique Rémi Babinet. Ils entend créer quelque chose «d'inédit, qui n'existe pas en entreprise».

Géolocaliser les salariés ?

Mais il y a encore plus surprenant à l'intérieur. Les 900 personnes qui travaillent là n'ont pas de bureau. Même pas les deux fondateurs et co-présidents, Rémi Babinet et Mercedes Erra. En revanche, tous ont quantité d'endroits où se poser : de grandes tables avec ou sans moniteurs, des coins silencieux, des modules variés pour des réunions de toutes tailles. Plusieurs cafés et de quoi s'asseoir sur la terrasse jardin du toit ou dans la rue intérieure qui a été créée entre les bâtiments. Une rue à ciel ouvert. «On n'est pas sous cloche ici», dit Rémi Babinet. D'ailleurs, il n'y a pas de climatisation. «Les ventilations sont travaillées et on peut ouvrir les fenêtres». Au total, le bâtiment offre deux fois plus de postes de travail qu'il n'y a de salariés. Grâce à ce ratio, «on n'est pas chez Accenture où les gens arrivent le plus tôt possible pour avoir les postes près des fenêtres», dit la chargée de comm'. «Dans ce bâtiment, personne n'est puni, renchérit Babinet. Il y a pléthore de place. Faire ce choix demande d'avoir de l'espace et pour ça, d'aller dans le 9-3. Si on est à La Défense, on fait du flex office qui fait peur». Dans le flex office, il peut n'y avoir pas autant de postes que de gens. On comprend que cela puisse effrayer.

Mais si chacun peut choisir sa place du moment en fonction de ses besoins, de ses affinités ou de la vue, il faut quand même que l'on puisse savoir où se trouvent les gens. Une application de gestion du bâtiment géolocalise les salariés. «Au début, raconte Rémi Babinet, on s'est dit : tout le monde va gueuler, personne ne va accepter d'être géolocalisé. Et puis non... » Quand même : ne serait-on pas en train d'échanger tout ce confort contre un contrôle permanent, voire une forme d'insécurité du nomadisme obligatoire ? Pour Mercedes Erra, là n'est pas l'enjeu. «Géolocaliser les gens on s'en fiche. Il y a des gens qui bloquent la géolocalisation et qui soulèvent le téléphone quand ils cherchent quelqu'un». Elle se dit sûre que chacun «va faire à sa manière », y compris dans les habitudes d'emplacement. «Le risque que je ressens, c'est celui de l'éclatement. Que vous n'ayiez pas de lieu, pas d'espace qui vous attend. Il peut y avoir un moment où vous vous dites : pourquoi venir ?»