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L'ours laisse son empreinte au Muséum d'histoire naturelle

Dans «Espèces d'ours», l'établissement parisien s'intéresse aux ursidés sous toutes leurs coutures, des mystères de leur hibernation à leurs traces dans la préhistoire, dans une excellente exposition temporaire.
Un ours noir, un ours lippu et un ours à lunettes, parmi les modèles naturalisés de l'exposition. (Photos Camille Gévaudan)
publié le 12 octobre 2016 à 9h01

L'éclairage est tamisé et des haut-parleurs diffusent des sons de la forêt : on est déjà dans l'ambiance après quelques pas dans l'exposition «Espèces d'ours !», qui ouvre ce mercredi au Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN). L'établissement a sorti ses plus beaux modèles naturalisés pour nous mettre sous les yeux, tout de suite, les huit espèces d'ursidés qui vivent aujourd'hui : un souriant panda, un ours lippu avec de longues lèvres pour aspirer les termites, le mini-ours malais et son petit, l'ours brun et l'ours noir, bien sûr, l'ours à collier et ours à lunettes avec leurs esthétiques marques blanches, et un impressionnant ours polaire, drapé dans le bruit du vent balayant la banquise.

Déjà, on prend l’ampleur de notre ignorance en matière d’ours : en dehors du grand prédateur blanc, du grizzli et du bouffeur de bambous régulièrement croisés dans des zoos, on a rarement l’occasion de rencontrer les autres espèces, asiatiques ou sud-américaines. Ils ne se ressemblent pas. Ils sont grands ou petits, parfois décorés de marques blanches toutes différentes, avec un poil très touffu ou au contraire très ras… C’est pour nous faire apprécier cette diversité et enfin comprendre l’ours sous toutes ses coutures, au-delà des clichés de l’ours en peluche ou du monstre sanguinaire, que le Muséum a voulu lancer cette grande expo après celle de l’an dernier sur les grands singes. Le résultat est formidable.

Plus de doigts et moins de battements

Un premier espace s’intéresse à la biologie de l’ours, notamment son régime alimentaire compliqué – certains sont des bambouphages ou des phoquomaniaques, mais beaucoup sont surtout omnivores avec un penchant pour les plantes et les fruits. Ça se voit à leurs molaires calibrées pour l’écrabouillage, qui n’ont rien à voir avec les dents tranchantes du tigre, comme peuvent en témoigner les crânes exposés. Des squelettes de pattes arrière illustrent quant à eux la plantigradie : on comprend en un coup d’œil comment l’ours peut tenir debout avec son talon qui ressemble tant au nôtre. Quant au panda, il a six doigts ! Un os de sa main s’est allongé au fil de l’évolution jusqu’à devenir un «faux pouce» opposable, bien pratique pour manier la nourriture…

Et il y a les bébés qui naissent si petits, parce qu'ils doivent attendre la fin de l'hibernation de leur maman avant de commencer à grandir dans leur ventre. Et puis cette hibernation, justement, qui intéresse tant les scientifiques : comment les ours peuvent-ils passer six mois sans boire, sans manger, sans uriner, sans déféquer, et se réveiller comme une fleur sans avoir perdu de masse musculaire ? Un dispositif original propose aux visiteurs de poser la main sur une plaque pour sentir l'énorme différence de température corporelle entre les «vrais» hibernants comme les marmottes, capables de descendre à 5°C, et les ours qui restent à 32°C… Leur cœur passe au ralenti : quatre battements alternent avec vingt secondes de pause, comme on peut l'entendre – et le voir sur un écran ! – grâce à une échographie cardiaque d'ours en hibernation, réalisée par des scientifiques scandinaves : «Ils commencent par endormir l'ours en hibernation, et mettent une grille à l'entrée de la tanière pour empêcher l'ours de sortir s'il se réveillait» pendant qu'échographie et prélèvements sanguins sont effectués, raconte Yvon Le Maho, directeur de recherche au CNRS et commissaire scientifique de l'exposition.

L’ours des cavernes

La partie consacrée à l’évolution de l’ours est tout aussi passionnante. On essaye d’y reconstituer soi-même, sur un écran interactif, l’arbre phylogénétique des ours en découvrant huit espèces anciennes et disparues. L’ours des cavernes – qui fait le fier dans l’expo avec deux squelettes bien éclairés – n’est que la plus récente d’entre elles ! Les tout premiers ours ressemblaient plutôt à de gros renards, avec une longue queue. Cette approche préhistorique est l’occasion de comprendre le travail des archéologues qui trouvent des restes d’ursidés dans les grottes occupées par l’homme. Il y a des os avec des marques d’incisions, voire un bout de silex resté fiché dedans, d’autres découpés proprement pour faire des perles, ou encore des dents trouées. On essaye de comprendre à quoi ils ont bien pu servir.

Les stries sur les longues côtes indiquent que l'ours a été mangé, nous explique Carole Vercoutère, préhistorienne et maître de conférences au Muséum, conseillère scientifique de l'expo : «On compare, entre autres, avec ce qu'on fait aujourd'hui en boucherie. Il y a pas mal de viande sur les côtes, entre la fourrure et l'os. Et typiquement, là où sont localisées les stries sur nos côtes d'ours, c'est là où on passe une lame pour récupérer les filets.» De ce qu'on en sait aujourd'hui, cela n'arrivait pas souvent : peu de pièces ont été retrouvées, suggérant que l'homme préhistorique pouvait tuer un ours et le consommer quand il en rencontrait, endormi dans une grotte, mais ne le chassait pas régulièrement.

Il entretenait toutefois une relation «très forte» avec l'animal au point de vue symbolique. Les parures et nombreuses peintures pariétales en témoignent. Dans l'exposition du Muséum, un mur de photos présente les plus beaux ours peints ou gravés dans nos grottes. En braquant dessus une grosse lampe à ultraviolets, on souligne la silhouette des bêtes, parfois difficile à discerner au premier abord. C'est magique…

Vénéré, admiré, craint, moqué, chassé…

Les relations entre l'homme et l'ours ont toujours été mouvementées, peut-être parce qu'on se ressemble un peu. Des prénoms inspirés d'ours aux expressions populaires qui les évoquent dans différentes langues, en passant par les constellations inuits de l'ours chassé par des chiens, et puis les légendes, les dresseurs d'ours, la folie du Teddy Bear et les héros de livres pour enfants… On a considéré l'ours de mille façons différentes.

Il fut un temps où l'ours était le roi des animaux, mais une campagne de désinformation ourdie par l'Eglise lui a donné l'image d'un méchant, racontera l'historien Michel Pastoureau lors d'une conférence sur l'image de l'ours au Moyen-Age, le 17 octobre. Déchu, remplacé par le lion sur le podium des valeureux animaux, l'ours est devenu un animal de foire, ridicule, féroce, gourmand, simplet… mais toujours mignon. Avec des objets glanés au musée du Quai-Branly, des peluches, des films, un manège animé et même des costumes traditionnels de fête des ours en Bolivie et dans les Pyrénées, le sujet est traité de façon archicomplète et toujours très variée.

Enfin, les deux dernières parties parlent conservation et star-system. On y fait le point sur les six des huit espèces qui sont menacées d’extinction par l’Homme, directement – quand il est chassé, braconné, torturé pour sa bile – ou indirectement – victime de la déforestation et du changement climatique.

Et on sort sur l’image d’une brochette d’ours historiques sortis des réserves du Muséum et toilettés pour l’occasion par ses meilleurs taxidermistes. L’un était chassé par le duc d’Orléans, l’autre offert à Pompidou en guise de cadeau diplomatique… Leur histoire raconte aussi notre rapport de l’homme à l’animal.

Il y en a pour tous les âges, pour tous les goûts ; c’est beau, bon et intelligent comme le MNHN sait le faire : on engloutit du savoir comme on mettrait la patte dans un gros pot de miel…