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Edito

Géolocalisation : apprenons à dire stop !

Pourquoi acceptons-nous volontairement ce fil à la patte qui s’apparente à un véritable «flicage» ?
L'application mobile Zenly permet de géolocaliser ses amis. (Image Zenly)
publié le 28 septembre 2016 à 19h41

Près de 22,5 millions de dollars, c’est la somme que vient de réussir à lever une start-up française, Zenly, pour une application de géolocalisation. Les investisseurs français sont désormais rejoints par des développeurs américains. Le pari de Zenly : réduire l’imprécision des données de localisation dans le but de «repérer» au mieux ses amis en temps réel. Le service, gratuit, allie localisation au mètre près, instantanéité et faible consommation d’énergie. Tout pour plaire et répondre aux attentes des ados et des jeunes adultes : se retrouver dans un festival, sur une plage, dans une rue. Pour des parents, cela peut être l’assurance de savoir où se trouve son enfant avec précision. Le succès semble au rendez-vous avec une croissance importante des téléchargements.

Pour le géographe, l’irruption de la géolocalisation n’est pas en soi une grande nouveauté. La localisation, la distance, l’accessibilité, les réseaux sont au cœur des réflexions des spécialistes de l’espace et des milieux depuis des décennies. Pourquoi là et pas ailleurs ? Où et d’où ? Le grand défi pour le chercheur : repenser des modèles explicatifs qui ont été forgés sur la base de l’analyse de groupes, les fameuses «catégories socioprofessionnelles», chères à l’Insee. En comprendre les déplacements, les préférences spatiales et, à partir de là, proposer des aménagements, des améliorations. Assimiler les centaines de millions de données personnelles fournies par les bases de données individuelles, d’une profusion et d’une précision redoutables, voilà le nouveau défi pour les futurs «géographes».

Mais ces derniers doivent aussi s’interroger sur les finalités de ces avancées technologiques. Pourquoi toujours plus vite ? Pourquoi toujours plus de précision ? «T’es où ? T’es où ?» Si la Cnil a édicté des préconisations sur la géolocalisation des travailleurs, quid des données personnelles ? Pourquoi acceptons-nous volontairement ce fil à la patte qui s’apparente à un véritable «flicage» ? Notre «sécurité», notre «bien-être» sont-ils vraiment à ce prix ? La technologie en soi n’est pas le problème mais la question de l’utilisation des données issues de la technologie l’est. Oui, on peut s’opposer aux logiques et aux dispositifs de contrôle de l’ordre social et de l’espace. Oui, on peut se retrouver dans une foule sans téléphone portable ! Une particularité vestimentaire ? Un cri de ralliement ? Se retrouver au pied du tilleul qui perd ses feuilles ? Oui, acceptons de réapprendre à nous perdre. La technologie parfois bride l’espace, nous rend aveugle. Ouvrons les yeux. Repartons à la découverte de nos environnements urbains, ruraux, maritimes.