La manœuvre de collision est enclenchée. Après deux ans à tourner autour de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko – «Tchouri» pour les intimes –, Rosetta a effectué un brusque virage dans la nuit de jeudi à vendredi pour fondre droit vers la surface du petit astre. Sa mission est terminée. Il lui reste à engranger un maximum d’informations pendant la descente avant que la sonde européenne ne se pose définitivement. Enfin, qu’elle s’écrase, car elle n’a pas de pattes pour amortir le choc et n’est pas conçue pour y survivre. Disons qu’elle va se «crasher en douceur» aux alentours de 12 h 40 heure française sous les yeux de milliers d’internautes. On peut suivre l’événement en direct à partir de 10 h 30 sur le site de l’Agence spatiale européenne (Esa), mais aussi à la Cité des sciences de Paris et à la Cité de l’espace de Toulouse, où des experts commenteront l’apothéose de ce grand succès européen.
Des comètes, ces jolis astres à longue queue qui «dégazent» et crachent de la poussière quand leur orbite les amène près du Soleil, on ne savait presque rien avant d’envoyer des sondes – dont l’européenne Giotto – survoler la comète de Halley en 1986 et celle de Grigg-Skjellerup en 1990. Ensuite, l’ESA s’est attelée à la préparation d’un grand projet pour creuser le sujet. Elle a d’abord imaginé un retour d’échantillon avec la participation de la Nasa, puis, quand les Américains ont laissé tomber, une mission un peu plus simple de mise en orbite autour d’une comète avec lâcher d’atterrisseur pour des analyses en surface.
La sonde et le petit robot perdu
Rosetta et Philae ont décollé en 2004 et voyagé durant dix ans avant d’atteindre leur cible, Tchouri. On se souvient de leur arrivée mouvementée en novembre 2014 et des multiples rebondissements - au sens propre comme au figuré - de Philae, qui a fait quelques sauts imprévus avant de se poser de travers, les pieds en l’air et à l’ombre d’un rocher, compromettant son ravitaillement en lumière solaire et sa communication avec Rosetta.
Alors qu’on pleurait le petit robot perdu en l’anthropomorphisant au-delà du raisonnable (joli coup de com de l’ESA, qui a fait parler ses machines sur Twitter et publié des BD et même des dessins animés à leur effigie), la sonde Rosetta a bien bossé. Elle devait être mise à la retraite fin 2015, mais a finalement eu neuf mois de rab pour profiter encore de ses instruments et de ses panneaux solaires, avant que son éloignement du Soleil (573 millions de kilomètres ce vendredi) ne l’affaiblisse trop. On aurait pu, alors, laisser Rosetta tourner indéfiniment autour de sa comète, mais l’occasion était trop belle de ne pas concocter une chute programmée. Quand la comète dégazait à pleins tubes l’an dernier, son atmosphère pleine de poussières et de gaz était trop dangereuse pour Rosetta - la sonde est montée à plusieurs centaines de kilomètres d’altitude pour rester à l’abri. Mais maintenant qu’on n’a plus peur de la casser, elle peut enfin renifler la surface de Tchouri : l’atmosphère rapprochée n’est pas la même qu’en altitude, et cela promet des photos splendides.
Dernières photos avant le crash
Le 2 septembre, Rosetta a fait du rase-mottes et a pris une photo surprise : à droite de l'image, tout petit entre les rochers, c'était Philae ! L'atterrisseur était à l'endroit exact où on pensait le trouver d'après la reconstitution de sa trajectoire par une large équipe de scientifiques. Toutes les données qu'il a enregistrées durant les trois jours qui ont suivi son atterrissage peuvent enfin être mises «dans leur contexte» : on les comprend mieux si on sait exactement où l'atterrisseur a fait ses mesures. Philae est débranché depuis le 27 juillet. Les communications avec l'atterrisseur ont toujours été difficiles et, comme on ne l'avait plus entendu depuis juillet 2015, il ne servait à rien de gaspiller l'énergie de Rosetta pour tendre l'oreille. Depuis cet été, la sonde perd quatre watts de puissance par jour, il fallait se concentrer sur les fonctions essentielles.
Modélisation de la descente finale de Rosetta. Vidéo ESA
Le dernier jour de la vie de Rosetta est un grand rush. Sa principale caméra, Osiris, est chargée de prendre un tas de photos, mais plus petites et plus compressées que d'habitude pour qu'elles aient le temps d'être envoyées à la Terre avant le crash : on se contentera de 480 pixels de large dans les derniers instants. Puis, en dessous de 300 mètres d'altitude, la caméra n'arrivera plus à faire le point et les photos seront floues. Le spectromètre Rosina mettra, lui, le nez à l'endroit où les solides en surface se subliment en gaz. L'instrument Giada mesurera la densité de la poussière, et Miro prendra la température. On aura aussi des mesures du champ de gravité de la comète. Au total, on téléchargera pendant la chute de Rosetta 195 mégaoctets de données.
C'est à 22 h50 ce jeudi que Rosetta doit briser son orbite pour foncer en ligne droite vers le sol. Il y a 19 kilomètres à parcourir au rythme d'un mètre par seconde, avant d'atterrir dans cette zone nommée Ma'at (en référence à la déesse égyptienne de la vérité et de la justice). Le site a été choisi pour ses parois et fossés intrigants, dont les photos rapprochées permettront peut-être d'expliquer la formation. Quarante minutes après le contact, la nouvelle arrivera sur Terre et l'on pourra dire adieu à Rosetta. Même si la sonde était encore en état de travailler après le choc, elle n'en aurait pas le droit : le contact déclenche automatiquement son extinction pour ne pas polluer les canaux de communication dans l'espace lointain.
Ce sont surtout les pérégrinations du petit Philae et les splendides photos noir et blanc de la comète qui sont parvenues jusqu’à nos yeux et oreilles depuis 2014, mais le bilan scientifique de Rosetta est très riche. On comptait notamment sur l’observation de Tchouri pour tout savoir de la grande queue des comètes qui se forme à l’approche du Soleil. Outre de la poussière et du gaz, on y trouve des molécules d’eau sublimées : elles passent directement de la glace à la vapeur quand les flaques gelées de Tchouri sont chauffées par le Soleil. D’autres molécules remontent des profondeurs à travers le sol poreux et forment de nouvelles flaques de glace dès que l’ombre revient (car Tchouri tourne sur elle-même).
Mystérieux sursauts de lumière
A propos d'eau justement : on se demandait si les comètes avaient pu en apporter les premières molécules H2O sur les planètes du système solaire. La réponse de Rosetta est négative : l'atome d'hydrogène dans l'eau cométaire est différent de celui qu'on trouve sur Terre. C'est du deutérium, beaucoup plus lourd. Si les comètes telles que Tchouri n'ont pas apporté d'eau, peut-être ont-elles apporté la vie ? Philae a pu analyser des poussières volatiles, et y a dénombré seize composés organiques, dont quatre qu'on n'avait encore jamais vus sur une comète. Or, ces composés ont un rôle clé dans la synthèse des acides aminés et autres ingrédients de la vie comme l'ADN.
Et puis il y a ces mystérieux sursauts de luminosité des comètes, qui se révèlent être dus à des éruptions de gaz et de poussière provoqués par des effondrements de falaises et glissements de terrain. Il y a cet oxygène qu'on ne s'attendait pas à trouver là, et qui suggère que la comète est née dans une région lointaine et froide du système solaire, avant la formation des planètes, il y a 4,6 milliards d'années.
5,4 kilomètres de long, une forme de cacahuète sans doute obtenue par fusion de deux noyaux de comète, 21 km3 de volume… Tchouri a de belles mensurations extérieures, mais lui tourner autour a aussi permis à Rosetta de comprendre sa structure interne. Son instrument nommé Consert permettait d’envoyer des ondes à travers la comète en les dirigeant vers Philae, et de mesurer leur propagation. Le noyau se révèle très poreux : 70 % de son volume est du vide ! Un litre de comète pèse 540 grammes et Tchouri dans son entier avoisine les 11 milliards de tonnes. Si on la posait sur un océan terrien, elle flotterait.