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Libération
Dictons

En France, le BTP se retape

Après une baisse de 20 % de l’activité depuis huit ans, le marché connaît une embellie, notamment dans le logement neuf. Les chantiers de rénovation, eux, restent loin derrière.
A la fin août, en France, 417 800 permis de construire des logements avaient été délivrés en un an, soit une hausse de 11,4 %. (Photo François Henry . REA)
publié le 18 octobre 2016 à 18h01

Depuis des années, on entendait que le bâtiment allait mal. Chaque interview d’un patron de fédération professionnelle, d’un dirigeant d’entreprise ou d’un artisan n’était que lamentations. Mais voilà qu’il s’est produit quelque chose. Les titres dans la presse spécialisée ont changé de ton : «L’activité a bien redémarré !», «Encore un trimestre en hausse pour la construction», «Une année béton pour le BTP», etc. Bigre. Les affaires iraient-elles bien ?

Quand le bâtiment va…

Eh bien oui. «Aujourd'hui, nous avons une reprise, principalement dans le logement collectif», explique le président de l'Union de la maçonnerie et du gros œuvre, Didier Brosse. Mieux, se réjouit Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, «le redémarrage du logement neuf est plus fort que prévu, 15 % à 20 %».

De leur côté, les pouvoirs publics brandissent triomphalement des chiffres de mises en chantier qu'on n'avait plus vus depuis dix ans. Ils sont spectaculaires sur l'Ile-de-France : 69 000 chantiers de logements commencés à la fin du mois d'août (+ 25,6 %) et 81 400 permis de construire, soit une progression de 23 %. Cela dans un contexte national qui n'est pas mal non plus : à la fin août toujours, 417 800 permis de construire des logements avaient été délivrés depuis un an (+ 11,4 %). Sans entrer dans le détail des chiffres, il suffit de se souvenir que tout cela plafonnait à un tiers de moins depuis des années.

De l'avis général, les planètes se sont alignées à merveille. Avec le prêt à taux zéro «recalibré», «on a doublé le nombre de personnes qui pouvaient y avoir accès, explique Jacques Chanut. Nous avons eu 40 000 primo-accédants de plus cette année». Le dispositif Pinel, destiné à l'investissement locatif, a été lui aussi «recalibré». De sorte qu'avec «l'avantage fiscal et la baisse des taux, les gens se jettent à l'eau»pour acheter. Bref, «même si ce n'est jamais une mesure qui crée un besoin, là, c'est parti», ajoute Jacques Chanut.

D'ailleurs, les statistiques agréablement surprenantes s'accumulent. «Sur le non-résidentiel [bureaux et activités, ndlr], nous sommes sur des redémarrages entre 5 % et 8 % alors que l'on tablait sur - 1 %.» Tous secteurs confondus, le patron de la Fédération française du bâtiment estime que «l'année se terminera sans doute sur + 1,5 % alors que nous nous attendions à un résultat négatif, entre - 0,8 % et - 0,9 %».

…Tout va (vraiment) ?

Tout va pour le mieux alors ? Eh bien, pas totalement. On revient de loin. Jacques Chanut rappelle que «depuis 2008, l'activité a baissé de 20 %». La pente à remonter est sévère. Certes, admet Didier Brosse, «la reprise est là. Les ventes dans l'immobilier sont reparties, les permis de construire sont en hausse : on n'a plus un indicateur en négatif. Mais on sait que c'est une reprise très fragile». Le président de la Fédération régionale des travaux publics d'Ile-de-France, José Ramos, confirme : «Nous revenons vers un carnet de commandes qui a tendance à se remplir, mais il faudra attendre le second semestre 2017 pour avoir une reprise durable.» Dans l'idéal, il faudrait passer de 4,7 mois de commandes actuellement à 6 mois.

Mais les entreprises ne sont pas toutes prêtes pour cette embellie. «Nous sommes en position de redémarrage mais ce n'est pas si simple», résume-t-il. Certaines sont simplement mortes pendant les huit ans de marasme et celles qui ont survécu ne s'en extraient pas indemnes. «Nous sortons de la crise avec une baisse de 10 % des effectifs», note Jacques Chanut. «Je n'ai pas l'impression que nous ayons perdu le noyau, mais il va y avoir un besoin de formation pour reconstituer le vivier», dit aussi José Ramos.

Ce n'est pas anecdotique dans une industrie qui exige beaucoup de main-d'œuvre pour répondre aux commandes. Au pire, ajoute Jacques Chanut, «vous tapez dans la trésorerie et les fonds propres pour pouvoir garder vos ouvriers le plus longtemps possible».

Et encore, à condition qu'il en reste, de la trésorerie. En 1999, année de reprise économique, Jacques Chanut se souvient que «beaucoup de boîtes ont fait faillite l'année suivante, en 2000, parce que même avec des commandes elles n'avaient plus de fonds de roulement». Ce qui les empêchait d'acheter les matériaux nécessaires pour démarrer les chantiers. Un scénario que l'on pourrait revoir ? Aucun des professionnels avec qui l'on échange ne compte sur l'aide des banques pour passer cet obstacle.

C’est au pied du mur (isolé)…

L'autre facteur qui tempère les enthousiasmes, c'est que tout ne redémarre pas au même rythme. Et curieusement, la rénovation est à la traîne. Pourtant, plusieurs décrets de la loi de transition énergétique sont parus cette année, dont celui qui oblige à «embarquer» l'isolation dans les travaux de ravalement. Mais sur ces textes, «il n'y a pas eu beaucoup de communication», regrette Olivier Servant, directeur de la promotion nationale chez Saint-Gobain Isover. Pour ce gros acteur, la rénovation représente 55 % de l'activité, ce qui est assez conforme aux données nationales (56 % du marché du bâtiment). Mais Olivier Servant constate que le secteur de la rénovation «est atone».

Vu le contexte de reprise, ce bilan irritant intrigue : «Nous avons pour ces travaux une TVA à 5,5 % et de bons produits, mais ce n'est pas connu, soupire Jacques Chanut. Plus deux hivers doux…»

«L'énergie n'est pas assez chère», ajoute Didier Brosse. Du coup, les clients prennent tout à l'envers : «Les portes-fenêtres et le chauffage se portent très bien, mais l'isolation des parois passe au troisième plan. Le grand public s'est mis dans la tête que les économies d'énergie, ce sont les fenêtres et le chauffage. Aujourd'hui, la mayonnaise ne prend pas.»

…Qu’on reconnaît le maçon (de bureaux)

Plus délicat encore à prédire, la santé du tertiaire. Le logement va mieux, mais quid des bureaux, locaux d'activité ou commerciaux, bâtiments industriels ou agricoles ? Pour ce secteur-là, ce qui compte, c'est la croissance, pas fulgurante. Le marché de leur construction reflète ce flottement. Au salon professionnel Architect@Work, où exposaient le mois dernier nombre d'entreprises de second œuvre (fermetures, revêtements de façade, toitures, équipements électriques, etc.), les pronostics étaient prudents sur ce secteur «tertiaire non résidentiel». Dans les statistiques nationales, la situation est moins pire que prévu. Mais «tout n'est pas si rose», commentait ainsi le responsable d'une PME qui fabrique des façades métalliques, plus destinées à garnir de gros édifices industriels que des maisonnettes. «Le neuf non résidentiel, ce dernier quart du marché, repart à peine.»

Sur cette pierre (pas chère)…

Et à quel prix ? Bas, très bas. A Architect@Work, la responsable du stand du suisse Griesser, constructeur de persiennes, stores et autres occultations, fait remarquer : «Sur Paris, je ne vois pas de reprise, c'est l'une des années les plus dures.» Certes, «les commandes sont là», mais ceux qui veulent les décrocher sont là aussi, et plus nombreux que jamais. Didier Brosse, dont l'entreprise familiale est dans la Loire, nous expliquait que pour répondre aux appels d'offres lancés à Lyon, les concurrents viennent des quinze départements alentour. «Mais pour Paris, s'indigne la représentante de Griesser, les candidats viennent de toute la France, des pays de l'Est et du Sud !» Avec autant de propositions, «la pression sur les prix est terrible. Les marges sont minimes et nous négocions avec 1 % ou 2 % de jeu».

…Je bâtirai mon devis

A ce stade de l’enquête, on en arrive forcément à la question des travailleurs détachés. Quand ils sont illégaux, la société qui les emploie peut œuvrer pour pas cher, mais à ses risques et périls : les contrôles sont passés de 500 à 2 000 par mois, et les condamnations à l’avenant. Mais quand les entreprises générales embarquent dans leurs bagages des boîtes sous-traitantes polonaises qui paient leur main-d’œuvre trois sous, que faire ? Tenter de changer la règle du jeu à Bruxelles pour réviser la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, ce à quoi s’attachent la France et la commissaire Marianne Thyssen.

En attendant, certains prennent les devants. Dans une interview début octobre, Max Roche, président d'Entreprises générales de France, sermonnait Philippe Yvin, le patron du chantier de métro Grand Paris Express : «Nous ne comprendrions pas que les marchés du Grand Paris soient attribués à des entreprises faisant appel à des travailleurs détachés.» Ce à quoi Philippe Yvin a répondu avec les quatre conditions qu'il a imposées aux sociétés : «Je suis allé voir tous les patrons des offres et je leur ai mis la pression sur les travailleurs en droit français, les clauses d'insertion, le recours aux PME, les solutions de traitement des déblais.» Les compagnons seront tous badgés sur le chantier. A part ça, le Grand Paris Express, c'est 25 milliards de travaux sur les vingt ans à venir. Comment dit-on, déjà ? Quand le bâtiment va…