«Je viens de faire 258 kilomètres sans toucher le volant de ma Tesla.» Souriant et sûr de son effet, François Barrault, président de l'Idate, un cabinet d'études spécialisé dans les télécoms, a inauguré avec cette anecdote le colloque du think tank G9+, sur la transformation numérique de l'industrie automobile.
La voiture autonome, capable de se passer de conducteur humain, est un enjeu majeur pour le secteur. Réduction drastique des accidents, provoqués à 90 % par des erreurs humaines, moins de pollution grâce une réduction des bouchons et une conduite plus fluide, retour à la conduite pour les personnes âgées ou handicapées : les avantages de ce véhicule intelligent sont nombreux. Côté risque, l'intelligence artificielle (IA) sera-t-elle capable de faire les bons choix en cas de danger ? Sans oublier la possibilité de hacker à distance ces voitures connectées, qui a été déjà démontrée plusieurs fois (lire ci-contre).
Tous les constructeurs mondiaux, dont les deux groupes français, l'alliance Renault-Nissan et le groupe PSA (Peugeot, Citroën et DS), planchent sur des prototypes. «Nous nous préparons à cette véritable révolution qui va complètement changer l'automobile. D'ici à 2020, une dizaine de modèles Renault et Nissan dotés des fonctions d'autonomie vont être commercialisés», annonce Thierry Viadieu, directeur du programme véhicule connecté et autonome de Renault. Des Renault Espace bardés de caméras, GPS, capteurs et Lidar (télédétection par laser) expérimentent en ce moment les cinq niveaux de «délégation de conduite» de l'humain vers le robot roulant : mains sur le volant (hands on), sans les mains (hands off), sans les yeux (eyes off), sans l'attention (mind off) et sans aucune intervention du conducteur (driverless). A PSA, les voitures test sont des SUV Peugeot 3008. Le groupe se targue d'avoir été le premier constructeur à avoir obtenu les autorisations d'essai sur routes ouvertes en France, puis en Europe, avec quatre démonstrateurs Citroën C4 Picasso équipés «qui ont parcouru 60 000 km en mode autonome "hands off" sur les routes express d'Europe depuis le début des tests, mi-2015».
Changement de paradigme. PSA et Renault prévoient de vendre leurs premiers véhicules semi-autonomes vers 2018, et les voitures driverless à l'horizon 2020. Une autonomie rendue possible par les Adas (systèmes avancés d'assistance au conducteur) : freinage automatique d'urgence, alerte risque de collision, alerte de franchissement involontaire de ligne, alerte de collision piétons et cyclistes, etc. Le tout géré par une «interface homme-machine» qui fleure bon la science-fiction.
La voiture sans chauffeur est un changement de paradigme pour l'industrie automobile : «Nous sommes en train de concevoir des voitures qui, dans certains cas, ne seront pas faites pour être conduites. Cela demande de repenser toute l'interaction entre la voiture et son environnement», souligne Thierry Viadieu. Tout en conservant le fameux plaisir de conduire, argument de vente majeur depuis la Ford T. Le directeur de DS, Yves Bonnefont, est sur la même longueur d'onde : «Chez DS, nous réfléchissons à ce que va être le cockpit d'une voiture autonome : comment le volant va s'escamoter, la position du siège, etc. Car nous pensons que le plaisir d'être dans une voiture va perdurer, même si le véhicule va s'adapter de manière progressive à la délégation de conduite.»
«Voiture de papa». Mais ces technologies coûtent cher. Les deux fabricants français disent investir des dizaines de millions d'euros, sans donner plus de détails sur ces budgets très confidentiels. Un effort financier obligatoire, car les géants du numérique sont à l'affût. Tesla et son Autopilot ont pris de l'avance, mais avec un bémol de taille : la mort d'un conducteur et les abus de la fonctionnalité. D'autres sociétés, notamment les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon), ont bien l'intention d'entrer dans le marché de la voiture autonome (lire page 4).
Pour ne pas rester à la traîne, Renault et PSA répliquent en achetant des éditeurs de logiciels ou en nouant des alliances avec des géants de l'informatique. Renault-Nissan vient ainsi d'annoncer un accord de partenariat avec Microsoft pour développer des services connectés sur la base de la technologie Azure, l'offre de «cloud intelligent» de l'américain. Le groupe dirigé par Carlos Ghosn a aussi racheté Sylpheo, un éditeur français de logiciels spécialisé dans le cloud. Chez PSA, Yves Bonnefont explique que «le savoir-faire français en matière d'intelligence artificielle et de "deep learning" est reconnu. Nous allons continuer notre effort sur ces technologies dans le cadre du plan "Push to Pass"».PSA a récemment débauché Brigitte Cantaloube de Yahoo pour en faire son chief digital officer et a conclu un accord de partenariat avec IBM sur la voiture connectée.
Ces efforts suffiront-ils à passer en tête dans la course à la voiture autonome, devant BMW, Mercedes, Volvo, GM ou Ford ? Sans compter les Chinois, bien décidés à coiffer tout le monde sur la ligne d'arrivée. «Ce sont eux qui seront les premiers car l'Etat chinois a mis tout son poids sur ce projet», estime Paolo Colurcio, directeur général de RCI Mobility, service d'autopartage de la banque RCI. Une chose est certaine : la «voiture de papa», comme la nomme le prospectiviste Joël de Rosnay, est morte. Voici venue l'heure du robot.